Kabila va-t-il rempiler ?

Propulsé au pouvoir par un coup du sort, le président de la République met son entourage en ordre de bataille pour trouver une légitimité par les urnes.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

A son arrivée à la tête du pays, en janvier 2001, il cumulait les handicaps : inexpérimenté sur le plan politique, mal à l’aise face aux médias, il ne connaissait pas vraiment la République démocratique du Congo. Et dans un pays où le sacro-saint droit d’aînesse est solidement ancré dans les traditions, son jeune âge – il avait un peu moins de 30 ans à l’époque – n’arrangeait rien. Son accession au pouvoir relève d’un tragique concours de circonstances. Le 16 janvier, le président Laurent-Désiré Kabila est froidement abattu par un élément de sa garde rapprochée. Très vite, son fils, le général-major Joseph Kabila, « prend la direction des affaires » poussé par les proches de son père. Mais sa nomination ne fait pas l’unanimuté. Des opposants dénoncent la « dérive monarchique » du régime. De toute évidence, le choix porté sur ce jeune homme par des collaborateurs de son père relève de calculs politiciens : les membres du clan veulent conserver le contrôle du pouvoir.
De Joseph Kabila, on sait peu de choses. Il a vécu en Ouganda. Il a été étudiant en Tanzanie, où il a passé le plus clair de sa vie. Formé au métier des armes en Chine, il a surtout appris sur le tas, dans les montagnes du Kivu. Joseph Kabila a, en effet, participé activement, aux côtés de soldats rwandais et ougandais, à la « guerre de libération » qui a débouché sur le renversement, le 17 mai 1997, de Mobutu Sese Seko. Nouvelle expérience du front, à partir d’août 1998, quand il prend part à la deuxième guerre, dirigée cette fois contre les parrains d’hier.
Depuis, le jeune homme a beaucoup appris. De ses propres erreurs et de celles de son père. Son « style » est sobre et dénué de fioritures. L’homme étonne parfois. Il n’a pas hésité à éloigner les « tontons » des allées du pouvoir, ceux-là mêmes qui l’avaient placé aux commandes du pays. Qui aurait cru le jeune néophyte capable de s’émanciper en si peu de temps ? Joseph Kabila donne par moments une impression de fébrilité. Dans les négociations, il est capable de laisser croire à la partie adverse le sentiment qu’il recule, qu’il a abattu toutes ses cartes. Mais dans les concessions qu’il fait, il se fixe toujours une ligne à ne pas franchir. Il se montre flexible, tout en faisant preuve de fermeté quand la situation l’exige. Il écoute beaucoup et parle peu. « Il est difficile de lire le fond de sa pensée. Il est discret et n’extériorise pas facilement ses sentiments. Son interlocuteur ne peut pas deviner s’il acquiesce ou non. Il ne laisse rien transparaître. C’est seulement quand il prend une décision qu’on peut savoir ce qu’il pense des propositions qu’on lui a soumises », précise un de ses conseillers. Très secret, il protège sa vie privée. Même les mauvaises langues ne lui prêtent pas de maîtresses. Il ne fume pas et ceux qui le fréquentent ne peuvent dire s’il est amateur ou non de bonnes bouteilles. Ni quel style de musique il écoute. « Il a la culture du secret », souligne un autre conseiller à la présidence. Joseph Kabila déteste le culte de la personnalité. Les thuriféraires qui gravitent autour de lui ont plus d’une fois avancé l’idée de placarder des affiches à sa gloire dans les principales villes du pays. Il s’y oppose. Le pouvoir ne semble pas l’avoir grisé. Certes, le 20 Heures de la télévision publique, « ouvre » souvent sur les « activités du chef de l’État », comme du temps de ses prédécesseurs. Mais ses proches collaborateurs jurent que ce choix est à mettre sur le compte du zèle des responsables de l’audiovisuel public.
Dès le départ, Kabila s’est glissé dans le costume du rassembleur, se situant au-dessus de la mêlée, en s’efforçant de ne privilégier ni son camp politique ni sa province, le Katanga, dans le partage du gâteau national. Il le répète souvent, il tient à être le président de tous les Congolais. Il a d’ailleurs effectué de nombreuses tournées à l’intérieur du pays pour prendre le pouls des complexes réalités locales.
En public, il sait ménager les Occidentaux, ne tirant jamais à boulets rouges sur la communauté internationale. Ni vives critiques ni dérapages verbaux à leur encontre. Mais cette attitude peut exaspérer ses concitoyens. La preuve, en février 2004, le président s’est permis, devant le Sénat belge, de rendre hommage « à la mémoire des pionniers qui ont colonisé le Congo ». Le discours a fait bondir nombre d’intellectuels congolais qui l’ont qualifié d’insulte à la mémoire des victimes congolaises de la colonisation belge.
Joseph Kabila n’a pas hésité par ailleurs à amorcer le dialogue avec les « frères égarés ». Ce qui a permis l’extinction des principaux foyers de tension et le retrait des armées étrangères du territoire congolais. Ce dialogue a donné lieu, en avril 2003, à la signature des accords de paix aux termes desquels le pays s’est doté d’un gouvernement pléthorique. Joseph Kabila a même dû accepter de se voir flanquer de quatre vice-présidents. Ce qui a renforcé son image de « chef d’État au-dessus des partis politiques », capable de jouer la carte de la réconciliation nationale, en passant – momentanément – l’éponge sur la sanglante aventure des rebelles dans l’est du pays.
Dans ses discours, Kabila n’a qu’un seul leitmotiv : la paix. Mais les événements qui ont secoué Bukavu fin mai lui ont rappelé que tout n’est pas réglé. Qu’il n’a pas le droit de s’endormir sur ses lauriers. Certes le jeune président a réussi à s’attirer la sympathie de nombre de Congolais, notamment des moins de 30 ans, qui se reconnaissent bien volontiers en lui. Mais les foules qui se sont déversées dans les rues des principales villes du pays, peu après la prise de Bukavu par des soldats dissidents conduits par le général Laurent Nkunda, n’ont pas hésité à scander des slogans hostiles à son égard. Les manifestants lui reprochaient notamment l’incapacité du gouvernement à asseoir son autorité sur tout le territoire et l’absence d’une véritable armée nationale capable de défendre dignement la RDC.
Le processus de paix, qui doit déboucher sur la tenue d’élections l’année prochaine, demeure fragile. En l’espace de deux mois, deux tentatives de putsch ont été déjouées à Kinshasa, à en croire le gouvernement. D’aucuns diront que, comme son père, Kabila souffre de « complotite aiguë ». Malgré son apparente fragilité, Joseph Kabila, en trois ans de pouvoir, a pris du poids… et de l’autorité. Il n’a pas encore dévoilé ses intentions concernant les élections à venir, mais nombreux sont ceux qui l’imaginent gagnant. Cependant, le sortant ne peut pas ignorer les résultats d’un récent sondage d’opinion, effectué à Kinshasa. Contre toute attente, la majorité des personnes interrogées a déclaré que la personnalité politique la plus appréciée des Kinois était… l’opposant historique Étienne Tshisekedi !

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