Jackpot pour le melting-pot mauricien
Autochtones, descendants de colons ou expatriés, ils reflètent la diversité de l’île. Leur point commun : ils portent l’expérience et les investissements du pays sur les marchés africains.
Maurice, une ambition africaine
Africains à part entière, les Mauriciens trustent les podiums de la bonne gouvernance et de la qualité de vie. Leur modèle peut-il s’exporter sur le reste du continent ?
Rama Sithanen
60 ans, ministre de l’Économie et des Finances de 1991 à 1995, vice-Premier ministre et ministre des Finances de 2005 à 2010, actuel président de Rwanda Development Board et d’International Financial Services
« Tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir. » Est-ce à lui-même que Rama Sithanen applique cette maxime qu’il se plaît à répéter ?
Au paradis, l’éminent économiste y vit depuis sa naissance, à Port Louis, en avril 1954. Quant à sa capacité à renaître, l’ancien vice-Premier ministre, considéré par certains comme le meilleur ministre des Finances de Maurice, en a fait la preuve à plusieurs reprises. Comme son pays, le père de la diversification économique mauricienne a su faire preuve de résilience. Et s’il préfère répondre d’un petit rire presque gêné aux questions d’ordre privé, il est en revanche intarissable dès qu’il s’agit d’expliquer en détail la réussite économique de Maurice. La mèche en bataille, il joint le geste à la parole, s’emporte ou s’enthousiasme, captive et convainc.
Éconduit depuis 2010 d’un jeu politique local qui semble vouloir le cantonner à un rôle d’expert constitutionnel et financier dans lequel il excelle, Rama Sithanen fait désormais profiter le secteur privé de son savoir-faire en matière de stratégie de développement. Président d’International Financial Services, l’un des cabinets de conseil les plus en vue de l’île, il siège également au conseil d’administration du groupe multisectoriel Rogers & Co et d’Air Mauritius.
Mais c’est peut-être à l’étranger que sa bonne parole est le plus écoutée. Invité aux quatre coins du monde, du Botswana aux Samoa, cet ancien étudiant de la London School of Economics multiplie les allers-retours entre Port Louis et Kigali depuis sa nomination, il y a un an, au poste de président de Rwanda Development Board. « Je contribue à la réflexion stratégique, mais c’est aux Rwandais de décider de ce qu’ils veulent réaliser », tempère celui qui aspire à partager une expérience mauricienne devenue un modèle à suivre.
Cédric de Spéville
34 ans, PDG de Food & Allied
La famille de Spéville en a fait du chemin depuis que le premier de ses membres a posé le pied sur ce qui était encore l’Isle de France, en 1794 ! Petit dernier de la dynastie, Cédric occupe depuis un an le fauteuil de PDG de Food & Allied. À 34 ans, il est à la tête de l’un des groupes les plus diversifiés de l’île, qui réalise un chiffre d’affaires supérieur à 300 millions d’euros par an.
Ce qui n’était au début, en 1966, qu’un simple élevage de poulets est devenu, sous la houlette de Michel, son père, une entreprise spécialisée dans la filière avicole (de la provenderie aux restaurants KFC), puis dans l’agroalimentaire, la logistique portuaire, le tourisme d’affaires et la publicité. Food & Allied compte 3 800 employés et a implanté des filiales à Madagascar, ensuite à la Réunion et, depuis 2010, en Afrique du Sud.
Le groupe a su négocier les virages de la diversification et du développement. Dernier en date, celui de l’éducation, pris en décembre 2013 sous la conduite de Cédric de Spéville : Food & Allied est devenu l’actionnaire majoritaire du Charles Telfair Institute (CTI), grand établissement d’enseignement supérieur privé installé à Moka.
Créé en 1999, il compte 1 600 étudiants répartis dans quatre facultés. « Cet investissement n’a rien à voir avec le profit ; il se fait dans le cadre d’une vision à long terme des besoins de notre pays », explique le jeune patron. Passé par les meilleures universités de Paris, Londres et New York avant de terminer son apprentissage de businessman aux côtés de son père, ce golfeur expérimenté pense déjà au prochain coup gagnant. Comme faire venir ses anciens professeurs de Columbia sur le campus flambant neuf du CTI.
Ameenah Gurib-Fakim
54 ans, directrice générale du Centre de phytothérapie et de recherche (Cephyr)
Ameenah Gurib-Fakim a la main verte. Pas seulement parce que son bureau, avec vue imprenable sur le quartier d’affaires d’Ébène, déborde de plantes grasses, qui prennent paresseusement le soleil derrière la baie vitrée. Voilà bientôt vingt-cinq ans que cette chimiste de formation s’est spécialisée dans la science des végétaux.
Après des études universitaires au Royaume-Uni, cette Mauricienne est rentrée au pays pour constituer la première base de données des plantes médicinales endémiques. « Je suis tombée dedans et n’en suis jamais ressortie », sourit-elle. Première femme professeur d’université de l’île, première doyenne de la faculté des sciences, Prix L’Oréal-Unesco 2007 pour son inventaire des plantes de Maurice, docteur honoris causa à la Sorbonne…
L’enseignante-chercheuse multirécompensée a pris la tête, en 2011, du Centre de phytothérapie et de recherche (Cephyr), la société qu’elle avait créée deux ans plus tôt avec l’appui de quelques industriels locaux. Elle travaille actuellement à la mise en place d’un pôle de recherche et développement en biotechnologie pour créer et commercialiser des produits fondés sur les vertus médicinales, cosmétiques et nutritionnelles des plantes mauriciennes. « Ce secteur a une très forte valeur ajoutée et va bientôt peser lourd dans l’économie nationale », assure-t-elle.
Antony Withers
60 ans, directeur exécutif de la Mauritius Commercial Bank
margin: 4px; float: left;" />Lorsqu’il résume son parcours à la tête de la Mauritius Commercial Bank depuis son arrivée en 2006, le Britannique Antony Withers, en bon joueur de cricket, lance une volée de chiffres… qui marquent. Sous sa direction, la première banque du pays a vu son capital croître de 13 milliards (environ 9,8 milliards d’euros) à 51 milliards de dollars, et le cours de son action quadrupler, pour dépasser les 7 dollars.
La banque a développé des activités dans une vingtaine de pays africains, mais « c’est la croissance de l’économie mauricienne qui a dopé ses résultats », souligne Antony Withers.
Diplômé de l’université de Cambridge, passé par la Commerzbank, puis la Lloyds, le banquier est bien résolu à ne plus quitter Maurice. « Ma maison est ici dorénavant », assure-t-il sous les boiseries en acajou du siège de la vénérable institution. Il vient d’ailleurs de demander la nationalité mauricienne.
Dhaneshwar Damry
37 ans, PDG de Bhumishq Group
Maurice abrite un véritable trésor et personne ne le sait. Exceptés le FBI et Dhaneshwar Damry, qui en détient les clés. L’homme est l’heureux patron de Bhumishq, groupe mauricien spécialisé dans les hautes technologies au service de la finance.
Dans le sous-sol en béton armé d’un bâtiment anonyme du quartier d’affaires d’Ébène, à Port Louis, où le groupe siège depuis 2008, trône une batterie d’armoires électriques. Un centre de données comme les autres, dirait-on…
« Sauf qu’ici transite l’ensemble des transactions réalisées par carte de crédit dans la région, ainsi qu’une bonne partie des codes de fabrication pour Visa et Mastercard », confie Dhaneshwar Damry. Une installation sans équivalent en Afrique et qui, selon son développeur, est « la vingt-cinquième plus importante du genre dans le monde ». Avec sa stabilité et ses connexions privilégiées avec le continent, Maurice était la plateforme idéale pour accueillir un tel équipement.
L’ancien avocat devenu businessman, grand ami du Premier ministre Navin Ramgoolam, voit déjà plus loin. Il est en train d’installer un centre de données de toute dernière génération à Addis-Abeba (Éthiopie), avant d’équiper de nouveaux clients à Nairobi (Kenya), Accra (Ghana) et Maputo (Mozambique).
Bhumishq signifie « l’amour de la patrie » en sanscrit. Pour Dhaneshwar Damry, la patrie n’est pas seulement l’Inde, dont sa famille est originaire, ni Maurice, où il est né : « C’est l’Afrique dans son ensemble. »
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Maurice, une ambition africaine
Africains à part entière, les Mauriciens trustent les podiums de la bonne gouvernance et de la qualité de vie. Leur modèle peut-il s’exporter sur le reste du continent ?
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