Les dossiers de Banjul

Côte d’Ivoire, Somalie, Tchad-Soudan : comme à l’accoutumée, les pays en crise risquent de monopoliser le sommet des chefs d’Etat.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

D’un sommet de l’Union africaine (UA) à l’autre, de celui de Khartoum en janvier dernier à celui de Banjul, les 1er et 2 juillet prochain, du plus vaste pays du continent à l’un des plus petits, seul le décor change. Sinon, c’est le même cérémonial pour l’ouverture officielle des travaux, sauf que cette fois elle sera précédée de la célébration du 25e anniversaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dont le siège se trouve justement à Banjul et clôturée par la prestation de serment des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. C’est aussi le même exercice formel avec quelques figures imposées faites d’une litanie de communications qui passent en revue une série de sujets au pas de charge. À quelques exceptions près, dont le tout nouveau président béninois Boni Yayi, les acteurs sont les mêmes et les points à l’ordre du jour également. Même si, dans le Conference Hall de la capitale gambienne, les chefs d’État et de gouvernement se pencheront officiellement sur le thème « Rationalisation des communautés économiques régionales et intégration régionale ». Et aborderont les différents rapports épluchés quelques jours plus tôt par le Conseil exécutif (la conférence des ministres, réunie les 28 et 29 juin).
Il s’agit notamment du rapport préparé par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA, de celui du groupe des sept chefs d’État sur les États-Unis d’Afrique, en passant par le document tiré du sommet spécial de l’UA sur le VIH-sida, la tuberculose et le paludisme (2-4 mai à Abuja), par celui du Comité composé de dix de leurs pairs sur la réforme des Nations unies ou par le dossier des « éminents juristes africains » sur les « options pour juger » l’ex-dictateur tchadien Hissein Habré, poursuivi de longue date devant la justice belge. Sans oublier d’autres points que certains États membres ont souhaité voir discutés : création d’un centre africain d’étude et de recherche sur la migration ; position commune face à la politique européenne en matière d’immigration ; ratification de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, projet de charte pour la démocratie
Et, comme souvent lors de la grand-messe panafricaine, il y a le suivi des « affaires courantes », les conflits en cours de règlement pas toujours mentionnés noir sur blanc dans l’ordre du jour, mais qui entretiennent l’espoir et donnent quelque motif de satisfaction : la RD Congo, qui s’apprête à organiser les premières élections générales indépendantes de son histoire, le Burundi où les derniers rebelles hutus ont fini par engager des négociations avec le pouvoir issu de la transition. Il y a aussi les autres grands enjeux, qui phagocytent tout le reste et vont, comme d’ordinaire, susciter débats houleux et apartés complices dans le Conference Hall ou au Sheraton Gambia, où seront logés certains des chefs d’État et de gouvernement. Ainsi de la Côte d’Ivoire, dont le processus de sortie de crise, qui doit faire l’objet d’une communication du président en exercice de l’UA, le Congolais Denis Sassou Nguesso, entretient encore l’inquiétude sur le continent et au sein de la communauté internationale.
La feuille de route du Premier ministre Charles Konan Banny accuse un tel retard qu’il paraît d’ores et déjà acquis que la présidentielle ne pourra pas se tenir le 31 octobre prochain au plus tard, comme prévu. Un « retard technique », précisent les plus optimistes, mais qui n’en pousse pas moins certains acteurs politiques ivoiriens à poser la question de la prolongation du bail du chef de l’État Laurent Gbagbo. Le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, attendu à Banjul, avait prévenu il y a plusieurs semaines déjà que l’arrangement qui avait débouché sur l’actuel attelage à la tête du pays ne serait pas automatiquement reconduit si les délais, du fait de l’un ou l’autre des acteurs, n’étaient pas respectés. Mais on n’en est pas encore là. Et à Banjul, deux autres sujets pourraient bien donner lieu à de réelles empoignades et de vraies fâcheries.
D’abord, le Darfour. L’accord d’Abuja, paraphé le 5 mai dernier par le gouvernement de Khartoum et un mouvement rebelle sur trois, n’est toujours pas véritablement entré en vigueur. D’autant que le conflit de leadership au sein du Mouvement de libération du Soudan (MLS), l’une des parties signataires, qui a éclaté à la mi-juin risque de tout remettre en question. Et ce n’est pas la seule menace : alors que la faiblesse de ses moyens financiers et logistiques a contraint le Conseil de paix et de sécurité de l’UA à faire appel à l’ONU pour que la force africaine de maintien de la paix (composée essentiellement de Nigérians et de Rwandais) soit remplacée par des Casques bleus onusiens, Khartoum se rebiffe et ne veut rien entendre. Lors d’un meeting, le 20 juin, le président soudanais Omar Hassan el-Béchir a solennellement fait le serment de diriger lui-même la résistance armée contre la force multinationale assimilée à une forme d’occupation militaire. Le président sud-africain Thabo Mbeki, qui a rencontré Béchir le 21 juin à Khartoum, n’a pu tout désamorcer.
Autant dire que le huis clos de Banjul risque d’être houleux. Car les positions divergentes restent figées et les États arabes membres de l’UA se sont engagés au sein de la Ligue arabe à refuser toute idée de déploiement d’une force onusienne. Déjà complexe, ce dossier l’est encore davantage à cause du bras de fer tchado-soudanais. Annoncé à Banjul, Kadhafi, médiateur de paix dans l’espace de la Communauté sahélo-saharienne (Censad), devrait renouveler ses bons offices, jusque-là demeurés vains, alors que le chef de l’État tchadien Idriss Déby Itno menace de saisir directement le Conseil de sécurité de l’ONU.
Ensuite, la Somalie, qui figure dans la rubrique « conflits » de l’ordre du jour des sommets africains depuis quinze ans. Sans, il est vrai, provoquer de débat passionné. À Banjul, il pourrait en être autrement. Notamment à cause de l’actualité, de la menace d’extension du conflit à l’ensemble de la région et de l’implication des États-Unis. Avant décembre 2005, date d’installation du président somalien Abdallah Youssouf Ahmed et de son gouvernement de transition, il y avait eu déjà treize tentatives de doter ce pays d’institutions, dont il est privé depuis la chute de Siad Barré, en janvier 1991. Amputé du Somaliland, qui a officiellement déposé sa demande d’adhésion à l’UA lors du sommet de Khartoum en janvier dernier et qui espère voir son cas étudié à Banjul, le pays a été livré à des seigneurs de guerre.
La victoire militaire des milices des tribunaux islamiques inquiète le voisin éthiopien. Car l’arrivée d’islamistes au pouvoir à Mogadiscio signifie aux yeux des autorités éthiopiennes le réveil de l’irrédentisme des populations de l’Ogaden. En outre, Addis-Abeba redoute une réactivation du Front islamique de libération Oromo. Ces bruits de bottes aux frontières entre l’Éthiopie et la Somalie font craindre une extension de l’instabilité à l’ensemble des pays de la région. La défaite des seigneurs de guerre est largement imputable au soutien que leur a ostensiblement accordé Washington. C’était le meilleur moyen de se mettre la population à dos.
Présentés comme des talibans, les nouveaux maîtres de Mogadiscio ne veulent pas entendre d’une force de maintien de la paix, qu’elle soit africaine ou autre. Contrairement au gouvernement et au Parlement, qui ont donné leur feu vert pour le déploiement de l’Igasom, une force d’interposition composée de soldats ougandais et soudanais. Depuis, les milices islamiques ont décidé de boycotter le président Abdallah Youssouf Ahmed, accusé de complicité avec l’Éthiopie. L’accusation, prononcée par Cheikh Ahmed Cherif, coordinateur des Tribunaux islamiques, alors que le président somalien se trouvait à Addis-Abeba où il a été reçu par Patrick Mazimhaka, vice-président de la Commission de l’UA, n’a pas empêché des dirigeants de ces mêmes tribunaux islamiques de se retrouver, le 21 juin à Khartoum, autour d’une table avec une délégation du gouvernement intérimaire somalien. Avant que le dossier n’arrive à Banjul.

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