Palmiers high-tech

Comment relancer le secteur primaire et réduire l’exode rural en multipliant les oasis à l’aide de plants génétiquement sélectionnés.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

Des paysages lunaires. De la rocaille à perte de vue. Un climat parmi les plus arides et les plus inhospitaliers de la planète. Un thermomètre dépassant allègrement les 50 °C à l’ombre entre mai et août, pendant la saison chaude. Une végétation rare. Une population de pasteurs habitués, depuis les temps immémoriaux, à emprunter des chemins de transhumance, aux confins de l’Éthiopie, de l’Érythrée et de la Somalie. Djibouti, on en conviendra, n’offre pas vraiment un cadre propice au développement de l’agriculture sédentaire. Pourtant, aux lendemains de l’indépendance, Hassan Gouled Aptidon avait essayé de mettre en place, un peu partout sur le territoire, des coopératives agricoles. Sans succès. Faute de gestionnaires avisés, la Révolution verte a tourné court. La « ferme modèle » du président Gouled, implantée à la hauteur du PK 20, sur la route d’Arta, est aujourd’hui en ruine : des bâtiments désaffectés, poussiéreux, à moitié détruits. « Cette coopérative, c’était une folie, se souvient un ingénieur agronome. Le projet n’était pas viable. On y faisait pousser de tout, du blé au jojoba. Les champs étaient alimentés par huit forages, qui ont asséché la nappe phréatique. On produisait, mais c’était hors de prix : 1 kg de tomates revenait à 1 000 francs djiboutiens [près de 5 euros]. »
Une fois ce douloureux échec consommé, plus personne ne s’est aventuré à parler d’agriculture, et l’ancien Territoire français des Afars et Issas s’est installé dans une situation de totale dépendance alimentaire. Aujourd’hui encore, tout ou presque y est importé. Le Dr Nabil Mohamed, qui dirige l’Institut des sciences de la vie, un organisme rattaché au Centre d’études et de recherches de Djibouti (Cerd), veut croire qu’il est possible d’inverser cette tendance. Cet universitaire âgé d’une quarantaine d’années, formé à Clermont-Ferrand, dans le centre de la France, et spécialiste en biotechnologies, est à la tête d’un ambitieux projet : introduire et développer la culture du palmier-dattier à Djibouti. Pourquoi le palmier-dattier ? « Cet arbre est parfaitement adapté aux milieux arides, répond le chercheur. Il a été introduit à Djibouti vers le XVIIe siècle par les Turcs. Au début du XXe siècle, des commerçants yéménites ont créé la palmeraie d’Ambouli. Le palmier-dattier résiste à la chaleur et à la salinité des sols et des eaux. Son fruit est extrêmement nourrissant : cinq dattes représentent un apport de 150 calories. Et dans une palmeraie, à l’ombre et en dessous des palmiers, qui doivent être espacés de 7 à 8 mètres, on peut faire pousser des cultures en étage, sur plusieurs niveaux, et diversifier ainsi ses sources de revenus : des arbres fruitiers, citronniers, grenadiers, manguiers, et encore en dessous, des cultures maraîchères, comme les tomates ou les melons. »
Le « projet palmier-dattier » est une initiative présidentielle. Le laboratoire de l’Institut des sciences de la vie, financé sur fonds propres par l’État djiboutien, a d’ailleurs été inauguré, le 1er mars dernier, par Ismaïl Omar Guelleh en personne. « Grâce aux biotechnologies, il est maintenant possible de sélectionner les variétés les mieux adaptées à notre climat, en l’occurrence le palmier mejdoul, très répandu au Maghreb. Et de cultiver in vitro des plants, pendant trois ans. Il suffit pour cela de prélever quelques cellules dans un cur de palmier et de les faire se multiplier dans des éprouvettes en milieu stérile. » La technique, complexe mais maîtrisée par les équipes du Dr Nabil, présente deux avantages décisifs : la sûreté et le prix. Les promoteurs des futures palmeraies sont assurés de disposer des milliers de plants identiques, de même âge, de même qualité et de même rendement. Qu’ils achèteront à une vingtaine de dollars l’unité. Dans le commerce, un plant de palmier se négocie aux alentours de 60 dollars chez les pépiniéristes du Golfe. Une fois plantés, les arbres mettent trois ans avant de donner leurs premiers fruits. Un palmier produisant près de 100 kg de fruits par an, et les dattes étant vendues à environ 1 000 francs djiboutiens (FD) le kilo, l’investissement de départ est vite amorti.
Le Dr Nabil a installé quelques hectares de parcelles de démonstration, et envisage de débuter la commercialisation d’ici un à deux ans. Il faudra, d’ici là, former les futurs exploitants aux techniques complexes de la phniciculture. Depuis des siècles, l’agriculture de palmeraie a fait ses preuves au Sahara et dans la péninsule Arabique. Mais c’est un système qui requiert un savoir-faire ancestral et suppose un travail considérable. Plusieurs tentatives de transplantation en milieu exogène de périmètres irrigués oasiens effectuées en Afrique de l’Est (notamment en Éthiopie après la grande famine des années 1983-1984) ont tourné court. À Djibouti même, l’expérience des palmeraies administratives s’est soldée par un cuisant échec.
Le projet actuel des autorités djiboutiennes dépasse, et de beaucoup, le simple cadre agricole. Il est politique et s’inscrit dans une logique de correction des déséquilibres territoriaux. Entre le quart et le tiers de la population djiboutienne est nomade. Son mode de vie est gravement menacé par les changements climatiques. Le cheptel a été multiplié par quatre au cours des trente dernières années, mais il est en mauvaise santé. Les pâturages régressent, car la pluviosité a diminué de 30 % au cours de cette même période. Cette tendance inquiétante est appelée à se poursuivre. Chassés par la misère, de plus en plus de ruraux affluent à la périphérie de Djibouti et s’installent dans des bidonvilles dans l’espoir de profiter de l’essor des activités portuaires. La pression démographique a atteint la limite du supportable dans la capitale, où vivent maintenant près de six Djiboutiens sur dix. Les autorités tentent d’enrayer le phénomène, en usant, au besoin, de la manière forte : des heurts entre la police et des occupants illégaux ont fait cinq morts et huit blessés dans le quartier d’Arhiba, en novembre 2005. En ouvrant de nouvelles perspectives économiques aux nomades des districts de l’intérieur, les oasis artificielles peuvent contribuer de façon décisive à la lutte contre la désertification des districts de l’intérieur.
« Et puis, ajoute le Dr Nabil, le palmier-dattier est un arbre chargé de symboles. Il parle au cur et à l’âme musulmane. Il est cité dans le Coran. On consomme son fruit pour rompre le jeûne du ramadan. » Si elle est couronnée de succès, l’expérience menée par les chercheurs de l’Institut des sciences de la vie du Cerd pourrait faire tache d’huile dans les pays de la sous-région. Car Éthiopiens, Kényans, Somaliens et même Ougandais sont confrontés, dans certaines parties de leur territoire, à des problèmes écologiques similaires à ceux que rencontrent les Djiboutiens.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires