Tunisie : de nouveaux éléments concernant l’immolation d’un journaliste sèment le trouble

L’immolation du journaliste Abderrazak Zorgui pourrait ne pas être un suicide. Un homme, soupçonné d’avoir mis intentionnellement le feu au défunt, a été arrêté dans la soirée du 25 décembre, a annoncé le ministère de l’Intérieur.

Des policiers tunisiens face à des manifestants lors d’une des nombreuses manifestation qui ont marqué la Tunisie post-révolution. (archive) © Moncef Tajouri/AP/SIPA

Des policiers tunisiens face à des manifestants lors d’une des nombreuses manifestation qui ont marqué la Tunisie post-révolution. (archive) © Moncef Tajouri/AP/SIPA

Publié le 26 décembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Suite à une décision du juge d’instruction du tribunal de première instance de Kasserine, un individu a été arrêté dans la soirée du 25 décembre, suspecté d’avoir intentionnellement mis le feu au journaliste Abderrazzak Zorgui, mort à Kasserine (ouest), une ville située dans une des régions les plus pauvres du pays.

Le suspect a été placé en garde à vue, en collaboration avec le juge d’instruction chargé de l’affaire, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur. Il est âgé de 18 ans et habite à la cité Karma, dans le gouvernorat de Kasserine.

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Enquête toujours en cours

Lundi, à quelques jours des célébrations du huitième anniversaire du soulèvement ayant mis fin à la dictature, Aberrazak Zorgui, journaliste pigiste dans une chaîne privée locale, a partagé une vidéo sur les réseaux sociaux où il annonçait son immolation imminente.

Un geste qu’il a décrit comme un message adressé aux autorités dans le but de dénoncer les inégalités d’un pays englué dans le marasme économique, malgré les acquis démocratiques de la révolution de 2011.

>>> À LIRE – [Tribune] Tunisie : « Ne me parlez pas de révolution »

« Pour les habitants de Kasserine qui n’ont pas de moyens de subsistance, aujourd’hui, je vais commencer une révolution », expliquait alors cet homme de 34 ans dans sa vidéo publiée 20 minutes avant de passer à l’acte.

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Cependant, le caractère intentionnel de l’immolation est aujourd’hui remis en cause. Le porte-parole officiel du tribunal de première instance de Kasserine, Achref Youssfi, a d’abord annoncé dans la journée du 25 décembre qu’une enquête avait été ouverte pour homicide avec préméditation et non assistance à personne en danger.

Agitation sur les réseaux sociaux

Dès le lendemain, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les anomalies présentes sur la vidéo, dont celle du député de la coalition nationale, Sahbi Ben Fredj.

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Le député, qui dit avoir analysé les images, affirme que le journaliste apparaît ahuri et choqué lors de l’apparition des flammes. Il souligne également que l’homme se mettrait à courir en direction d’un individu et que les témoins présents autour de lui ne tenteraient à aucun moment de lui porter secours ou de l’arrêter.

Dans une vidéo publiée mercredi sur une page Facebook dédiée aux habitants de Kasserine, le frère du défunt, Bahri Zorgui, a mis lui aussi en doute la thèse du suicide. L’homme affirme que son frère n’était en aucun cas en dépression ou sujet à des troubles psychologiques.

Selon lui, son frère voulait uniquement agir pour sa région et s’adresser au gouvernement à travers un message fort, mais sans vouloir véritablement passer à l’acte.

« Les images montrent que l’étincelle n’est pas apparue dans ses mains. Elle est apparue derrière lui. On peut voir sur les images un individu tenant un briquet. Des bandits l’ont piégé et l’ont conduit à la mort en profitant de sa bonté. Il y avait un groupe pour l’endoctriner et l’inciter à menacer de se suicider, un autre pour filmer son message au public ainsi que l’incident et un autre groupe chargé de le brûler au cas où il ne le ferait pas. Il y a quelqu’un qui lui a mis le feu ! Il s’agit d’un meurtre ! », témoigne-t-il sur la vidéo.

Affrontements entre police et manifestants

Depuis son décès, des affrontements nocturnes ont opposé quotidiennement des manifestants de Kasserine, essentiellement jeunes, aux forces de police.

Plusieurs manifestants, dont des mineurs, ont été arrêtés dans la nuit du 26 décembre par les unités de sécurité à Kasserine.

Kasserine est l’une des premières villes où avaient éclaté fin 2010 des manifestations dénonçant l’incurie des autorités et la pauvreté endémique, manifestations qui s’étaient transformées en révolution contre la dictature.

La colère de la jeunesse n’est pas circonscrite à cette ville. Des heurts violents ont opposé dans la nuit de mardi à mercredi des protestataires aux forces de l’ordre à Jebiniana, au nord de Sfax, la deuxième ville de la Tunisie (est). Un policier a été blessé.

Cinq personnes au moins ont été aussi été interpellées après des troubles à Tebourba, à 30 km de Tunis, a déclaré à l’AFP le porte-parole de la Sûreté nationale, Walid Hakima.

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a de son côté appelé à une grève nationale de la « dignité » le 14 janvier, le jour de l’anniversaire de la révolution de 2011, pour protester contre la situation désastreuse du secteur médiatique, notamment dans le privé, et la condition « fragile » d’un bon nombre journalistes ».

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