Premiers pas présidentiels

Nouveau venu sur la scène politique, le chef de l’État place ses hommes et se lance dans la lutte contre la corruption.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

Investi président de l’Union des Comores le 26 mai dernier, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi fait ses premiers pas en tant que chef d’État, un rôle auquel il ne semble pas avoir été spécialement préparé. Du parcours du nouvel élu, on a surtout évoqué les convictions religieuses et les talents de prédicateur. Un peu trop au goût de l’intéressé, qui n’a pas manqué de s’en indigner dans l’allocution prononcée le jour de sa prestation de serment : « Tout au long de la campagne électorale, une image négative, relayée par la presse internationale, m’a été collée. Mais je tiens à préciser que si être islamiste, c’est se comporter dans le respect des valeurs morales et culturelles de notre pays, alors je suis islamiste ; si être islamiste, c’est s’engager pour la justice et témoigner de la compassion aux plus démunis, alors je suis islamiste. » Longuement interrogé sur ses intentions en matière religieuse avant son élection, celui que l’on surnomme l’Ayatollah est en revanche resté plus flou quant à son programme politique, articulé autour de deux thèmes majeurs : « l’établissement d’une justice impartiale et la lutte contre l’habitat insalubre et la précarité. »
Passée la cérémonie d’investiture, les Comoriens ont repris leur vie quotidienne et la Mission de l’Union africaine pour la sécurisation des élections aux Comores (Amisec) a plié bagage le 10 juin « avec la satisfaction du travail accompli », juste après l’installation de la nouvelle équipe nommée le 28 mai. Première caractéristique de ce gouvernement, le nombre restreint des ministres. Outre les deux vice-présidents, le Grand-Comorien Nadhoim Idi et le Mohélien Ikililou Dhoinine, il compte seulement six membres (dont une femme), contre treize précédemment. Ce faible effectif oblige les nouveaux promus à cumuler les casquettes. Tous les portefeuilles sont confiés à des jeunes technocrates (43 ans de moyenne d’âge), sans attache politique ni expérience du pouvoir. « J’ai choisi les membres du gouvernement non pour leurs origines géographiques mais pour leur compétence et leur intégrité », a expliqué le chef de l’État, qui précise qu’il n’avait « pas de gâteau à partager mais plutôt des responsabilités à confier ». Reprenant l’un de ses slogans de campagne, Sambi a expliqué que la devise de l’action gouvernementale sera « de servir et non de se servir », tout en précisant qu’il n’hésitera pas à sanctionner tout membre de son entourage qui trahira cet idéal.
Le chef de l’État a également opéré une réduction drastique du personnel politique au palais de Beit-Salam, siège de la présidence de l’Union, en ne nommant que sept conseillers, contre près d’une vingtaine dans le cabinet précédent. Parmi ses hommes de confiance figure Mohamed Abdoulwahabi, directeur de cabinet chargé de la Défense ; il est l’une des rares personnalités expérimentées, puisqu’il a été successivement ministre de l’Intérieur et de la Justice sous les régimes des présidents Djohar et Taki. Mais aussi le secrétaire général de la présidence, Mohamed Bacar Dossar, connu pour avoir été directeur de projet pour la Banque mondiale. Enfin, le cabinet militaire revient au capitaine Abdoul Bastoi Ahmed Abdou. Ce jeune officier a fait partie du groupe de gradés sanctionnés par leur hiérarchie pour avoir fait part du malaise régnant au sein de l’état-major de l’armée.
Le cabinet présidentiel a déjà fait quelques annonces importantes, notamment dans la lutte contre les détournements de biens publics et la corruption, affichée comme une priorité. Première décision, l’interdiction faite à trente-cinq hauts fonctionnaires du régime Azali de quitter le territoire « sans autorisation préalable du ministre des Relations extérieures ». Cette « note d’empêchement » concerne essentiellement des directeurs généraux et des responsables financiers des sociétés d’État, des directeurs, contrôleurs et receveurs des douanes et des services des impôts, ainsi que des ministres ayant eu compétence sur les domaines de l’Économie et des Finances. Figurent cependant sur cette liste l’ancien ministre des Relations extérieures, Abdou Soefo, cité en tant qu’ancien directeur général de la société chargée de l’importation des hydrocarbures. À noter aussi la présence de Caambi Elyachroutu, ancien vice-président qui avait la charge de la Santé et de la Solidarité. Cette liste a été présentée comme une « mesure de prudence après que le nouveau gouvernement eut découvert que les caisses de l’État étaient presque vides », ont expliqué les nouveaux dirigeants. ?Ces fonctionnaires ne sont pas mis ?en cause, précise Mohamed Abdoulwahabi, mais « leur présence est indispensable pour répondre aux interrogations de la commission qui est chargée d’auditer ces entreprises publiques ».
Également en charge de la Défense, le directeur de cabinet du président est très pris par l’organisation de la fête nationale qui doit se tenir (en partie) à Anjouan le 6 juillet prochain. Une première d’autant plus symbolique qu’elle devrait permettre de « réunifier » l’armée comorienne, le temps d’un défilé. Depuis la crise séparatiste qui a divisé l’archipel en 1997, les forces armées cantonnées sur la Grande-Comore et la gendarmerie anjouanaise ont totalement coupé les ponts. En insistant pour que les deux corps participent conjointement à la cérémonie militaire prévue à Mutsamudu, le nouveau régime pourrait réussir un tour de force, préalable à une véritable réunification des entités insulaires comoriennes.
C’est aussi dans cette perspective que les cadres du nouveau régime ont rencontré les présidents des exécutifs insulaires. En instaurant le dialogue avec les dirigeants de chaque île, le pouvoir central compte bien faire passer un certain nombre de lois, notamment celles sur le fonctionnement de la justice et sur la sécurité intérieure. Avec pour objectif de préserver suffisamment les prérogatives de l’Union et éviter une dilution de pouvoirs – traditionnellement régaliens – face aux particularismes locaux. Aussi les prochaines dispositions qui seront prises sur la répartition et le contrôle des recettes publiques seront-elles déterminantes. En conservant au pouvoir fédéral son rôle d’arbitre en matière judiciaire, militaire et financière, c’est la nature même de sa fonction que le président de l’Union veut rendre incontestable. Et qui mieux qu’un fils d’Anjouan pourra faire accepter à son île, longtemps minée par les démons du séparatisme, de telles concessions.

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