Les criquets arrivent
Du Tchad à la Mauritanie en passant par le Niger, les gouvernements redoutent la pire invasion acridienne depuis celle de 1987-1989.
Le jeune gendarme en faction au poste de Matam dans le nord-est du Sénégal a failli en perdre son képi. Le 14 juillet, alors qu’il contrôlait les papiers des automobilistes, une soudaine obscurité et un bruit assourdissant sont venus l’interrompre… Le temps de lever la tête et de constater le passage d’un essaim gigantesque de criquets pèlerins qui allait rejoindre, un peu plus loin, les rives du fleuve Sénégal.
« Il y avait une atmosphère de fin du monde. Le nuage faisait plus de 10 km de longueur et la lumière du jour a vite décliné », explique Ousseynou Diop, de la Direction de la protection des végétaux du Sénégal. Plusieurs invasions de sauteriaux ont été constatées de Bakel à Tambacounda, dans l’est du pays. Les dégâts sur les cultures ont heureusement été limités, les criquets étant à la recherche d’aires de reproduction plus que de nourriture. « Nous avons déjà répandu des pesticides sur plus de 900 hectares, mais nous devrons rester très vigilants dans les semaines à venir », insiste Ousseynou Diop.
Au Sénégal, comme dans les autres pays du Sahel, l’alerte est à son maximum. « La situation est extrêmement critique. Après s’être accouplés entre octobre et février au nord du Sahara, les criquets pèlerins profitent des pluies sur la zone sahélienne pour venir se reproduire. Les pontes devraient avoir lieu dans une vaste zone s’étirant de la Mauritanie jusqu’au Tchad. Elle pourrait même s’étendre au Darfour, à l’ouest du Soudan », indique Laetitia Liénart, de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). L’institution onusienne a adressé pas moins de trois avertissements depuis le début de l’année, mettant devant leurs responsabilités les États africains et les bailleurs de fonds.
Un message bien reçu par les autorités du Maghreb puisque 4 millions d’hectares ont été traités depuis octobre 2003. Mais, au Sahel, il n’est pas certain que les services de protection des végétaux aient les moyens nécessaires. Or, arrivés dans ces zones, si les conditions sont bonnes, ils risquent de se reproduire et de revenir en Afrique du Nord à l’automne avec une ampleur encore plus importante.
Les essaims peuvent atteindre des tailles de 10 km2, et les équipes phytosanitaires aériennes ne peuvent pas traiter de si importantes superficies à chaque rotation. Cela risque de se traduire par le morcellement des nuées, rendant un peu plus complexe le traitement des zones infestées.
Cette recrudescence acridienne est la plus grave enregistrée depuis la dernière invasion de 1987-1989. À l’époque, la communauté internationale avait dû dépenser plus de 300 millions de dollars pour enrayer la propagation des criquets. Des opérations avaient été menées dans vingt-huit pays sur le continent.
Le président Abdoulaye Wade du Sénégal a exhorté le 13 juillet les dirigeants du monde entier à déclarer la guerre à une menace qui, selon lui, est potentiellement plus meurtrière qu’un conflit armé. Dans une lettre adressée à Jacques Chirac et à George Bush, il prévient que des centaines de millions de personnes encourent un risque de famine. Les chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en France estiment que 1 km2 d’essaim peut contenir 50 millions de criquets pèlerins et peut ravager 50 tonnes de végétaux par jour.
Ces dernières années, beaucoup d’efforts ont été enregistrés dans la lutte contre ces sauteriaux, notamment dans la mise au point de systèmes d’information géographique (SIG), de la télédétection spatiale et des communications. Ces outils permettent d’améliorer la surveillance et de localiser très précisément les foyers de grégarisation (regroupement des criquets). Les groupes agrochimiques ont également fait des progrès en matière de respect de l’environnement, en mettant au point des traitements à base de molécules moins nocives que le DDT, comme le Fipronil ou les inhibiteurs de croissance (Insect Growth Regulator). L’objectif est de recourir à la prévention en s’attaquant aux foyers potentiellement dangereux. Dans la pratique, les bailleurs de fonds et les États ne mettent pas encore suffisamment de moyens pour financer ces opérations. Seuls 9 millions de dollars ont été versés par la communauté internationale depuis le début de l’année, une enveloppe jugée bien insuffisante par les experts, qui estiment que 18 millions sont nécessaires pour éviter un désastre acridien en Afrique.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- L’arrestation du PDG du groupe CHO secoue l’huile d’olive tunisienne
- Les Obiang et l’affaire des sextapes : vers un séisme à la Cemac ?
- La DGSE française dans la tourmente après les accusations du Niger
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello
- Comment Air France compense son absence des États du Sahel