Racistes, les Maghrébins ? (suite)

Nouvelles réactions à nos enquêtes sur les phénomènes d’exclusion dont sont victimes les Noirs au Maroc (J.A.I. n° 2266) et en Tunisie (J.A.I. n° 2270).

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 4 minutes.

Des surnoms entre amis
Je trouve qu’Affet Mosbah a donné une image totalement erronée de la condition des Noirs en Tunisie. Dans ce pays, on est loin de la réalité européenne. En Tunisie, tout le monde bénéficie d’une égalité parfaite pour accéder à l’école et au monde du travail. Cela permet aux Noirs d’être présents dans toutes les couches de la société et d’habiter, contrairement à ce qu’affirme Affet Mosbah, dans tous les quartiers des villes tunisiennes. Quant au mot « oussif », qui signifie « serviteur » en arabe littéraire, il a un sens différent en arabe tunisien où il veut dire « homme noir ». Tous ceux qui connaissent les Tunisiens savent qu’ils aiment donner des surnoms à leurs amis et que ces surnoms sont généralement liés à l’apparence physique. Celui qui est grand ou gros se verra qualifié de « flen », celui qui est blond aux yeux bleus de « zarga ». Si « oussif » exprime un racisme anti-Noirs, alors « flen » exprimerait un racisme anti-grands !

Tolérance : un mot galvaudé
J’ai ressenti un malaise en lisant le texte d’Affet Mosbah qui transpire l’amertume et le désespoir. Je ne suis pas noir, mais j’observe les Tunisiens depuis cinquante ans, et je peux dire que les mentalités n’ont pas évolué. Le racisme est rampant. On entend régulièrement « gaouri » pour un chrétien, « mafioso » pour un Italien, et quand on dit que quelqu’un est un « juif », cela sous-entend qu’il ne faut pas lui faire confiance. Entre Tunisiens, on entend « c’est un 08 » en référence à l’ancien indicatif téléphonique de la région nord-ouest du pays, ou encore « c’est un beau matin » pour désigner un nouveau riche… Sans parler des qualificatifs attribués aux femmes qui s’aventurent à sortir seules dans la rue. Bref, avec des idées pareilles, nous n’irons pas loin. Certes, les Noir(e)s sont les cibles privilégiées de ces comportements injustifiés, pour un pays ouvert à toutes les cultures, mais où une bonne frange de la population reste fermée à toute différence. La tolérance est un mot banalisé dans les discours, mais ignoré dans les faits. Mais ne nous décourageons pas, Affet, mon amie et soeur.

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Marié à une Tunisienne « blanche »
J’applaudis le courage d’Affet Mosbah pour son témoignage sur le racisme en Tunisie. Congolais, j’ai vécu vingt-cinq ans en Tunisie, épousé une Tunisienne « blanche » et travaillé dans la presse durant treize ans. En Tunisie, le racisme est inodore, non avoué et rampant, mais il existe bel et bien. Comment expliquez-vous le fait qu’il n’y ait pas de Noirs subsahariens naturalisés tunisiens ? Pourtant, les demandes se bousculent au portillon. Personnellement, j’ai demandé à être naturalisé il y a neuf ans, et j’attends toujours. Comment expliquez-vous le fait que si un Noir se promène avec une Tunisienne « blanche » la police lui demande ses papiers d’identité comme s’il menaçait l’ordre public ? Les amis de la fille ne cessent de lui conseiller de ne pas sortir avec un « esclave ». « N’as-tu pas trouvé un Tunisien digne de toi ? N’as-tu pas honte ? » demandaient-ils à celle qui est devenue ma femme. Comment expliquez-vous que le jour de mon mariage je n’ai pas été autorisé à m’asseoir à côté de l’élue de mon coeur, mais que j’ai été relégué parmi les invités ? Qu’aucune des 150 personnes que j’ai invitées à mon mariage n’est venue me congratuler ? Quelle humiliation pour moi ce jour-là ! Pourtant, j’ai tout pour m’intégrer : je suis musulman, j’ai accompli le pèlerinage, je prie cinq fois par jour, je travaille. Mais je ne veux pas non plus généraliser. J’ai de véritables amis tunisiens « blancs ». C’est la seule chose qui m’aide à tenir le coup.

Nous sommes tous des Africains
C’est vraiment passionnant de voir à quel point certains Marocains se déchaînent pour se justifier ou montrer leur désarroi face au sujet du racisme. Certes, tous les Marocains ne sont pas racistes. Mais certains le sont, et c’est cette minorité qui entache l’image de tous les autres. L’essentiel est que ceux qui se sentent concernés se remettent en question et cessent de critiquer l’ingratitude des Noirs vivant au Maroc qui se plaignent du racisme ainsi que de déclarer que J.A.I. cherche à ternir l’image du royaume. Au contraire, J.A.I. essaie de faire dire à haute voix ce que les gens pensent tout bas. Il s’agit de lever les tabous et de contribuer à la réunification de l’Afrique. Que l’on soit blanc, noir ou jaune, nous sommes tous africains. Enterrons les préjugés et donnons-nous la main.

Un effort d’éducation
Tunisien, j’ai quitté mon pays il y a plus de trente ans et vis désormais au Canada. Je ne peux que donner raison à Affet Mosbah pour sa dénonciation du racisme en Tunisie. Je me rappelle les « lapsus » symptomatiques de mes compatriotes. Il y a certainement un effort d’éducation qui incombe aux médias et aux institutions publiques, bref à tous ceux qui ont la responsabilité de garantir le respect et la dignité de l’ensemble des citoyens.

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