Lune de miel

Grand consommateur de matières premières et d’énergie, l’empire du Milieu se tourne de plus en plus vers le continent pour assurer ses approvisionnements en pétrole et en minerais, tout en renforçant sa présence sur le plan des échanges commerciaux.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao s’est rendu, du 17 au 24 juin, dans sept pays africains : l’Égypte, le Ghana, le Congo-Brazzaville, l’Angola, l’Afrique du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie. Une tournée qui vient s’ajouter à celles du président Hu Jintao, en avril, et du ministre des Affaires étrangères Li Zhaoxing, en janvier. En six mois, les trois hommes ont visité au total quinze pays du continent. Les raisons de cette offensive diplomatique sans précédent sont évidentes. Pays en pleine expansion, la Chine est atteinte d’une boulimie qui l’oblige à consommer toujours plus d’énergie et de matières premières pour répondre aux énormes besoins de son économie. D’où l’importance qu’elle accorde à ses relations avec l’Afrique, où elle peut assurer ses approvisionnements en pétrole et en minerais, tout en renforçant sa présence sur le plan des échanges commerciaux.
Nous sommes loin des années 1960 et 1970, quand la présence chinoise sur le continent était, pour beaucoup de pays africains, synonyme de subversion et de soutien à des « révolutionnaires » de tout poil. C’était l’époque de la guerre froide et Pékin était en concurrence directe avec Moscou, tout en affichant une certaine discrétion. Quant aux réalisations des Chinois, elles se limitaient, hormis le chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie – le fameux Tanzam -, à quelques expériences agricoles ou à la construction ici d’un palais du peuple, là d’un stade. Aujourd’hui, les choses ont complètement changé : l’Afrique occupe une place de choix dans les échanges de la Chine.
D’après les statistiques officielles chinoises citées par le Financial Times, les échanges bilatéraux entre la Chine et le continent ont augmenté de 35 % en 2005, ce qui représente 39,7 milliards de dollars (31,4 milliards d’euros), soit un quadruplement depuis 2001. En quelques années, la Chine a supplanté la Grande-Bretagne pour devenir le troisième partenaire de l’Afrique, derrière les États-Unis et la France. Dans son Rapport de conjoncture et prévisions des pays de la zone franc publié le 8 juin, l’Agence française de développement (AFD) constate, pour sa part, qu’« entre 2000 et 2004, la part de l’Afrique dans le commerce extérieur chinois a triplé. Aussi la Chine est-elle devenue, en 2005, le premier fournisseur de l’Afrique, devant la France et l’Allemagne, et son deuxième client, derrière les États-Unis. » Pétrole, minerais, bois, coton, tel est l’essentiel des exportations du continent vers la Chine. En 2005, près du tiers du pétrole importé par Pékin venait d’Afrique.
Les pays du continent importent de Chine « des tissus, des biens de consommation (habillement, chaussures, téléviseurs, motocyclettes) » et « déjà, note l’AFD, les premières voitures chinoises font leur apparition en Afrique ». À cela s’ajoutent notamment du matériel informatique et de la téléphonie. Selon l’AFD, « l’offre industrielle chinoise est bien adaptée à la demande africaine. De façon générale, les produits chinois ne se substituent pas à des productions locales mais représentent une concurrence redoutable pour des produits d’importation plus onéreux. En ce sens, les importations de produits chinois sont parfaitement susceptibles d’améliorer le bien-être des populations. »
Actuellement, 800 à 900 entreprises chinoises sont implantées en Afrique et opèrent dans des secteurs aussi divers que les mines, le pétrole et la construction d’infrastructures. La plupart de ces entreprises sont soutenues par leur gouvernement, qui leur accorde certaines facilités afin de les inciter à investir, avec obligation de résultats. Un peu partout, Pékin gagne du terrain. En Angola, le chinois Sinopec a des intérêts dans trois importants champs pétrolifères offshore aux côtés de la compagnie nationale angolaise Sonangol. Il participe également à l’exploitation d’un bloc opéré par le britannique BP. Ce n’est sans doute pas un hasard si, au cours de son voyage, le Premier ministre chinois a accordé à l’Angola un crédit de 3 milliards de dollars pour lui permettre de réhabiliter ses infrastructures détruites pendant la guerre civile.
Mais c’est au Nigeria, premier producteur africain de pétrole, que les Chinois ont réalisé une percée remarquable. Ils ont déboursé 2,7 milliards de dollars pour acquérir des parts dans un bloc pétrolier. C’est leur plus grande acquisition dans l’industrie pétrolière africaine, jusqu’ici chasse gardée des multinationales américaines et européennes. Au Ghana, deuxième producteur d’or du continent, la Chine a promis un prêt de 66 millions de dollars pour l’amélioration du réseau des télécommunications et d’autres projets. Les Ghanéens espèrent aussi obtenir un financement de 600 millions de dollars pour la construction d’un barrage hydroélectrique. La différence entre les investisseurs occidentaux et chinois, c’est que ces derniers acceptent d’aller là où les autres se retirent ou refusent de placer leur argent.
L’étape de Pretoria est sans doute la plus importante du périple de Wen Jiabao. Pour la Chine, l’Afrique du Sud est un partenaire stratégique. Signataires toutes les deux du Nouveau Plan stratégique Afrique-Asie, les deux pays entendent renforcer leurs relations économiques et politiques. En termes économiques, l’Afrique du Sud est de loin le plus grand partenaire commercial africain de la Chine : elle représente 20 % de l’ensemble des échanges entre le continent et l’empire du Milieu. Entre 2003 et 2004, le commerce entre Pékin et Pretoria a augmenté de 59 %. Les importations chinoises – or, diamant, platine, acier, aluminium notamment – ont progressé de 60,9 %, tandis que les exportations sud-africaines enregistraient une hausse de 44,5 %. En 2004, 77 nouvelles entreprises chinoises se sont implantées en Afrique du Sud, où vivent quelque 100 000 Chinois.
L’Afrique du Sud est également le seul pays africain à avoir investi en Chine, à travers quelques-unes de ses entreprises. On peut citer les brasseries SAB Miller, leader mondial du secteur, la compagnie minière Anglo-American, ou encore le fabricant de papier Sappi. L’empire du Milieu a par ailleurs besoin du savoir-faire sud-africain dans certains domaines, comme la recherche sur des nouvelles sources d’énergie. C’est le cas d’un système de production d’énergie à partir du charbon dont les Sud-Africains ont la maîtrise et qui intéresse vivement les Chinois.
Mais des nuages sont venus assombrir quelque peu cette idylle. Depuis quelques années, l’industrie textile sud-africaine est en péril. Plusieurs entreprises ont dû mettre la clef sous la porte, entraînant la suppression de dizaines de milliers d’emplois. Pour les chefs d’entreprise et les syndicats, cette situation est due à la déferlante de produits chinois, de mauvaise qualité et moins chers. Argument récusé par les autorités de Pretoria, qui rétorquent que ce n’est pas le seul problème. Pourtant, elles ont tenu compte du mécontentement du secteur et en ont fait part à leurs partenaires chinois. Le voyage de Wen Jiabao a été l’occasion de chercher un accord : il s’agira pour la Chine de réduire ou de supprimer ses exportations de textiles vers l’Afrique du Sud.
La situation est identique dans les autres pays du continent. Les textiles chinois ont entraîné la faillite, notamment, des célèbres Nana Benz togolaises, dont la fortune provenait essentiellement de la vente de tissus wax. D’aucuns estiment même que beaucoup de pays auront du mal à développer, voire à créer, leur propre industrie textile à cause de la féroce concurrence chinoise. Cette inquiétude ne laisse pas les Chinois indifférents. Ils ont maintenant conscience de la « capacité de nuisance » de certains de leurs produits dans les pays africains. Ils craignent, selon certaines sources, que leur pénétration du monde pétrolier au Soudan, en Angola ou au Nigeria ne devienne une arme à double tranchant. Li Zhibiao, chercheur en questions africaines à l’Académie chinoise des sciences sociales, à Pékin, cité par le Financial Times, en est persuadé. Pour lui, la China National Petroleum Corporation (CNPC), la compagnie pétrolière nationale, pourrait être l’objet d’attaques au Nigeria ou au Soudan si les populations locales ne profitent pas de sa présence. Pour éviter de tels déboires, les Chinois devraient se mettre à construire beaucoup plus d’écoles et d’hôpitaux. Mais l’histoire d’amour entre la Chine et l’Afrique se poursuit. Pour le meilleur et pour le pire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires