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À la veille des scrutins présidentiel et législatif du 30 juillet, les ouvrages géopolitiques aussi bien que les opuscules partisans se multiplient.

Publié le 26 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

Pas un mois ne passe sans que de nouveaux ouvrages sur la République démocratique du Congo ne viennent remplir les rayonnages des libraires. L’ex-Zaïre, après le Rwanda, est devenu un phénomène littéraire à part entière, et peut-être bientôt cinématographique si Congo River, au-delà des ténèbres (voir J.A. n° 1960), le film du réalisateur Thierry Michel, venait à inspirer d’autres cinéastes. Journalistes, chercheurs, diplomates, politiques, hommes d’affaires, ecclésiastiques, qu’ils soient congolais, belges ou français, ont une date en tête : les premières élections présidentielle et législatives libres depuis l’indépendance du pays en 1965, le 30 juillet prochain. Enjeu : la stabilité du pays et l’exploitation de son potentiel hydroélectrique, l’un des principaux axes du Nouveau Programme économique pour le développement de l’Afrique (Nepad). Mais aussi une biodiversité exceptionnelle et des minerais très convoités par les industriels du monde entier. Ces scrutins ont également une valeur de test, les Nations unies ayant engagé la plus importante opération de maintien de la paix de l’histoire de l’institution (1 milliard de dollars par an).
Dans Géopolitique du Congo (RDC), Marie-France Cros et François Misser – l’une dirige la section Afrique au quotidien La Libre Belgique, l’autre est correspondant Afrique de la BBC à Bruxelles – reviennent sur les trente-deux années de dictature mobutiste et les deux guerres qui l’ont suivie. Un ouvrage, illustré par de nombreux tableaux, cartes et encadrés, paru en janvier 2006 aux éditions Complexe. Les auteurs décrivent les péripéties quotidiennes du processus de transition et de préparation des élections, et se risquent à décrypter les soubassements historiques et socioculturels qui régissent les comportements politiques et économiques en RDC. Mobutu a inspiré puis cultivé la fierté zaïroise, notamment à travers les nationalisations et la redistribution des richesses aux nationaux. Une manière d’asseoir son pouvoir et de libérer les Congolais de la colonisation infantilisante des Belges. Les auteurs stigmatisent la désinvolture avec laquelle le dictateur traitait la corruption : « Quelque temps après la zaïrianisation, n’entendit-on pas le chef de l’État conseiller publiquement à ses concitoyens, s’ils volaient l’argent public, de ne voler qu’un peu. » Avec la légalisation de la corruption naquit le sentiment général qu’un peu d’audace et d’opportunisme – « au Zaïre, on ne gagne pas sa vie, on attrape l’argent » – suffisent pour réussir. À Kinshasa, cet ouvrage a entraîné un réveil nationaliste. Le grand quotidien d’opposition Le Potentiel lui a reproché d’occulter la résistance de nombreux Congolais (Patrice Emery Lumumba est le plus célèbre) aux puissances « de l’argent ».
L’ouvrage de Jean-François Hugo, consultant international, La République démocratique du Congo. Une guerre inconnue (éditions Michalon) a reçu un meilleur accueil. Actuellement en mission à Kinshasa pour l’Union européenne, ce spécialiste de l’Afrique centrale décrit les dernières heures du Zaïre. Sa thèse : le génocide rwandais est le principal facteur de la première guerre du Congo qui entraîna la chute du régime du maréchal en 1997. Avant de se pencher sur le règne éphémère de Laurent-Désiré Kabila et le déclenchement de la seconde guerre en 1998. Les vastes ressources naturelles du pays (or, diamant, coltan, cuivre, cobalt) suscitant la convoitise des États voisins. Ces derniers s’acoquinent alors avec des seigneurs de guerre, des hommes d’affaires congolais et étrangers, des mercenaires et des politiques. Les foyers de tension se multiplient, le pays divisé semble voler en éclats jusqu’à l’instauration du Dialogue intercongolais et la signature d’un accord entre les forces politiques et les belligérants le 17 décembre 2002 à Sun City. Jean-François Hugo décrit méticuleusement le laborieux travail du gouvernement de réconciliation nationale, la poudrière du Kivu, les rivalités katangaises, la prolifération des armes et les réformes en cours dans l’armée et la police. Et finit par conclure que les clés de la pacification se trouvent aussi ailleurs, dans l’apaisement des tensions récurrentes avec l’Ouganda et le Rwanda.
The Political Economy of The Great Lakes Region in Africa (publié par l’auteur) et L’Afrique des Grands Lacs (L’Harmattan), de Stefaan Marysse et Filip Reyntjens, tous deux professeurs à l’université d’Anvers, respectivement président du Centre d’études de la région des Grands Lacs d’Afrique et de l’Institut de politique et de gestion du développement, donnent également des clés pour comprendre les troubles dans cette sous-région. Les chercheurs décryptent les relations de voisinage, l’appât des matières premières, le rôle des médias et la pauvreté des populations. Autre livre de référence, l’ouvrage collectif PostConflict Economics in Sub-Saharan Africa. Lessons from the Republic Democratic of the Congo, édité par le Fonds monétaire international (FMI) et coordonné par Jean A.P. Clément, qui illustre la difficile reconstruction d’une économie : assainissement des finances publiques, restauration du système bancaire, contrôle de l’inflation, retour à la programmation budgétaire.
Au Congo, les élections font également couler l’encre et suscitent les vocations d’écrivain et d’essayiste. Un des premiers à déclencher les hostilités fut Vital Kamerhe, secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti de Joseph Kabila. Dans Pourquoi j’ai choisi Joseph Kabila, publié par l’auteur, il met en exergue les qualités de son candidat qualifié d’homme des situations difficiles, d’homme de la rupture et de la paix. Le sémillant baron du PPRD sillonne actuellement le pays pour rallier les suffrages, avec un objectif en tête : faire élire Kabila. L’éditeur français L’Harmattan, spécialiste des pays en développement, a largement soutenu les écrivains locaux. Kabuya Kabamba Mbwebwe, le secrétaire général du Front patriotique, accuse les politiciens d’être les premiers coupables du marasme de leur pays dans La RD Congo malade de sa classe politique. Leur impuissance est mise en lumière par le récit, au jour le jour, des turpitudes d’un processus de transition sous l’égide d’une « communauté internationale culpabilisée et exaspérée ». L’« oiseau de mauvais augure » se montre particulièrement pessimiste : « Les politiciens mettent les bouchées doubles pour bien se positionner ou se repositionner. Le réflexe ethnique ou clanique a refait surface. Nombre d’entre eux sont rentrés dans leur territoire d’origine pour y entonner l’air tribal Cadeaux et promesses serviront à les faire élire, puis ils oublieront cet électorat conjoncturel. Décidément, les élections en RDC s’annoncent, comme au temps du Zaïre, sous le signe de l’ethnicisme et de la corruption. »
Économiste de formation, Jean-Louis Tshimbalanga en appelle à une nouvelle conception du citoyen dans L’Impératif d’une culture démocratique en République Démocratique du Congo. Il appelle les autorités à se doter d’une véritable politique en matière d’éducation et invite ses compatriotes à accueillir les étrangers pour tirer le plus grand bénéfice de la mondialisation.
Dans Je ne renie rien Je raconte…, José Patrick Nimy Mayidika Ngimbi, tour à tour avocat, président de l’Office national du logement, puis de la Cour suprême, directeur du bureau du président de la République, vice-Premier ministre et conseiller spécial du chef de l’État, narre l’histoire de sa cohabitation avec un dictateur à la réputation sulfureuse. Cette fresque consacrée aux années Mobutu d’un juriste qui se dit « rigoureux et intègre », est riche en anecdotes croustillantes (rapports avec le chef de l’État et les barons du régime, incidents diplomatiques…). L’auteur demande à ses concitoyens de ne pas faire l’amalgame concernant les Congolais qualifiés de « voleurs, pilleurs, assassins ». « Un jour, la République fera ses comptes Et pourquoi pas dans le cadre d’une Commission justice et vérité ? » suggère-t-il. En attendant, les élections doivent être libres et transparentes !
À noter également la parution prochaine d’un essai sur la responsabilité des intellectuels dans la crise en RDC. Son auteur, Freddy Mulumba Kabuayi, est directeur du quotidien Le Potentiel. Il abordera en fin connaisseur les relations entre l’intelligentsia et la politique.
Dans La Manipulation des médias congolais en période électorale (chez MédiasPaul, un éditeur local), Germain Nzinga Makitu, prêtre du diocèse de Matadi, dénonce la vulnérabilité de la presse nationale face au pouvoir politique et financier. L’ecclésiastique déplore l’absence de professionnalisme des médias lors de la sanglante répression par les forces de l’ordre des manifestations de l’opposition, le 30 juin 2005, en faveur de la tenue des élections. Beaucoup moins polémiste, Nestor Niambwana, ex-vice-gouverneur de la Banque centrale du Congo, a trouvé le temps d’écrire un recueil de poèmes intitulé Amour de la patrie (éd. La Pléiade congolaise), hymne à la paix et à la réconciliation nationale. Sera-t-il entendu ?

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