En attendant les élections

La campagne pour la présidentielle n’est pas encore officiellement ouverte, mais elle est déjà lancée. En coulisse, les responsables politiques s’activent et prennent position.

Publié le 26 juillet 2004 Lecture : 5 minutes.

Après quarante-cinq années d’attente, les Congolais brûlent d’impatience d’aller voter pour les premières élections pluralistes du pays, programmées en juin 2005. Les partis politiques, les organisations de défense des droits de l’homme, les associations de femmes, les mouvements de jeunesse et les Congolais de la diaspora ne ratent aucune occasion pour exiger le respect de cette échéance. Toutes les composantes de l’ex-Zaïre semblent décidées à tirer un trait sur la triste « exception congolaise » : demeurer à ce jour l’un des rares, sinon l’unique pays d’Afrique subsaharienne où ne s’est jamais tenue une seule élection multipartite, plus d’une décennie après la vague de démocratisation du début des années 1990.
Le gouvernement de transition (un dispositif lourd constitué de quatre vice-présidents, trente-cinq ministres et vingt-cinq vice-ministres issus de huit « composantes » ou « entités » du Dialogue intercongolais) assure que les délais seront tenus, malgré les nombreux obstacles. Difficile d’entendre un autre son de cloche de cette équipe mise en place le 30 juin 2003, pour remplir trois objectifs fondamentaux dans un délai de deux ans : achever la pacification du pays après une décennie d’affrontements armés ; redresser l’économie tombée au plus bas ; organiser des élections libres et transparentes.
Une tâche ardue dont l’accomplissement n’a cessé d’être perturbé au cours des derniers mois par une succession d’événements. Deux tentatives de coup d’État, les 27 mars et 10 juin, sont venues semer la suspicion dans les institutions de la transition. Le « repli sécuritaire » qui s’est ensuivi a conduit au limogeage le 19 juin du chef d’état-major de l’armée, l’amiral Liwanga Mata-Nyamuniobo. Le processus a également été troublé par la prise de Bukavu, capitale du Sud-Kivu, à l’est du pays, par le général « dissident » Laurent Nkunda, le 2 juin dernier. Kinshasa a dû déployer 10 000 hommes sur le terrain pour « libérer » la localité de Bukavu, une semaine plus tard, puis Kamanyola, le 21 juin. Cette dernière, située à une quarantaine de kilomètres au sud de Bukavu, était tombée entre les mains du colonel Jules Mutebusi, un autre officier « dissident » du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), l’ancien mouvement armé qui a occupé l’est du pays d’août 1998 à juin 2003 et qui est aujourd’hui intégré dans les institutions de la transition. Face à cette escalade, la communauté internationale a craint un moment l’extension de la guerre à l’ensemble du pays, ou le déclenchement d’un affrontement armé entre la RD Congo et le Rwanda, accusé par le chef de l’État congolais, Joseph Kabila, d’avoir parrainé l’invasion de Bukavu par des officiers insurgés.
Après ces nombreux remous qui ont fait redouter un coup d’arrêt à la transition, la politique a repris tous ses droits à Kinshasa. L’horizon de juin 2005 est plus que jamais en vue. Le compte à rebours a commencé. Les états-majors politiques s’organisent, mobilisent leurs troupes. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts et des promesses.
Dans le camp présidentiel, on s’active pour prendre de l’avance. Le 1er juillet, un homme de confiance du chef de l’État, Vital Kamerhe, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a été porté à la tête du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD, la formation créée le 31 mars 2002 pour soutenir le président Kabila). Ce gros calibre a dû quitter son poste gouvernemental pour préparer les futures échéances électorales. Pour seconder Kamerhe, des membres du sérail ont été choisis, dont Jean-Charles Okoto, secrétaire à l’organisation et à la mobilisation. En ordre de bataille, la mouvance présidentielle ne cache pas son intention de faire de l’actuel chef de l’État un candidat à sa succession. Vice-président issu du même camp, Abdoulaye Yérodia Ndombasi assure d’ores et déjà que « Joseph Kabila sera candidat. Il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas. Il a la responsabilité historique de perpétuer l’oeuvre de son père et de consolider l’unité nationale qu’il a restaurée. Nous travaillons à le faire élire, pour éviter le retour à la tête de notre pays de ceux qui l’ont pillé et tué ses fils les plus progressistes. »
On l’aura compris, le camp Kabila a désigné son principal adversaire : le Mouvement pour la libération du Congo (MLC, rébellion transformée en parti politique), du vice-président Jean-Pierre Bemba, qui est devenu le refuge de nombreux dignitaires de l’ère Mobutu. Issu de la deuxième génération de la nomenklatura mobutiste, le fils de Jeannot Bemba Saolona, homme d’affaires richissime qui passait pour gérer la fortune du défunt maréchal, s’est entouré de dinosaures de la scène politique congolaise : l’économiste Lunda Bululu (ancien Premier ministre de Mobutu), Thambwe Mwamba (ex-ministre des Finances), Ramazani Baya (ancien ambassadeur du Zaïre en France). Le MLC prépare activement son congrès, qui devrait coïncider avec son sixième anniversaire, en septembre 2004. Avant de se lancer dans une compétition électorale qui s’annonce rude, sans concession. Certains proches du chef de l’État pensent même exhumer les documents de la Conférence nationale souveraine qui a débuté en 1991 relatifs aux violations des droits de l’homme et aux crimes économiques sous Mobutu. Objectif : « Montrer qui est qui aux électeurs qui viennent d’atteindre la majorité électorale, pour les aider à choisir », indique Abdoulaye Yérodia Ndombasi.
Dans cette campagne, l’opposition dite « non armée » risque d’avoir du mal à se faire une place. Le leader de cette composante gouvernementale, le vice-président Arthur Z’ahidi Ngoma, paraît plus que jamais affaibli. Contesté par les partis politiques et associations hétéroclites qu’il est censé représenter, le patron des Forces du futur est perçu comme celui qui a usurpé la place d’Étienne Tshisekedi. Personnage le plus populaire de l’opposition, le chef de file de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), exclu de « l’espace présidentiel » du fait de son intransigeance, est partant pour les prochaines élections, en s’opposant à tout report.
S’il est crédité d’une indéniable constance dans le combat politique non violent, le Sphinx de Limété a écorné son image, pour avoir conclu en 2003 « une alliance stratégique » avec le RCD, au cours des négociations de paix de Sun City.
Cet ex-mouvement rebelle, emmené par le vice-président Azarias Ruberwa, est « plombé » par sa réputation dans l’opinion congolaise. Il est présenté comme étant « l’oeil et les oreilles de Kigali au sein des institutions de la transition congolaise ». Qualifiés au pire de Rwandais, au mieux de Banyamulenges (Congolais rwandophones installés dans l’est du Congo), les responsables du RCD suscitent peu de sympathie en dehors des zones qu’ils occupaient. Ils ne pourraient donc, le cas échéant, compter que sur les voix d’une frange ultraminoritaire de la population. Et c’est sans nul doute par crainte d’être passé par pertes et profits à l’issue des prochaines élections que le RCD maintient de facto ses positions dans une bonne partie du territoire anciennement sous son contrôle.
Elle a notamment fourni le gouverneur et le commandant de la 8e région militaire à la province du Nord-Kivu. Officiellement jusqu’à ce que « le brassage » se fasse entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les combattants des ex-mouvements rebelles. Mais les récents affrontements à Bukavu, qui ont ravivé le problème banyamulenge, ne vont pas faciliter le dépôt des armes à l’est du pays. Les élections ne s’annoncent donc pas sans quelques incertitudes. Mais elles ont l’appui de la communauté internationale, qui veille au grain pour qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions et dans les délais prévus.

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