L’Afrique à la page

En moins de quatre années, deux jeunes femmes ont réussi à développer à Paris une maison indépendante, Cauris, entièrement consacrée au monde noir. Leur recette ? La passion des livres, tout simplement.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

Dans la vitrine du 10, rue Bleue, à Paris, s’exhibent de petits bijoux d’édition. Des couvertures chamarrées, des formats inattendus, des titres alléchants. Derrière la vitrine du 10, rue Bleue, s’abrite Cauris Éditions, une maison qui construit mois après mois des ponts littéraires entre la France et l’Afrique. À l’origine de cette belle histoire, deux filles à la page qui ont l’amour des livres en partage : Kadiatou Konaré, 32 ans, Bambara aux traits de Peule, fille de l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, aujourd’hui président de la Commission de l’Union africaine, et sa complice Fabienne Yoro, 29 ans, métissée France-Bénin. C’est Kadiatou qui a créé la société en 2000, « par hasard ». « Je devais réaliser un guide touristique sur le Mali pour une autre structure qui, au dernier moment, n’a pas trouvé le financement nécessaire. Par respect pour les personnes que j’avais embarquées dans le projet, j’ai décidé de publier ce guide toute seule. »
Cauris Éditions était née. Avec cette première publication, Le Mali des talents, « un guide unique en son genre, parlant des artistes et du potentiel humain du pays, explique l’éditrice. C’est aussi un guide d’histoire et de culture mais qui met en avant les aspects modernes de nos pays qui ont trop souvent l’image d’États figés dans leur passé. » Résultat : Le Mali des talents est le titre qui porte la maison. Six mille exemplaires ont été écoulés et l’ouvrage est en réimpression. Un guide du même genre sur le Bénin doit sortir en septembre prochain, puis viendra le Burkina Faso.
En 2001, Cauris a édité Les Parfums du Mali de Adama Ba Konaré (la mère de Kadiatou), consacré à l’usage de l’encens par les femmes. C’est le premier ouvrage de vulgarisation sur cet aspect intime et érotique de la vie des Maliennes. « Ce livre m’a donné envie de créer une collection réservée aux femmes africaines pour mettre en avant leurs savoir-faire. » Ainsi a suivi, en 2003, Cuisine et traditions – Recettes d’Afrique, rédigé par la pétillante journaliste de RFI, Sophie Ekoué. Ou comment appréhender l’Afrique par la nourriture et l’art culinaire. D’autres projets sont en cours : un livre sur les recettes de beauté des Marocaines, un autre sur le rôle social des femmes dans le mariage… La collection s’intitule « Fa Bane ». « C’est le nom de mon arrière grand-mère, précise Kadiatou. Car je me suis rendu compte que tout ce que j’ai appris dans ma vie de femme me vient de cette personne, qui a influencé ma grand-mère et ma mère. »
D’autres collections se sont imposées au gré des manuscrits reçus et des coups de coeur de la jeune éditrice. Comme « Cauris-Livres de référence » qui compte deux titres. D’abord, Le Conflit angolais, d’Ousmane Bamba et Makuzaki Massaki, préfacé par Boutros Boutros-Ghali (juillet 2003). Les auteurs y dressent le portrait d’Alioune Blondin Bèye, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Angola, qui joua un rôle central dans les négociations de paix, mort accidentellement en 1998. Le deuxième ouvrage rassemble des témoignages sur Aimé Césaire, récoltés à l’issue de la Rencontre Afrique-Amériques, organisée par Cauris à Bamako en juin 2003 pour rendre hommage au poète et homme politique martiniquais. Kadiatou se souvient avec émotion de son entrevue avec lui, à Fort-de-France. « Un vrai bouleversement. Je lui ai demandé : « Quelle place occupe l’Afrique aujourd’hui ? » Il m’a répondu, « L’Afrique occupe toute la place. Je suis martiniquais, mais je suis avant tout un Africain transporté. » »
Kadiatou veut aussi faire une place aux jeunes. Elle a publié l’année dernière La Colline sur la tête de Birama Konaré, « le récit d’un fils de président qui a assisté aux balbutiements de la démocratie au Mali. Quand son père Alpha Oumar Konaré est arrivé au pouvoir, il avait 10 ans. Quand son père en est parti, il en avait 20. Dans son texte, Birama raconte ses souffrances d’adolescent et porte un autre regard, souvent critique, sur le pouvoir. Le récit m’a beaucoup touchée, mais j’hésitais à le publier car Birama est mon frère… Et puis j’ai fait mon travail d’éditrice ! Du coup, j’ai envie de lancer une collection pour donner la parole aux 15-25 ans, une tribune d’expression pour ceux qui, demain, feront l’Afrique. C’est un véritable défi. »
L’éditrice ne se satisfait pas d’un seul défi. Son dernier projet : une collection jeunesse à dévorer dès 8 ans, baptisée « Lucy » et lancée en décembre dernier. « Avec Kidi Bebey, la rédactrice en chef du magazine Planète Jeunes, nous avions l’intuition depuis deux ans qu’il fallait agir pour les enfants africains. Nous avons décidé de ressusciter les héros du monde noir – de l’Afrique, des Caraïbes et des Amériques -, en mettant en avant la mémoire et la conscience. Il s’agit de montrer que ces héros ne sont pas que des politiques, des rois ou des guerriers, qu’il y a aussi des artistes, des sportifs… Nous proposons des histoires limpides, presque des contes, mais qui collent à la réalité. » Le nouveau-né de Cauris Éditions est une réussite. Petit format rectangulaire aux illustrations colorées et originales. Six titres occupent déjà les rayonnages : Lucy, la grand-tante de l’humanité ; Toussaint-Louverture, le défenseur des Noirs d’Haïti ; Fela Kuti, le génial musicien du Nigeria ; Sarraounia, la reine magicienne du Niger ; et Abebe Bikila, le champion aux pieds nus. Vient de paraître : Bob Marley, la star légendaire du reggae, « dans lequel on montre aux enfants qu’il est possible de surmonter son destin », indique Kadiatou. À la rentrée prochaine, c’est Ray Charles, l’inventeur de la soul music décédé en juin dernier qui sera mis à l’honneur.
Les livres sont tirés entre 3 000 et 10 000 exemplaires, et 80 à 120 livres de la collection « Lucy » sont vendus par mois. Cauris s’est associé à quatre autres petits éditeurs (Desmaret, Presses franciliennes, Presses du Village, Du Coq à l’Âne) pour assurer sa distribution dans l’espace francophone (France, Suisse, Belgique, Canada), par le biais de Rue Bleue Diffusion. En Afrique, c’est une autre histoire. Les titres se retrouvent dans quelques librairies partenaires à Bamako, Cotonou, Dakar et Addis-Abeba. « La diffusion en Afrique est un gros problème. Il faudrait aller au plus près des lecteurs avec des méthodes qu’ils connaissent. Par exemple, en 2002, à la sortie du livre Les Paris des Africains, guide des Africains dans la capitale française, j’ai engagé un jeune homme pour démarcher dans les quartiers afros de Paris avec un panier rempli d’ouvrages à vendre comme il aurait vendu des pagnes. Et ça a marché ! Il faudrait, sans concurrencer les librairies classiques, trouver un moyen comme celui-ci de toucher des clients potentiels… »
Malgré ces vicissitudes, Kadiatou et Fabienne peuvent s’enorgueillir d’avoir réussi à développer, depuis quatre ans, une maison d’édition indépendante, créée grâce à des fonds personnels, et consacrée à l’Afrique. Tout cela est suffisamment rare dans le milieu de l’édition pour être souligné.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires