Sassou, le pétrole et l’« affaire du Beach »

Pour le président congolais, ceux qui critiquent la gestion des revenus de l’or noir et la situation des droits de l’homme dans son pays ne sont que des « donneurs de leçons » coupables d’« acharnement injustifié ».

Publié le 27 juillet 2004 Lecture : 10 minutes.

En visite à Paris du 15 au 20 juillet, Denis Sassou Nguesso a eu droit à l’habituel agenda des chefs d’État qui comptent sur l’échiquier franco-africain : entretien avec Jacques Chirac, rencontres avec Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy et Michel Barnier, ballet d’hommes d’affaires, d’avocats et de pétroliers, réception à l’ambassade de la communauté congolaise et même rituel bien établi petite manifestation d’opposants tenus à distance prophylactique. Pas de quoi émouvoir outre mesure celui qui célébrera en octobre prochain le septième anniversaire de son retour au pouvoir et qui, à 61 ans, est un familier des arcanes de la Françafrique. Reste que ce voyage n’avait rien d’une
escapade mondaine : on y a beaucoup parlé des relations entre le Congo et le FMI, du rééchelonnement de sa dette extérieure deux dossiers sur lesquels l’appui de la France est crucial et de « l’affaire du Beach ». Publiée au moment où le président congolais séjournait encore à l’hôtel Bristol, à deux pas de l’Élysée et de la place Beauvau, siège du ministère de l’Intérieur, une déclaration signée par treize partis et associations de l’opposition qualifie ainsi de « parodie de justice » l’instruction ouverte à Brazzaville dans le cadre de l’affaire des disparus de 1999. Convaincu d’être en la matière la victime d’une manipulation politique, Denis Sassou Nguesso contre-attaque à fleurets démouchetés. Avec des accents incisifs qui rappellent que ce chef d’État est aussi, en pays mbochi, un mwene chef traditionnel revêtu d’une peau de panthère

Jeune Afrique/l’intelligent : Le Congo a été exclu, le 9 juillet, du « Processus de Kimberley » – ce code de bonne conduite censé mettre fin aux trafics des diamants qui alimentent pillages et guerres civiles en Afrique subsaharienne. Cela vous inquiète-t-il ?
Denis Sassou Nguesso : J’ose espérer, en tout cas, qu’après les pseudo-affaires des disparus du Beach et des revenus du pétrole, il ne s’agisse pas là d’un nouveau thème pour ceux qui s’acharnent à discréditer le Congo. De quoi s’agit-il ? Notre production locale de diamants représente peu de chose : quelques dizaines de milliers de carats par an, 350 millions de F CFA par an sur un budget de près de 800 milliards. Insignifiant. Le problème est que nous sommes entourés de gros producteurs comme la RD Congo, l’Angola, la Centrafrique et qu’au milieu évoluent toutes sortes de trafiquants. Je n’exclus évidemment pas que ces gens-là soient en contact avec certains de nos fonctionnaires plus ou moins corrompus et qu’ils obtiennent d’eux des certificats de complaisance afin d’exporter frauduleusement une partie de leurs diamants. Nous y mettrons bon ordre. Mais de là à présenter le Congo comme une plaque tournante des diamants de la guerre, c’est une aberration. Pour nous, c’est un non-événement. Nous n’avons rien à cacher.
J.A.I. : L’exclusion du Congo a été prononcée à la suite d’une plainte déposée par votre voisin d’en face, la RD Congo. Ce n’est pas très fraternel…
D.S.N. : Nous allons nous réunir avec eux à Brazzaville, et ils verront bien alors que le gouvernement congolais n’a aucun intérêt à ce que le désordre règne dans ce secteur. Il n’y aura pas une affaire de diamants au Congo.
J.A.I. : À quand la signature d’un accord avec le Fonds monétaire international ?
D.S.N. : Je suis optimiste, nous nous dirigeons vers une conclusion favorable. À ce que je sache, les revues effectuées par le FMI en mars et juin derniers ont été bonnes.
J.A.I. : C’est un peu un feuilleton. Chaque fois qu’une mission du Fonds se rend au Congo, elle relève des progrès encourageants, mais à chaque fois on souligne un manque de transparence dans la gestion des revenus du pétrole.
D.S.N. : Ce n’est pas le cas des deux dernières revues. Celle de mars et, je pense, celle de juin, dont les conclusions seront rendues publiques début août. Vous savez, j’ai parfois l’impression que le Congo est le seul pays d’Afrique producteur de pétrole. On exige de nous ce qu’on n’exige pas des autres. Connaissez-vous un autre État qui ait soumis la totalité de ses comptes pétroliers à un audit permanent, mené par un cabinet international neutre – suisse, en l’occurrence – et dont les résultats ont été diffusés sur l’Internet, à la disposition de tout un chacun ? Moi non.
J.A.I. : Pourtant, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme a publié, il y a deux mois, un rapport très critique sur la gestion du pétrole au Congo. C’est de l’acharnement ?
D.S.N. : Vous avez trouvé le mot juste. En quoi cette ONG est-elle experte en la matière ? Sait-elle de quoi elle parle ? Quelle est sa légitimité ? Connaît-elle la gestion, l’économie ? J’en doute fort. Nous, nous jouons parfaitement le jeu de la transparence. Au début de chaque année, le Parlement congolais a connaissance des prévisions de production et de recettes. Quatre-vingts pour cent des revenus vont aux compagnies pétrolières et 20 % à l’État. La répartition de ce dernier pourcentage est discutée entre les élus et le gouvernement, afin d’élaborer le budget. C’est aux représentants du peuple congolais que nous rendons des comptes, pas à ces ONG autoproclamées spécialistes en manipulation et en subversion. Acharnement, oui. Il serait d’ailleurs intéressant d’en connaître la raison.
J.A.I. : À votre avis ?
D.S.N. : Menons l’investigation ensemble…
J.A.I. : Le 12 juillet, à Brazzaville, a eu lieu une manifestation d’anciens élèves des écoles d’administration, l’Enam et l’Enma, qui réclamaient leur intégration dans la fonction publique. Certains d’entre eux sont diplômés-chômeurs depuis plus de dix ans ! Comment expliquer que, malgré l’argent du pétrole, subsiste un tel malaise social ?
D.S.N. : Écoutez, tout le monde ou presque parle du Congo comme s’il ne s’agissait pas d’un pays en situation de post-conflit. Or, de fin 1992 à début 1999, pendant plus de six ans, ce pays a vécu en état de violence, ouverte ou larvée, du fait du régime qui s’est installé au pouvoir en octobre 1992. Rien n’a été construit pendant cette période. Au contraire : Brazzaville a été détruite. Il a fallu relever la tête, remettre en marche le système éducatif, réhabiliter le secteur de la santé, payer les salaires des fonctionnaires de façon régulière, reconstruire l’État, en somme. Vous me parlez d’un malaise social : oui, bien sûr, il existe. Il y a au Congo des milliers de jeunes diplômés sans emploi, c’est un problème réel que j’ai moi-même évoqué à plusieurs reprises. Mais que l’on tienne compte d’où nous sommes partis – la guerre et ses destructions – et de ce que nous avons déjà accompli sans aucune aide extérieure : la paix, les élections, les institutions…
J.A.I. : Vous demandez donc aux manifestants d’être patients.
D.S.N. : Je leur dis que leurs problèmes sont connus, que nous ne les occultons pas et que nous les prenons à bras le corps.
J.A.I. : Il y a cinq ans, en juillet 1999, éclatait ce que l’on a coutume d’appeler l’« affaire du Beach » : des dizaines voire, selon certains, des centaines de réfugiés auraient disparu entre les mains des forces de sécurité au débarcadère fluvial de Brazzaville – le Beach – alors qu’ils rentraient d’exil en RD Congo. Pourquoi, cinq ans après, ne connaît-on toujours pas la vérité ?
D.S.N. : Les trois organisateurs de cette opération conjointe de rapatriement – en l’occurrence le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés et les gouvernements des deux Congos – savent très bien de quoi il en retourne. Ce fut une opération régulière, préparée, officielle et qui a donné lieu à des manifestes de la part du HCR. La vraie question, en revanche, est celle-ci : qui a dressé la fameuse liste des 353 disparus du Beach ? Où est cette liste ? Quels noms y figurent ? Nous voulons, nous, que les personnes qui ont dressé cette liste se rendent à Brazzaville, rencontrent le juge d’instruction chargé de cette affaire et lui fournissent toutes les pièces justificatives susceptibles de l’aider dans son travail.
J.A.I. : L’un de vos anciens conseillers, Marie-Nicomède Nganga, en exil en France, a récemment témoigné de la réalité de ces disparitions. Il va même plus loin…
D.S.N. : Ce sont des fables risibles. Ce pseudo-témoin parle même de fumées importantes et d’odeurs nauséabondes. Ainsi donc, il y aurait eu des bûchers ! Le plus incroyable est qu’il se soit trouvé des journalistes pour faire semblant d’y croire.
J.A.I. : Marie-Nicomède Nganga existe néanmoins. Pourquoi a-t-il fui le Congo ?
D.S.N. : Demandez-le-lui, puisqu’il vit en France. Qu’il vous raconte donc comment il s’est retrouvé là. Cela fera un épisode de plus.
J.A.I. : Avez-vous vu cette fameuse liste des 353 ?
D.S.N. : Non, mais on me dit qu’elle circule sous forme de tract. Comme je vous l’ai dit, j’ignore en outre qui l’a rédigée.
J.A.I. : Selon vos collaborateurs, qui ont pris connaissance de cette liste, nombre de disparus qui y figurent seraient, en réalité, en vie.
D.S.N. : Tout à fait. Il existe même à Brazzaville une Association des vivants, qui a produit des déclarations en ce sens. D’autres sont à Kinshasa, d’autres en Europe…
J.A.I. : Pourquoi le HCR ne communique-t-il pas sur cette affaire ? Son témoignage est important.
D.S.N. : Il serait bon qu’il communique, en effet.
J.A.I. : Le HCR vous a transmis des documents : pourquoi ne les avez-vous pas rendus publics ?
D.S.N. : Ces documents ont été transmis à la justice et, pour peu que vous veniez à Brazzaville, vous pourrez sans doute en prendre connaissance. Tout comme vous rencontrerez quelques-uns des faux disparus en chair et en os. Mais il faut pour cela vous rendre sur place. N’imitez pas ces juges, de Paris ou d’ailleurs, qui parlent d’une affaire congolaise sans jamais avoir mis les pieds au Congo !
J.A.I. : À propos de juge : vous avez piqué une grosse colère à l’annonce de l’arrestation à Paris, en mai dernier, de votre directeur général de la police, le colonel Ndenguet. Vous avez même téléphoné à Jacques Chirac pour lui faire connaître votre mécontentement, et Jean-François Ndenguet a rapidement été libéré…
D.S.N. : J’ignore qui vous a donné ces informations. Ce que je peux dire, en revanche, est que le gouvernement congolais ne pouvait pas accepter qu’un officier supérieur, directeur général de la police, ait été ainsi enlevé. Car il s’agissait bien d’un enlèvement. Le colonel Ndenguet a été transféré en pleine nuit de son appartement à Meaux, puis, de là, dans une prison parisienne, menotté ou non, je ne sais. Ce sont des pratiques qu’aucun gouvernement au monde ne saurait tolérer. Fort heureusement, tout s’est arrangé depuis.
J.A.I. : La justice congolaise est désormais saisie de l’affaire du Beach, et quatre officiers – deux généraux et deux colonels – ont été inculpés à Brazzaville…
D.S.N. : Pour l’instant. Peut-être y en aura-t-il davantage.
J.A.I. : Inculpés, mais laissés en liberté.
D.S.N. : Et alors ? C’est la règle. Ils restent bien évidemment à la disposition de la justice.
J.A.I. : Quand aura lieu le procès ?
D.S.N. : Ce n’est pas moi qui mène l’instruction. De plus, comme vous le savez, toute instruction doit être menée à charge et à décharge, de façon sérieuse, afin d’éviter autant que faire se peut les dysfonctionnements constatés un peu partout, en France notamment lors du récent procès de pédophilie d’Outreau. Pourquoi donc voudriez-vous que nous ayons recours à une procédure d’urgence ?
J.A.I. : Que pensez-vous de ceux – ONG, opposants, etc. – qui soutiennent que la justice congolaise n’est pas digne de confiance ?
D.S.N. : Vous savez, quand il s’agit de l’Afrique, tous les préjugés sont permis. Il ne reste plus à ces ONG qu’à venir diriger les États à notre place. Ce sont des donneurs de leçons qui n’ont ni légitimité ni transparence dans leur fonctionnement. Souvenez-vous de cette fameuse histoire des centaines de Togolais jetés vivants d’hélicoptères et dont la mer ramenait les cadavres sur la plage. Amnesty International a écrit cela. Tout était faux. Aucune excuse. Silence total, impunité totale. Mon opinion est simple : lorsque, en démocratie, des groupes de gens s’octroient ainsi le pouvoir de nuire à l’honneur et à la réputation des autres, sans rien risquer d’autre que d’être démentis par les faits, il y a danger. On n’est plus très loin d’une certaine forme de dictature…
J.A.I. : Vous avez émis le souhait de rapatrier au Congo les cendres de Savognan de Brazza à l’occasion du centenaire de sa mort, en septembre 2005. Cela mérite des explications : Brazza était certes un humaniste – il représentait le côté « charitable » et, disons, acceptable de la conquête -, mais aussi un colonisateur. Allez-vous réhabiliter la colonisation ?
D.S.N. : Soyons clairs. Un : nous n’avons jamais voulu, au Congo, à quelque période que ce soit de notre histoire depuis l’indépendance, débaptiser Brazzaville. C’est un signe. Deux : c’est la famille de Brazza, ainsi que celle de son épouse de Chambrun, qui ont écrit au gouvernement congolais afin que les restes du couple soient inhumés au Congo. Nous avons donné notre accord à cette requête. Pour le reste, on peut tout dire de la colonisation et de ses excès. Mais Brazza, c’est vrai, était un humaniste. Je ne crois pas qu’il puisse, pour quoi que ce soit, être tenu responsable des exactions qui ont eu lieu après sa mort, lors de la construction du chemin de fer Congo-Océan par exemple. C’est à l’homme et à la relation privilégiée qu’il a toujours entretenue avec le Congo et avec les Congolais que nous rendrons hommage. Évidemment pas à la colonisation en tant que telle.

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