Didier Drogba
Transféré à Chelsea pour 37,5 millions d’euros, le buteur ivoirien de l’Olympique de Marseille est devenu le joueur africain le plus cher de tous les temps.
C’était le feuilleton footballistique de ce mois de juillet. Partira, partira pas ? Didier Drogba, la perle ivoirienne de l’Olympique de Marseille, a finalement fait ses valises pour Chelsea, club londonien du milliardaire russe Roman Abramovitch. Montant du transfert : 37,5 millions d’euros (environ 24 milliards de F CFA). Plus cher que le prodige brésilien Ronaldinho (du Paris-Saint-Germain à Barcelone, pour 30 millions d’euros, en 2003) et que David Beckham (de Manchester United au Real Madrid, 30 millions d’euros), Drogba n’a pourtant pas le même CV que ses illustres collègues. Quasiment inconnu il y a deux ans, le natif d’Abidjan est devenu dans ce laps de temps LA star du football européen. Et le joueur africain le plus cher de tous les temps, loin devant le Libérien George Weah, transféré du PSG au Milan AC au milieu des années 1990 pour la bagatelle de 14 millions d’euros.
Il est vrai qu’à 26 ans, Drogba vient de réaliser une saison « énorme ». Il a tenu à bout de bras l’OM, en championnat (19 buts) comme en Coupe d’Europe (11 buts, meilleur buteur toutes compétitions confondues). Le parcours de l’Olympique de Marseille en Ligue des champions et en Coupe de l’UEFA (finaliste) l’a révélé au grand public. Il a marqué des buts souvent somptueux contre le Real Madrid, le FC Porto, le Partizan Belgrade, Liverpool, l’Inter de Milan, Newcastle…
Devant plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs, il a exposé des qualités décelées chez lui depuis longtemps, mais jusqu’ici mal exploitées : puissance hors norme, technique, vitesse, abnégation, et une efficacité rare devant le but. Une trajectoire météorique pour un attaquant qui évoluait encore en deuxième division française en 2001 et qui va désormais toucher près de 55 000 euros par semaine à Londres.
Débarqué de Côte d’Ivoire à l’âge de 7 ans, Drogba a longtemps été un intermittent du football. Il joue à Vannes et à Levallois, des petits clubs, avant d’être repéré par Le Mans.
Tout le monde remarque son énorme potentiel. Seul bémol : son hygiène de vie. Adepte du « McDo-frites », qu’il préfère largement au classique « grillades-pâtes-salade » qui compose habituellement le menu du footballeur professionnel, il n’a pas encore conscience de la rigueur et des sacrifices qu’impose son métier. Cela se voit sur les terrains dont il est régulièrement écarté pour de petites blessures. Sa première saison complète, sans bobos ni coups de barre ? Celle qu’il jouera avec Guingamp en 2002-2003. Il plante 17 buts et s’illustre sur tous les terrains de France, en première division. En juillet 2003, l’OM et Lyon se l’arrachent. Il choisit le club phocéen, un « rêve de gosse », lui qui vibrait devant Papin, Waddle et Abedi Pelé au début des années 1990. Les supporteurs marseillais sont dans un premier temps plutôt dubitatifs. « Encore un Ivoirien ! » se disent-ils, échaudés par l’expérience de leur ex-buteur vedette, Ibrahima Bakayoko, pétri de talent, mais tellement brouillon et si peu efficace. À tel point que, pour son premier match sous les couleurs marseillaises, ces mêmes supporteurs l’affublent du sobriquet de « Drogbakayoko ».
Mais il les met vite dans sa poche, enfilant les buts comme des perles : du pied droit aussi bien que du gauche, de la tête, en force ou en finesse, d’un simple tir ou d’une reprise de volée magique, aucune défense ne lui résiste. Son physique de déménageur (1,88 m pour 78 kg) allié à ses qualités techniques et à sa pointe de vitesse font des ravages. D’autant qu’il se comporte en véritable leader. Petit à petit, il incarne l’âme du club. Les 60 000 spectateurs du Vélodrome scandent son nom dès qu’il foule la pelouse, les maillots à son effigie se vendent comme des petits pains. La « Drogbamania » est en marche.
Le transfert à sensation de l’avant-centre vedette des Éléphants de Côte d’Ivoire (Drogba est franco-ivoirien, mais il a choisi de défendre les couleurs de son pays d’origine) a alimenté la chronique sportive depuis fin-juin. Au début, ce n’était que des rumeurs. José Mourinho, nouvel entraîneur des Blues de Chelsea, a affronté l’OM par deux fois en Ligue des champions cette année. Il a été impressionné par la performance du joueur, buteur à chaque fois. Depuis cette double confrontation, il a inscrit le nom de la nouvelle idole du Vélodrome en lettres d’or sur son carnet.
Les premières informations relatives à l’intérêt de Chelsea pour Drogba filtrent mi-juin pendant qu’il est à Abidjan avec la sélection ivoirienne. Des gamins l’alpaguent dans les rues : « C’est vrai que tu vaux tout cet argent ? » Amusé, il leur adresse un sourire, signe quelques autographes, mais ne répond pas. Il sait que Mourinho le veut à tout prix et
que son président-milliardaire a les moyens de « se l’offrir » (la fortune personnelle d’Abramovitch a été estimée par le magazine financier Forbes à près de 20 milliards d’euros !). Mais il a depuis longtemps déjà exprimé
son désir de rester une saison de plus à Marseille. En outre, l’arrivée à la direction sportive du club de son ex-agent et confident Pape Diouf a fini de le convaincre, malgré les sollicitations de clubs comme le Milan AC ou la Juventus de Turin, de poursuivre son aventure sur la Canebière.
Confiant, il part en vacances en Floride avec sa femme, une Sénégalo-Malienne, et ses deux enfants. Mais les dirigeants marseillais flairent la bonne affaire. Ils savent que seul Chelsea est aujourd’hui capable en Europe de mettre sur la table la somme qu’ils exigent : plus de 35 millions d’euros (Drogba a été acheté 6 millions d’euros à Guingamp). Ils négocient en coulisse, rejettent une première proposition de 28 millions d’euros. Conscients du fait qu’il faut assumer les dettes contractées lors du retour de Bernard Tapie aux affaires (saison 2001-2002) et que l’équipe est trop dépendante de son buteur, ils décident de céder le joueur à Chelsea, mais n’informent pas ce dernier des tractations. Ils prennent même un soin particulier à le tenir éloigné du dossier craignant que Drogba ne refuse un départ et ne fasse capoter « l’opération du siècle ».
Pendant que leur avant-centre parcourt l’Afrique avec sa sélection pour le compte des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations et de la Coupe du monde 2006, l’OM fait avancer le dossier. Son président, Christophe Bouchet, négocie avec le chief executive de Chelsea, Peter Kenyon, dans le plus grand secret. Inquiet de ce qui se trame dans son dos, alerté par les médias qui ne parlent que de lui, Didier Drogba appelle régulièrement son entraîneur José Anigo et Pape Diouf. À chaque fois, ils le rassurent. Jusqu’au jour où Diouf est contraint de rejoindre son ancien client à Yaoundé pour l’entretenir de l’avancée soudaine des négociations avec Chelsea, quelques minutes après la fin du match qui opposait la Côte d’Ivoire au Cameroun, début juillet.
Drogba encaisse très mal le coup. Son départ apparaît alors inéluctable. Déçu par l’attitude de ses dirigeants, conscient de la manne représentée par son transfert et tout de même attiré par le défi qui s’offre à lui, il finit par céder. « Moi, j’étais parti pour rester. Et puis il y a eu ce fameux 3 juillet où Pape m’a annoncé l’offre de Chelsea. J’ai pris un coup au moral. Si j’avais écouté mon coeur, je serais resté ici, où j’ai vécu des moments inoubliables. Mais il y a aussi la raison qui parle… », explique-t-il. Une raison en espèces sonnantes et trébuchantes contre laquelle les notions d’envie et d’attachement ne pèsent pas toujours lourd. L’émotion contre les millions : le match est par trop inégal dans un monde où le business est devenu roi.
Dans l’opération, Chelsea récupère un des meilleurs attaquants du moment en Europe. Quant à Didier Drogba, il s’apprête à apprendre le coupé-décalé, cette danse ivoirienne à la mode qu’il exécute après chacun de ses buts, aux fans anglais. Et peut-être qu’un jour, comme il l’a confié, il reviendra dans son jardin du Vélodrome. Celui qui a vu l’éclosion du « phénomène Drogba », la star que l’Afrique attendait depuis la retraite d’un certain Weah…
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