Meurtre à Dakar

Madame Brouette, de Moussa Sene Absa (sorti à Paris le 21 juillet)

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 2 minutes.

Qu’il ait fallu deux ans pour que ce film sénégalais, applaudi à chaque projection au dernier Fespaco, primé au festival de Berlin, l’un des plus importants en Europe, ait pu sortir sur quelques écrans en France, et à une date qui n’est pas la plus recherchée, donne une idée de la difficulté actuelle du cinéma africain du sud du Sahara à trouver droit de cité dans les salles occidentales. On peut cependant espérer que la drôlerie, les belles images et la musique tonique de la tragi-comédie de Moussa Sene Absa lui permettront de trouver le public qu’elle mérite.
L’essentiel du film se déroule dans les faubourgs du Dakar d’aujourd’hui, sous la forme d’une série de flash-back. D’abord on entend, au petit matin, une série de coups de feu. Un individu, Naago, apparaît. Il sort en titubant de la chambre de Mati, une superbe jeune femme, celle que l’on surnomme madame Brouette, car cette divorcée a longtemps survécu avec sa petite fille en vendant sur le marché quelques marchandises hétéroclites disposées dans une brouette. Criblé de balles, Naago, curieusement travesti, ne tarde pas à s’effondrer. Est-ce Mati qui l’a tué ? Si c’est le cas, comme tout l’indique, comment expliquer ce passage à l’acte radical ? Et qui est le plus coupable, de l’assassin ou de sa victime ? La réponse à ces questions viendra petit à petit, scène après scène, chant après chant, puisqu’un choeur souligne et commente, comme dans le théâtre antique, chaque avancée du récit.
Madame Brouette tient moins du polar que du film de société ou, parfois, de la comédie musicale. Le spectateur est certes convié à deviner les mobiles du crime, qui apparaissent évidents peu à peu, permettant de comprendre pourquoi la population ne cesse de chanter les louanges de la jeune femme même après son geste meurtrier. Mais on l’invite surtout à suivre la vie passablement compliquée de Mati, prétexte à nous décrire la difficile existence, mais aussi les initiatives et les rêves des petites gens des quartiers déshérités de la capitale sénégalaise. Sur fond de corruption – Naago est un policier véreux lié à une bande de truands – et de machisme – les hommes sont tous imbus de leur personne et violents avec leurs compagnes, et Naago le premier, bien entendu.
Mais Moussa Sene Absa ne joue pas les Ken Loach africains. Son film ne se prend guère au sérieux. Il vaut avant tout par sa légèreté, par le charme de ses personnages et l’émotion qu’ils suscitent. Et par la beauté de nombreuses scènes, comme celle, nocturne, où, pendant la fête de tamxarit, les hommes et les femmes revêtent chacun les atours de l’autre sexe – d’où l’accoutrement de Naago à l’heure de sa mort. Des moments de grâce qui font le plus souvent oublier l’aspect brouillon de la mise en scène et les méandres compliqués du scénario ainsi que quelques dérapages vers un plaidoyer féministe un tantinet simpliste.

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