Start-up de la semaine : au Nigeria, Farmcrowdy sponsorise des exploitations agricoles
En deux ans à peine, la société créée par Onyeka Akumah a récolté 7 millions de dollars, qui ont permis de financer près de 8 000 fermiers au Nigéria. Un modèle qui a convaincu l’accélérateur américain Techstars auprès duquel la start-up a levé 1 million de dollars, et qui sera bientôt étendu au Mali et au Ghana.
Agriculture : graines d’avenir
Alors que les grands groupes de semences comme Bayer, Syngenta ou Technisem sont de plus en plus implantés sur le continent, les initiatives privées locales se multiplient pour répondre aux défis de l’alimentation. Comment l’agriculture traditionnelle peut-elle tirer profit de cet intérêt croissant?
Onyeka Akumah n’en est pas à sa première start-up quand il lance Farmcrowdy en 2016 : en l’espace de dix ans, il a participé à la création de nombreuses sociétés de renom au Nigeria, dont le géant africain de l’e-commerce Jumia et Travelbeta, un service nigérian de réservation de vols.
Formé comme ingénieur informatique en Inde, il décide de mettre ses compétences au service de l’agriculture au moment où l’administration Buhari, tout juste élue, promet un fort soutien au secteur.
Lui et ses cofondateurs, Ifeanyi Anazodo (vice-président data et intelligence), Jimoh Maiyegun (directeur technique), Akindele Phillips (directeur financier) et Tope Omotolani (directrice des opérations) constatent que près de 38 millions de petites exploitations agricoles au Nigeria ont d’énormes besoin de financement, de formation et de structuration, mais que les entrepreneurs qui proposent ces services rencontrent un trop grand biais d’information auprès des agriculteurs, et manquent de temps pour assurer un suivi de terrain. L’équipe décide alors de se placer comme interface et se met en marche ce qui deviendra bientôt une « foule d’agriculteurs » – Farmcrowdy.
Profits partagés
La start-up propose à tout un chacun – généralement des actifs citadins âgés de 25 à 40 ans – de financer une ferme sur un cycle de récolte, moyennant un retour sur investissement annuel de 22 à 35 %. Les exploitations sélectionnées sont de petite taille (1 à 3 hectares) et disposent de capacités de production inexploitées faute de capital et de débouchés. Le sponsor prend ainsi à sa charge l’intégralité des coûts liés à l’exploitation des unités agricoles supplémentaires, qu’il s’agisse de cultures de maïs, de riz, de manioc ou d’élevages de volailles.
Durant tout le cycle de récolte, le fermier est accompagné par la start-up qui le forme aux techniques modernes d’agriculture, tandis que le sponsor reçoit deux fois par semaines photos, vidéos et rapports sur l’avancement des cultures. Des visites de fermes sont également proposées aux investisseurs qui voudraient se rendre sur le terrain.
Une fois la récolte vendue, l’investissement initial retourne au sponsor tandis que le profit est réparti entre le fermier (40 %), l’investisseur (40 %) et la start-up (20 %). L’investissement moyen par unité étant de 95 000 nairas (235 euros), les deux parties principales gagnent en moyenne 9 000 nairas par unité, soit la moitié du salaire minimum au Nigeria.
Productivité décuplée
Et si cela fonctionne si bien, c’est que la jeune pousse a réussi à lever le biais de confiance tout en apportant une très grande valeur ajoutée aux agriculteurs. Le directeur général sourit quand on lui demande les méthodes à l’origine du succès. « Ça marche parce que nous faisons passer nos agriculteurs d’un rendement de 0,5 à 6 tonnes par hectare », souligne-t-il.
Ses équipes sur le terrain travaillent avant tout sur la formation et la lutte contre les mauvaises pratiques (semence souvent erratique, l’absence de soin – désherbage et engrais – pendant la pousse…). Farmcrowdy apporte également équipements mécaniques et tracteurs.
Dans un second temps, le programme assure l’accès au marché et assiste les fermiers dans la négociation d’un prix juste pour leurs récoltes. « Beaucoup d’intermédiaires au Nigeria se sont enrichis sur le dos des fermiers, achetant à des prix ridicules pour revendre au prix fort ! Nous, nous les amenons à la table des négociations », assure Onyeka Akumah.
7 minutes pour trouver un sponsor
Le cofondateur de la start-up explique en outre que le financement est ajusté au cycle des récoltes : les agriculteurs ne sont plus contraints de vendre leur production avant terme ou à peine récoltée pour assurer la soudure : une marge qui leur permet de vendre au moment opportun en maximisant leurs profits.
Un travail de terrain qui porte ses fruits : le retour sur investissement pour les sponsors se situe entre 22 et 35 %, quand les fermiers triplent – au minimum – leur revenu moyen. Un partenariat gagnant-gagnant qui se vérifie par l’attractivité croissante du modèle : s’il a fallu six semaines pour récolter les 2 000 dollars nécessaires à financer la 1ère ferme, le dernier lot proposé à 100 000 dollars est parti en 7 minutes !
71 % des sponsors choisissent de financer une 2e récolte, en quintuplant leur mise, tandis que ceux qui investissent pour une troisième saison multiplient leur investissement par 10. L’intérêt est similaire du côté des agriculteurs, qui se sont peu à peu convertis au modèle en voyant le succès des premières fermes de démonstration : « Nos résultats sont notre meilleur outil éducatif : les fermiers voient qu’au-delà des intrants et de l’accès au marché, nous les formons aux pratiques agricoles modernes. Ils veulent en faire partie », souligne Onyeka Akumah.
En 2019, cap sur le Mali, le Ghana et les Séries A
Fort de 45 collaborateurs, Farmcrowdy a reçu le soutien du fonds d’investissement nigérian Niche Capital dès son 2e mois de fonctionnement pour 60 000 dollars, avant d’être sélectionné par l’emblématique accélérateur américain Techstars pour un programme de trois mois à Atlanta. Les Nigérians y ont levé leur 1er million de dollars au cours du Demo Day, auprès des fonds d’investissement américains Techstars Ventures, Cox Enterprises et Social Capital.
Avec plus de sept millions de dollars investis en deux ans, Farmcrowdy a accompagné 8 000 fermiers sur 8 500 hectares cultivés, à travers 10 États du Nigeria. Nommée tech-start-up nigériane de l’année en 2017, elle affiche une croissance de 188 % sur l’exercice 2018, avec un revenu de 110 000 dollars. Le serial entrepreneur vise 7 millions de dollars en sponsorship dès 2019 et 12 millions en 2020, pour accompagner près de 15 000 fermiers.
Les objectifs de Farmcrowdy pour 2019 ne sont pas que financiers : l’équipe compte se lancer sur d’autres pays d’Afrique de l’Ouest au premier semestre, avec une expansion prévue au Mali et au Ghana, et pourquoi pas en Afrique de l’Est pour fin 2019. Pour cela, une levée de fonds en Série A sera lancée dans le courant de l’année, tandis que la start-up boucle à l’heure qu’il est un nouveau tour de table à 3 millions de dollars.
L’agriculture, un secteur évalué à 110 millions de dollars au Nigeria
Onyeka et ses équipes réfléchissent également aux différents moyens de faire passer le modèle à l’échelle supérieure, en passant par des coopératives de petits agriculteurs pour permettre de financer un nombre toujours plus grand d’exploitations. La société compte également s’ouvrir aux investisseurs corporate qui souhaiteraient avoir un impact social.
Car c’est bien ça qui motive le serial entrepreneur : « Le niveau de connexion émotionnel est très fort. Au début, les sponsors viennent souvent par simple intérêt économique, mais quand ils reçoivent nos rapports et voient qu’ils gagnent de l’argent tout en changeant la vie de quelqu’un, ça devient très attractif. »
Via l’application Farmcrowdy, c’est près de 70 000 Nigérians qui apprennent chaque jour un peu plus sur le monde agricole. « On rend l’agriculture attrayante pour les gens, qui trouvent un moyen d’investir sans se salir les mains », s’enthousiasme le fondateur de l’entreprise. Le secteur agricole est le second contributeur au PIB nigérian, avec un marché évalué à 110 milliards de dollars selon Onyeka Akumah, qui est convaincu que son pays peut aller bien plus loin : « Des pays comme l’Indonésie ont des rendements de 12 tonnes par hectare. Les coûts de production sont trop chers au Nigeria. Il faut mieux former nos agriculteurs et créer des politiques pour augmenter leurs revenus : ensuite on pourra rivaliser sur les prix. »
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