Quand le Festival découvre le réel

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

« Il faudra que le réalisateur ou la réalisatrice qui obtiendra la Palme d’or se soit montré(e) très conscient(e) du monde qui l’entoure » avait averti l’acteur et réalisateur américain Sean Penn, qui préside cette année le jury du Festival de Cannes. Et, de fait, un grand nombre de films présentés sur la Croisette se confrontent, d’une manière ou d’une autre, au réel. Mais rarement sous la forme d’un long-métrage documentaire traditionnel.
La présentation de l’un de ces « docs » peu conventionnels a d’ailleurs failli tourner à l’émeute, le 20 mai. À cause non d’un artiste du septième art, mais du ballon rond. Diego Maradona s’est en effet rendu à Cannes pour la première mondiale du film que lui a consacré Emir Kusturica, double Palme d’or (1985 et 1995). N’hésitant pas à se mettre lui-même en scène à la manière d’un Michael Moore, le cinéaste serbe propose un portrait lyrique, on ne peut moins objectif, on ne peut plus politique, mais toujours captivant, du génial footballeur argentin.
Aujourd’hui, la grande peur de Maradona, a-t-on appris entre deux replay de ses buts d’anthologie, n’est pas de retomber dans la drogue ou de rater un match de Boca Juniors, mais de voir le monde devenir « une colonie américaine ». Heureusement, cette hantise de l’impérialisme anglo-saxon ne lui a quand même pas fait perdre ce côté voyou facétieux qui a tant fait pour sa popularité. Évoquant sur la Croisette le but assassin qu’il marqua de la main – celle « de Dieu », bien sûr – pour bouter l’Angleterre honnie hors du Mundial 1986, peu après la guerre des Malouines, il a lâché, dans un éclat de rire : « C’était comme si j’avais volé son portefeuille à un Anglais ! » Maradona ne cache d’ailleurs pas son amour pour Fidel Castro (« le seul qui peut encore dire : je risque ma peau pour mon pays ») et, plus encore, Ernesto « Che » Guevara, dont le visage est tatoué sur son épaule.

DOCU-FICTION

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Cette analyse politique, certes sommaire, est curieusement presque absente du film-fleuve que consacre au « Che » un autre réalisateur détenteur d’une Palme d’or, l’Américain Steven Soderbergh. Formellement réussi et rarement ennuyeux, ce très, très long-métrage (4 h 30) présenté dans le cadre de la compétition réussit en effet l’exploit de conter les grands moments de l’épopée guevariste sans jamais s’interroger sérieusement sur leurs justifications et leurs conséquences politiques !
Dans le genre « docu-fiction », on a également pu voir Hunger, le film choc que le vidéaste britannique Steve McQueen consacre à la grève de la faim de Bobby Sands, le militant de l’IRA que Margaret Thatcher laissa mourir en 1981. Et deux films italiens : Il Divo et Gamorra. Le premier retrace le parcours tragique de Giulio Andreotti, le très controversé leader de la Démocratie chrétienne des années d’après-guerre. Le second, les « méthodes de travail » et la pratique du pouvoir de la toute-puissante Camorra, branche napolitaine de la Mafia.

BROUILLER LES REPÈRES

Plus original, Valse avec Bachir, le film d’animation – ou de docu-fiction dessiné – dans lequel l’Israélien Ari Folman raconte « sa » guerre du Liban, en 1982 (voir J.A. n° 2471). Mais aussi 24 City, du grand cinéaste chinois Jia Zhangke, qui, à côté de comédiens professionnels, utilise des témoins et des protagonistes pour raconter l’histoire véridique d’un grand complexe métallurgique de Chengdu rasé pour laisser la place à un lotissement d’appartements de luxe. Une façon de brouiller les repères entre fiction et documentaire pour évoquer l’évolution socio-économique de la Chine depuis un demi-siècle.
En comparaison, la quasi-totalité des documentaires classiques ont fait plutôt pâle figure. Qu’ils soient trop militants, comme The End of Poverty? de Philippe Diaz, sur la question des inégalités dans le monde, ou trop proche du reportage télévisuel simpliste, comme C’est dur d’être aimé par des cons, de Daniel Leconte, sur le procès intenté à l’hebdomadaire français Charlie Hebdo, « coupable » d’avoir reproduit les caricatures danoises de Mahomet. Comme quoi l’approche subjective ou fictionnelle est souvent la meilleure façon de montrer le réel dans toute sa complexité.

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