Tanzanie : bailleurs et donateurs perdent patience face à la dégradation des droits de l’homme
Certains ont déjà suspendu des millions de dollars de don ou de crédit tandis que d’autres menacent de passer à l’action : les bailleurs de fonds et donateurs de la Tanzanie perdent patience face à la dégradation des droits de l’homme sous la présidence de John Magufuli.
Union européenn (UE)e, Banque mondiale et Danemark ont récemment pris des mesures sanctionnant la politique menée depuis l’entrée en fonction du chef de l’État fin 2015.
Entre violations de la liberté de la presse et d’expression, répression des opposants ou attaques et tortures visant des défenseurs des droits de l’homme, les accusations à l’encontre de M. Magufuli, salué pour sa lutte contre la corruption mais qualifié d’autocrate par ses détracteurs, ne sont pourtant pas nouvelles.
« L’Union européenne et certains de ses pays membres, ainsi d’ailleurs que les États-Unis, ont attiré à plusieurs reprises l’attention du gouvernement sur la situation des droits de l’homme », souligne un diplomate européen en poste à Dar es Salaam. « Malgré cela, la situation continue de se détériorer, il fallait alors passer à la vitesse supérieure », dit-il.
Si les critiques ne semblaient jusqu’à présent guère inquiéter le président Magufuli et son parti, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), la situation a changé après l’annonce fin octobre par le gouverneur de Dar es Salaam, Paul Makonda, d’une campagne appelant à dénoncer les homosexuels afin de les arrêter et de les traduire en justice.
Coup de froid
Mi-novembre, l’UE a annoncé réexaminer son aide financière à ce pays d’Afrique de l’Est, se disant « très préoccupée par la détérioration de la situation des personnes LGBT », et de manière plus générale par le « rétrécissement de l’espace public en Tanzanie ». Quelques jours plus tôt, l’UE avait déjà rappelé son ambassadeur en Tanzanie, un incident que le gouvernement Magufuli avait tenté en vain de minimiser.
La décision de l’UE de réexaminer son aide a coïncidé avec celle de la Banque mondiale de geler un prêt de 300 millions de dollars (265 millions d’euros) pour l’éducation des filles, en guise de protestation contre une mesure visant à expulser des écoles les jeunes femmes enceintes et leur interdisant de poursuivre leur scolarité après l’accouchement.
Au même moment, le Danemark a annoncé le retrait de 10 millions de dollars (8,8 millions d’euros) d’aide à la Tanzanie, une décision justifiée par la ministre danoise du Développement Ulla Toernaes par des « propos homophobes inacceptables ».
Mi-décembre, quatre sénateurs américains ont demandé la création d’un front commun avec « des partenaires diplomatiques » afin de faire pression sur le gouvernement tanzanien, qui a entre-temps souligné que la campagne homophobe lancée par Paul Makonda « ne reflète pas la position officielle mais les vues personnelles » du gouverneur, mais il peine à convaincre.
Dans ses déclarations publiques, M. Magufuli continue d’ailleurs de clamer que « la Tanzanie est sur la bonne voie », et que ce coup de froid avec les bailleurs de fonds n’est que le fait de « ceux qui ne veulent pas du bien à notre pays ». Il ne manque également pas de flatter la Chine, un partenaire qui passera de précieux à vital en cas de durcissement des mesures occidentales.
« Les Chinois sont nos amis, de vrais amis de longue date », a–t-il récemment déclaré lors de l’inauguration d’une bibliothèque ultramoderne construite grâce à un don de la Chine, dont l’aide « n’est pas assortie de conditions ».
« Piège »
« Il est possible qu’il [Magufuli, ndlr] change de cap, qu’il fasse preuve de flexibilité, si la pression se maintient », analyse Jenerali Ulimwengu, un influent avocat et ancien diplomate tanzanien. « Il ne peut en tout cas pas compter sur les seuls Chinois, qui ne peuvent pas fournir toute l’aide nécessaire ».
Quant au diplomate européen basé à Dar es Salaam, il se dit « bien conscient » que les premières victimes de la suspension des prêts et donations sont « les populations locales ». « Mais il est possible de faire passer l’aide par d’autres canaux, notamment les organisations de la société civile ».
« Les ponts ne sont pas coupés, les discussions sont en cours et nous espérons que le gouvernement tanzanien finira par comprendre que développement et respect des droits de l’homme doivent aller ensemble », dit-il. D’autres se montrent toutefois critiques.
« Soudainement mettre un terme à une aide peut avoir de graves conséquences involontaires pour des projets importants et complexes », s’inquiète Fintan Warfield, un sénateur irlandais ouvertement homosexuel, dans une tribune parue le 20 novembre en réponse à certains appels au gouvernement irlandais à revoir son aide à la Tanzanie.
Tout en affirmant l’importance de défendre « avec robustesse » les LGBT en Tanzanie, il fustige l’utilisation de l’aide « comme outil politique qui peut être accordé ou retiré pour obliger des États plus faibles à agir comme nous le souhaitons. Nous devons faire attention à ne pas tomber dans ce piège ».
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