Les atouts de René Préval

Attelé à la reconstruction de son pays, le président de la plus ancienne république noire du monde attend beaucoup de l’aide internationale. Il est en visite à Paris.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 5 minutes.

Faire revenir Haïti dans le concert des nations, restaurer la paix civile et redresser l’économie : trois immenses chantiers attendent René Préval, élu pour cinq ans à la présidence de la République le 7 février 2006.

Une visite forte en symboles
Le retour d’Haïti sur la scène internationale passe, à partir du 28 juin, par une visite de trois jours à Paris du président Préval, qui sera reçu par Jacques Chirac. La rencontre a été préparée rapidement, car l’ambassadeur d’Haïti en France et le nouveau gouvernement, constitué le 6 juin, ont tardé à trouver leurs marques. Mais peu importe finalement si l’organisation de la visite a connu des ratés : elle reste symboliquement très forte, marquant un changement cap diplomatique majeur. Haïti est la première colonie française à s’être libérée de la métropole (dès 1804). En 2004, alors que le pays est secoué par une crise politique dont il est coutumier, la France n’avait pas envoyé de représentant de premier plan aux cérémonies du bicentenaire de l’indépendance Mais aujourd’hui, la France se sent obligée de se racheter. Autour de la visite de Préval, les gestes symboliques se multiplient. En Savoie, les officiels ont honoré le week-end dernier un célèbre Français d’origine haïtienne, le général Dumas, qui assura la défense de la frontière alpine de la France il y a deux siècles. Et le maire de Paris Bertrand Delanoë annoncera, le 28 juin, le nom du sculpteur choisi pour réaliser la statue de Dumas qui viendra remplacer celle déboulonnée par les Nazis pendant la guerre.
Les dirigeants français veulent montrer qu’ils ont compris l’importance de cette présence « amie » dans les Caraïbes. Cette dimension stratégique n’a jamais échappé à l’Organisation internationale de la Francophonie, qui a beaucoup uvré pour la sortie de crise d’Haïti. Abdou Diouf, son président, rencontrera d’ailleurs Préval le 30 juin.
Trois semaines plus tôt, le 6 juin dernier, Préval a reçu l’onction de l’Organisation des États américains, prélude au retour d’Haïti dans l’organisation régionale Caricom, qui l’avait suspendu après l’éviction controversée de l’ancien président Aristide, et dont il est le seul membre francophone. Cette étape permettra aussi de normaliser les relations avec les États-Unis, qui ont une longue histoire d’interventions militaires en Haïti, mais qui sont très présents dans son économie puisqu’ils absorbent 84 % de ses exportations (surtout des textiles) et lui fournissent 55 % de ses importations. Aux États-Unis, Haïti profite du précieux lobbying du Black Caucus, un groupe de pression qui rassemble des parlementaires africains-américains. Grâce à lui, Haïti peut espérer redevenir un partenaire après avoir été considéré comme un satellite frondeur.
Au nom de cette même solidarité historique entre Noirs, l’Afrique joue également un rôle dans l’avenir d’Haïti. Thabo Mbeki, qui a accepté d’accueillir Aristide après sa déchéance, fut d’ailleurs le seul chef d’État à assister aux cérémonies commémoratives du bicentenaire de l’indépendance. L’Union africaine s’est toujours intéressée au sort de ce « bout d’Afrique » en Amérique.

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L’ombre d’Aristide
La question du retour d’Aristide va rapidement se poser. L’ancien président, qui fut le mentor et marassa (« frère jumeau ») de « Ti-René », continue, directement et indirectement, de jouer un rôle sur l’île. À la suite des élections législatives de février-avril 2006, Préval, faute d’une majorité absolue pour son parti « Lespwa » (« l’espoir », en créole), a dû nommer le 17 mai un Premier ministre rassembleur, Jacques-Édouard Alexis. Et le nouveau gouvernement repose désormais sur une large coalition, incluant « Fanmi Lavalas » (« la famille de l’avalanche » ou du « déluge »), le parti d’Aristide.
Depuis le départ de celui-ci le 29 février 2004, le pays a vécu au bord du gouffre. La violence a été au moins endiguée grâce aux 7 500 soldats et 2 000 policiers de la Minustah, la mission de stabilisation de l’ONU. Après plusieurs reports, des élections ont été tenues le 7 février 2006. Préval a été élu dès le premier tour avec 50 % des voix. Ses adversaires ont contesté ce résultat, mais comme le candidat arrivé en seconde position n’avait obtenu que 12,5 % des votes, la polémique est rapidement retombée.
La restauration de la paix civile passe par les trois étapes de la démobilisation, du désarmement et de la réintégration des multiples milices suscitées par Aristide (les « Chimères ») ou spontanément apparues. Préval peut compter sur la Minustah et sur une assistance technique bilatérale, mais il devra se réserver assez de marge de manuvre pour éviter, dans un pays fier de son indépendance, le reproche de se soumettre aux diktats de l’étranger. La paix civile exige également une remise à niveau du système judiciaire et pénitentiaire, corrompu et délabré. Le gouvernement a pris l’engagement de procéder au plus vite aux élections locales qui parachèveront sa légitimité.
Quand on lui parle du retour d’Aristide, Préval noie le poisson. Il doit certes s’acquérir la neutralité bienveillante des Chimères et du Lavalas, mais pas au prix de s’aliéner les milieux conservateurs.

Économie : de belles cartes à jouer
Haïti souffre d’un manque de matières premières ; son agriculture est essentiellement tournée vers la subsistance. Il offre toutefois une main-d’uvre abondante et meilleur marché que les autres îles des Caraïbes, ce qui pourrait attirer des investisseurs américains, notamment dans l’industrie textile. Encore faut-il leur offrir un cadre politique et macroéconomique stabilisé pour éviter de retomber dans les erreurs passées : la Banque mondiale estime que les 360 millions de dollars de prêts consentis à Haïti en cinquante ans n’ont eu qu’un effet marginal sur son développement.
Sur le plan financier, Alexis a proposé au Parlement un budget de 1 milliard de dollars pour l’exercice 2006-2007, dont la moitié financée par l’aide internationale. Une mission du FMI est venue en mai à Port-au-Prince. Elle confirme une croissance de 2,5 % sur l’année en cours, mais déplore une inflation supérieure à 15 %. Peu satisfaite des propositions budgétaires d’Alexis, elle a défini des actions intérimaires, dans la perspective d’un programme dit de réduction de la pauvreté, assorti d’une réduction de la dette sous l’initiative dite PPTE (pays pauvres très endettés). L’objectif sera une croissance de 4 %, une inflation de 8 % et des réserves de change représentant sept semaines d’importations. Il manquera 80 millions de dollars, mais cette somme ne devrait pas décourager toutes les fées qui se pressent autour du berceau d’une démocratie renaissante.
Ce sera d’ailleurs un défi pour Préval que de se prêter aux innombrables initiatives bienveillantes prises par la communauté internationale et certains pays spontanément intéressés comme les États-Unis, la France et le Canada. Tous ces donateurs ont leur logique, leur conditionnalité, leurs contraintes politiques. À titre d’exemple de la lourdeur de leur coordination, le Cadre de coopération intérimaire dont la négociation avait débuté en 2004, a mobilisé plus de 250 experts issus de 26 agences bilatérales et multilatérales. Ce programme, prorogé jusqu’à décembre 2007, devrait inspirer les axes d’intervention des bailleurs de fonds qui se sont réunis le 23 mai à Brasília et se retrouveront le 25 juillet à Port-au-Prince.

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