Élections en RDC : « La campagne s’est plutôt mieux déroulée qu’en 2011 », selon Leila Zerrougui (Monusco)
Alors que les esprits s’échauffent à Kinshasa, suite à l’exclusion des circonscriptions de Beni, Butembo et Yumbi de l’élection présidentielle du 30 décembre, la représentante spéciale du secrétaire générale de l’ONU, Leila Zerrougui, appelle toutes les parties prenantes au calme et à la concertation. Et dévoile certaines coulisses des tractations survenues ces derniers jours.
Il est 11 heures, ce mercredi 26 décembre, lorsque Leila Zerrougui nous ouvre la porte de son bureau, au dernier étage du siège de la Mission de l’ONU (Monusco) à Kinshasa. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) vient de rendre publique une nouvelle décision qui menace de rompre le relatif apaisement qui prévaut dans la capitale : les habitants de Beni, Butembo et Yumi ne pourront pas élire leur président le 30 décembre prochain, annonce-t-elle.
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Il en faudrait plus pour perturber la Représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en République démocratique du Congo. Alors que ses propres équipes s’affolent en raison des retards pris par la Ceni, alors que l’opposition crie à l’injustice et à l’illégalité, elle-même reste imperturbablement optimiste.
Dans ce nid d’aigle, d’où elle dirige la plus importante mission onusienne au monde, Leila Zerrougui veut encore croire que cette élection pourrait bien se passer. Auquel cas ce scrutin, qu’elle a tenté d’accompagner malgré les réticences de Kinshasa, entrerait dans l’histoire comme la première passation légale de pouvoir dans l’histoire du pays.
Jeune Afrique : La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) vient d’annoncer que les électeurs de Beni, Butembo et Yumbi ne pourraient pas voter le 30 décembre. Quelle est votre réaction ?
Leila Zerrougui : Nous regrettons qu’une partie de la RDC soit dans l’impossibilité de voter dimanche. Nous comprenons qu’il y a des contraintes, mais ce report constitue un véritable coup dur pour une population qui connaît déjà de nombreuses souffrances.
Je vais poursuivre mon travail afin de calmer les esprits. Beni demeure l’une des priorités de la Monusco : nous continuons à soutenir sa population en facilitant la riposte à l’épidémie d’Ebola et en menant des opérations afin de renforcer la sécurité dans cette région.
Est-ce que les conditions posées restent acceptables ?
Ce n’est pas à moi de le dire, mais aux Congolais. Ces derniers jours, j’ai rencontré le candidat de Lamuka [l’opposant Martin Fayulu, ndlr], les gens de la Ceni et le président de la République. J’essaie de jouer mon rôle, qui est de leur demander de trouver un terrain d’entente.
Tout le monde s’est mis d’accord sur le fait qu’accepter la machine à voter en tant qu’imprimante n’était pas un problème
L’opposition demande à ce qu’un mécanisme de concertation soit activé pendant cette période, afin que tous puissent se concerter avec la Ceni. Martin Fayulu me l’a encore demandé, et je transmets ce message. Concernant la machine à voter, par exemple, tout le monde s’est mis d’accord sur le fait qu’accepter cette machine en tant qu’imprimante n’était pas un problème.
L’ONU a proposé une aide logistique à la Ceni. Regrettez-vous que celle-ci n’ait pas été acceptée ?
Le Conseil de sécurité nous a donné un mandat d’appui technique, logistique et de bons offices, ainsi qu’un budget supplémentaire. Le gouvernement congolais a décidé d’organiser lui-même ces élections. Nos interlocuteurs à Kinshasa ont voulu relever ce défi, ce à quoi j’ai répondu : « Si vous y arrivez, je serai la première à applaudir ! »
En août, j’ai proposé au Conseil de sécurité de renvoyer les avions qui avaient été mis à disposition. Celui-ci a refusé, en disant : « Restons mobilisés jusqu’au dernier jour des élections, en cas de besoin. On ne veut pas que les Nations unies puissent être blâmées. »
La plupart des avions ont fini par être renvoyés, le 3 décembre. Il nous reste ceux qui étaient censés ramener les résultats des votes, qui resteront au moins jusque début janvier.
Ceci étant dit, la Monusco fournit un appui technique à ces élections. Nos agents sont présents à l’intérieur des bureaux de la Ceni. Nous totalisons 217 experts, répartis dans 26 provinces.
Nous devons nous caler sur le calendrier congolais !
La Ceni se montre-t-elle transparente envers l’ONU ?
Je ne lui demande pas de me faire des confidences du matin au soir. C’est un organe national, qui répond à des institutions nationales. Depuis mon arrivée, en février, à chaque échéance, certains de nos agents disent : « Ils ne vont pas y arriver. ». J’ai dû leur répondre : « Arrêtez de spéculer ! Nous devons nous caler sur leur calendrier ! » Et jusqu’à présent, ils ont respecté cette demande…
Un report a pourtant été annoncé…
Oui : une semaine de retard. Nous en avions été informés au préalable, alors que la Commission hésitait entre une ou deux semaines pour ce report. Je leur avais d’ailleurs suggéré de faire en sorte que s’ils devaient annoncer une nouvelle date, ce soit la date ultime. On m’avait alors répondu que la date idéale aurait été le 6 janvier. Mais côté congolais, on ne veut pas dépasser l’échéance du 31 décembre, afin de respecter les échéances fixées dans l’accord de la Saint-Sylvestre.
Donc je considère que les élections auront bien lieu le 30. Si ce n’est pas le cas, cela risque de poser problème, car il y a une tension réelle au sein de la population.
D’après mes informations, l’annonce des résultats aura lieu le 6 janvier
L’Église catholique est opposée à la publication des résultats deux jours après le scrutin, sur la base de la transmission électronique des données…
Ce qui est prévu légalement, et que le président de la Ceni, Corneille Nangaa, a répété, c’est que le comptage sera manuel et se fera sur la base des résultats imprimés. D’après mes informations, l’annonce des résultats aura lieu le 6 janvier.
Si l’Église a effectivement déclaré, comme je l’ai entendu dire, que « la Ceni doit attendre que l’observation soit en mesure de donner des résultats avant de publier les siens », ça pose problème. C’est à eux d’être prêts dans les délais. On ne peut pas demander aux institutions de ne pas respecter le calendrier légal.
Avez-vous pu enquêter sur les incidents qui ont émaillé la campagne ? La société civile a déploré des morts, notamment à Lubumbashi…
Il y a bien eu des morts, il n’y a aucun doute là-dessus – je l’ai d’ailleurs condamné dans un communiqué de presse. Le Bureau des droits de l’homme s’est déployé et des investigations plus approfondies doivent permettre d’en déterminer les circonstances. Est-ce une réaction à des incidents qui ont perturbé l’ordre public ? Est-ce quelque chose de programmé, ou encore des dérapages au niveau local ? Les enquêtes le diront.
Mais il n’y a pas qu’à Lubumbashi qu’il y a eu des morts. Des personnes qui se réclament de l’opposition comme de la majorité ont perdu la vie. Le candidat de la majorité n’a pas pu se rendre à Tshikapa, par exemple. Et des groupes armés se sont opposés au déploiement électoral.
J’étais présente en 2011. Si l’on compare ce qui se passe aujourd’hui aux tensions de l’époque, je pense que cette campagne s’est plutôt mieux déroulée. Certes, il y a eu des entraves. Mais globalement, les candidats ont pu faire campagne.
Plusieurs médias internationaux ont affirmé, dans une enquête baptisée « Congo Files », que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, n’a pas transmis au Conseil de sécurité ni aux familles des victimes certaines informations pointant la possible participation d’agents de l’État congolais dans l’assassinat des deux experts de l’ONU, Michael Sharp et Zaida Catalan. Qu’y répondez-vous ?
Je ne me prononce pas à la place du secrétaire général. Je n’étais pas ici quand l’incident a eu lieu. Et le procureur international qui travaille avec la justice congolaise, Robert Petit, ne dépend pas de la Monusco.
J’espère qu’un jour ceux qui ont tué nos deux experts paieront
La seule chose que je puisse dire, c’est que toutes les informations en possession de la Mission ont été transmises à la justice congolaise et à Robert Petit. Par ailleurs, on a présenté les choses comme si un seul homme au sein de nos forces de police – le général Awale, de UN Pol –, avait décidé de mener des enquêtes. Or il avait reçu une instruction de ses chefs pour appuyer les investigations de la justice congolaise.
Tout ce que j’espère, c’est qu’un jour la vérité éclatera et que ceux qui ont tué nos gens, qui étaient venu servir la paix, loin de chez eux, paieront un jour. C’est le minimum que nous puissions souhaiter.
Le gouvernement congolais a dit plusieurs fois publiquement qu’il souhaitait le retrait total de la Monusco. Où en sont vos relations avec lui ?
Cette volonté est normale et légitime. Je ne prends pas mal cette déclaration. Ce que je dis aux autorités, c’est qu’il faut travailler pour convaincre le Conseil de sécurité que la situation ne nécessite plus le maintien de la Monusco. Il est censé reconduire notre mandat en mars : à lui de tirer les leçons de ces élections.
Mais je veux croire que le gouvernement congolais est dans une logique de retrait progressif, plutôt que brutal.
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