Guinée : Alpha Condé réussira-t-il à faire annuler la légalisation de la polygamie ?

Le 29 décembre, les députés guinéens se sont prononcés en faveur de la légalisation de la polygamie. Le président Alpha Condé a aussitôt déposé une demande de relecture de la loi. Quelle chance a-t-il d’être entendu ?

Le collectif des associations féministes à l’Assemblée nationale guinéenne, le 30 décembre 2018, pour réclamer l’abrogation de la légalisation de la polygamie. © DR / Collectif « Pas Sans Elles »

Le collectif des associations féministes à l’Assemblée nationale guinéenne, le 30 décembre 2018, pour réclamer l’abrogation de la légalisation de la polygamie. © DR / Collectif « Pas Sans Elles »

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Publié le 8 janvier 2019 Lecture : 3 minutes.

« Le mariage peut être conclu soit sous le régime de la monogamie ; soit sous le régime de la polygamie limitée à quatre femmes. Faute par l’homme de souscrire à l’une des options prévues au présent article, le mariage est présumé être placé sous le régime de la polygamie. » Parmi les nombreuses innovations inscrites dans le nouveau Code civil guinéen, adopté le 29 décembre dernier par le Parlement, la légalisation de la polygamie a provoqué une levée de boucliers.

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Condé contre la polygamie

Si la polygamie est pratiquée, de fait, dans le pays, l’inscription de son principe dans le marbre de la loi a provoqué l’ire des organisations de défense des droits de l’homme et des associations féministes. Dès le 31 décembre, un groupe d’activistes parmi lesquels les collectifs « Pas Sans Elles » et « Synergie Féminine pour la paix et le développement » – a adressé une lettre ouverte au président de l’Assemblée, demandant le retrait des articles 281 et 282 du nouveau Code. Argument avancé : la polygamie contrevient à la Constitution guinéenne, qui stipule en son article 8 que « les hommes et les femmes ont les mêmes droits ».

Alpha Condé, le président guinéen, au palais présidentiel à Conakry en octobre 2016. © Vincent Fournier/JA

Alpha Condé, le président guinéen, au palais présidentiel à Conakry en octobre 2016. © Vincent Fournier/JA

Comment la Guinée peut-elle dire « monogamie » en 1960 et, en 2018, dire « polygamie » ? C’est extrêmement grave

Les associations ont trouvé un allié de poids dans leur combat, en la personne du président Alpha Condé. Ce dernier a refusé de promulguer la loi organique et a adressé, vendredi 4 janvier, un courrier au Parlement invitant les députés à une seconde lecture du texte.

« En Guinée, c’est la monogamie, mais comme beaucoup de ministres et de députés sont polygames, ils veulent modifier [le Code civil]. J’ai dit que je n’accepterai pas. Comment la Guinée peut-elle dire « monogamie » en 1960 et, en 2018, dire « polygamie » ? C’est extrêmement grave », avait déjà prévenu le chef de l’État, en mai dernier, en marge d’une rencontre avec des communicateurs traditionnels et des chefs religieux. « Si vous modifiez, je ne signerais pas ! », avait-il lancé aux députés.

Obstacles législatifs

« Sa demande sera prioritairement inscrite à l’ordre du jour, si la majorité des membres composant l’Assemblée nationale le demande, soit 58 députés sur 114 », explique le juriste Mohamed Camara. Ensuite, les députés ne sont pas obligés de voter dans le sens souhaité par le président de la République.

Alpha Condé peut compter sur la difficulté à réunir le seuil des deux tiers des députés, soit 76 sur 114

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Toutefois, « il faudrait désormais la majorité absolue pour aller contre la volonté présidentielle et maintenir le statu quo actuel ». Alpha Condé « peut compter sur la difficulté à réunir le seuil des deux tiers des députés, 76 sur les 114 », ajoute le juriste.

Cependant, même au sein de la mouvance présidentiel, il s’est trouvé 37 députés des groupes parlementaires du RPG Arc-en-ciel (mouvance présidentielle) et de l’Alliance des républicains – de l’opposant Sidya Touré – qui ont voté en faveur de la légalisation de la polygamie lors du vote du 29 décembre. Et seulement trois députés du principal parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), qui se sont prononcés contre.

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L’entrée en vigueur du nouveau Code civil est suspendue jusqu’à la fin du processus ouvert à la demande d’Alpha Condé. « Une nouvelle session, fut-elle extraordinaire, ne pourra être convoquée avant un délai d’un mois », insiste le président de la commission des lois, Mamady Kandé, qui justifie la légalisation de la polygamie en s’appuyant sur l’article 7 de la Constitution, qui dispose que « chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques ».

Pas avant le 31 janvier prochain, donc. Mais le mandat des députés, installés le 13 janvier 2014, expire le 12 janvier, à minuit. La date des futures élections législatives n’est cependant toujours pas fixée, et de nombreux observateurs s’attendent à une prolongation du mandat des parlementaires.

En attendant, tant que le nouveau Code civil ne sera pas adopté en seconde lecture, celui de 1983 qui interdit la polygamie restera en vigueur. Un Code dont la refonte a été initiée en 2000, mais dont le projet de révision n’a été déposé au Parlement que seize ans après, en avril 2016.

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