Agriculture : les partenariats public-privé géants menacent les droits fonciers des populations africaines
Janah Ncube est directrice de Oxfam Pan Africa.
L’agriculture africaine a un besoin urgent d’investissements. En Afrique, près de 550 millions de personnes vivent de l’agriculture et la moitié de la population du continent habite en milieu rural. L’adoption d’un cadre commun appelé Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) par les dirigeants africains, en 2003, a confirmé l’importance cruciale de l’agriculture dans les perspectives de développement du continent.
Nouveaux moyens de financement
Après des décennies de sous-investissement, les gouvernements africains se tournent vers de nouveaux moyens de mobiliser des financements en faveur du secteur et d’apporter de nouvelles techniques et compétences aux agricultrices et agriculteurs. Dans le même temps, les acteurs du secteur privé recherchent de nouvelles opportunités dans les marchés émergents de l’Afrique.
En Afrique, près de 550 millions de personnes vivent de l’agriculture et la moitié de la population du continent habite en milieu rural.
Les partenariats public-privé (PPP) de grande envergure apparaissent comme une tendance en plein essor à travers le continent.
Ces « méga PPP » sont des accords entre les gouvernements nationaux, les bailleurs de fonds, les investisseurs et les entreprises multinationales afin de valoriser de vastes étendues de terres fertiles situées à proximité d’infrastructures stratégiques telles que les routes et les ports.
La Tanzanie, le Malawi, le Mozambique, le Ghana et le Burkina Faso ont conclu des contrats de ce type. Plusieurs pays africains ont également souscrit à des initiatives internationales telles que la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN), soutenue par les économies riches et industrialisées du G8, et GROW Africa, un autre méga PPP soutenu par le Forum économique mondial.
Ces contrats donnent aux gouvernements l’illusion d’une augmentation des capitaux et technologies et la promesse de gains de productivité et de recettes en devises.
Menaces sur les droits fonciers des petits exploitants locaux
Mais, comme Oxfam le révèle, les méga PPP constituent en fait un aléa moral présentant de graves inconvénients, notamment pour celles et ceux qui vivent dans les zones d’investissement. Ils menacent en particulier les droits fonciers des communautés locales. Les terres situées dans les zones cibles d’investissement dans seulement cinq pays ayant conclu des méga PPP représentent une superficie plus grande que la France ou l’Ukraine.
Bien que toutes ces terres ne soient pas destinées aux investisseurs, les gouvernements comptent transférer plus de 1,25 million d’hectares. Cela équivaut à la superficie totale des terres agricoles cultivées en Zambie ou au Sénégal.
Compte tenu de la faiblesse des régimes fonciers dans nombre de pays africains, un tel transfert de terres expose les communautés locales à un risque non négligeable d’expropriation sans compensation équitable.
Selon des indicateurs internationaux, ces contrats menacent également d’aggraver les inégalités, déjà criantes, en Afrique. Les investissements accompagnant ces méga PPP risquent de bénéficier aux entreprises et exploitations agricoles qui ont le plus de moyens et de relations et de laisser pour compte celles et ceux qui ont le plus besoin de soutien.
Le modèle actuel du méga PPP n’a pas fait ses preuves et présente des risques, notamment pour l’agriculture familiale et les populations pauvres.
Davantage de terres tomberont en outre aux mains des grands acteurs du secteur, ce qui réduira les superficies disponibles pour les petites productrices et petits producteurs.
Les plus gros acteurs sont privilégiés
On peut également douter que les petites et moyennes entreprises puissent bénéficier de ces contrats. Le chiffre d’affaires annuel de seulement quatre des multinationales semencières et agrochimiques associées à un méga PPP en Tanzanie s’élève à 100 milliards de dollars, ce qui représente trois fois la taille de l’économie de la Tanzanie.
Ces déséquilibres de pouvoir risquent d’entraîner des comportements anticoncurrentiels et d’évincer les entreprises locales et nationales plus petites des marchés intérieurs émergents. Les grandes entreprises pourraient également accroître leur influence sur les politiques publiques qui perpétuent leur mainmise.
Commencer par une approche tournée vers l’agriculture familiale et le droit des communautés locales
Le besoin d’investissements du secteur privé en Afrique est manifeste, mais la qualité de ces entrées de capitaux constitue un paramètre essentiel si l’on veut renforcer les moyens de subsistance de millions de productrices et producteurs de denrées alimentaires en Afrique. Le modèle actuel du méga PPP n’a pas fait ses preuves et présente des risques, notamment pour l’agriculture familiale et les populations pauvres.
Les mesures de renforcement des moyens de subsistance et d’éradication de la pauvreté profonde en milieu rural doivent avant tout reposer sur l’engagement explicite de mettre en œuvre des approches favorables à l’agriculture familiale et aux femmes, permettant de développer les marchés locaux et régionaux. Il est primordial de protéger les droits fonciers des communautés locales. C’est cela la base même de politiques de développement rural qui ont été éprouvées ailleurs. Cette approche, au contraire de celle qui consiste à subventionner l’entrée de poids lourds dans le secteur agricole africain, représenterait véritablement une nouvelle alliance au bénéfice de toutes et tous.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- Mines d’or au Mali : la junte place le CEO de l’australien Resolute en détention
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Comment Air France compense son absence des États du Sahel
- Chez Tunisair, la purge des dirigeants se poursuit et les pertes s’accumulent
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT