Où s’arrêtera Wade ?
Attaques contre la FAO et l’opposition, révision de la Constitution, débat sur sa succession à la tête du pays… À 81 ans, le chef de l’État n’a jamais paru aussi actif. Et ses adversaires aussi critiques à son égard.
Feu sur la FAO, feu sur les municipalités, feu sur l’opposition Depuis un mois, le président Abdoulaye Wade redouble d’énergie. Tout commence le 26 avril. Ce jour-là, l’opposition descend dans la rue. La chose n’est pas extraordinaire en soi. Mais au Sénégal, les adversaires de Wade n’aiment pas trop la rue. En mars 2007, le président, goguenard, les avait même mis au défi de manifester contre sa réélection Cette fois-ci, le Front Siggil Senegaal (« Pour un Sénégal debout », en wolof) se mobilise, et la marche du 26 avril est un succès. « Le riz est cher, va-t’en ! » scandent plusieurs milliers de manifestants dans les rues de Dakar. « On a faim, ça suffit ! » crient des femmes qui brandissent des sacs de riz vides. « Abdoulaye Wade pensait que l’opposition n’était pas capable d’organiser une grande manifestation. Nous lui avons prouvé le contraire », se félicite le socialiste Ousmane Tanor Dieng.
Aussitôt, le chef de l’État sénégalais prend la mesure du danger. En vieux routier de la politique, il sait que la flambée des prix des denrées alimentaires est une bombe à retardement. « Il faut éviter à tout prix des émeutes de la faim », lâche-t-il en privé. Il sait aussi que, pour la première fois depuis la retentissante défaite d’Abdou Diouf en 2000, l’actuelle opposition a une chance de se refaire. Pour « Gorgui » (« le vieux », en wolof), il faut reprendre la main au plus vite. Première initiative : le 2 mai, il fait dissoudre par décrets dix municipalités, dont celles de Thiès et de Kédougou, respectivement dirigées par les opposants Idrissa Seck et Amath Dansokho. Motif : « détournement de deniers publics ». « Tous les conseillers des collectivités dissoutes, les dirigeants surtout, devraient être aujourd’hui en prison. Je suis formel », déclare même le chef de l’État au journal Le Soleil. « C’est une forfaiture », réplique-t-on au Rewmi, le parti d’Idrissa Seck, qui attaque la décision devant les tribunaux. Le Parti socialiste lui emboîte le pas.
Deuxième initiative : le 4 mai, le président réclame ni plus ni moins la suppression de la FAO, l’Organisation de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation. « C’est un gouffre. L’argent est largement dépensé en fonctionnement. Il y a très peu d’opérations efficaces sur le terrain », lance-t-il à la radiotélévision nationale. Réaction immédiate d’Ousmane Tanor Dieng : « Abdoulaye Wade a besoin d’un bouc émissaire. Mais il ne peut pas s’exonérer de toute responsabilité dans la crise alimentaire. » Et le chef de la Ligue démocratique, Abdoulaye Bathily, de renchérir : « On ne peut pas cacher la forêt derrière un seul arbre. »
Troisième initiative : le 9 mai, le chef de l’État annonce son intention d’allonger la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans. Alors qu’il a lui-même pris l’initiative d’instaurer le quinquennat en 2001. Aussitôt, ses adversaires s’interrogent : « Veut-il appliquer la mesure à lui-même et repousser la prochaine présidentielle à 2014 ? » « Non, la loi n’est pas rétroactive et le mandat en cours n’est pas concerné, répondent les conseillers de Wade. Mais de façon générale, cinq ans, c’est trop court pour mettre en Âuvre une vision politique. » Bref, beaucoup de Sénégalais se demandent si ce projet de révision constitutionnelle ne vise pas surtout à détourner l’attention des problèmes de l’heureÂ
Manoeuvres de diversion
En bon tacticien, Wade cherche à garder l’initiative et à surprendre ses adversaires. Mais il sait que, face au défi alimentaire, les manoeuvres de diversion ne mènent pas loin. Alors, depuis le début de l’année, il multiplie les mesures contre la vie chère. Les droits de douane sur les importations de riz sont suspendus. Les prix des produits de première nécessité sont subventionnés. Surtout, il a lancé la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana). Objectif : atteindre l’autosuffisance alimentaire dans cinq ou six ans. Pour cela, il vient d’aller à Paris afin de lever un crédit exceptionnel de 524 millions d’euros. Côté opposition, Bathily ironise : « Si Wade est allé demander des semences en France, c’est qu’il a lancé la Goana sans en avoir de disponibles. À un mois de la campagne agricole, ça ne fait pas très sérieux. »
Reste la question principale. Wade ne déploie-t-il pas toute cette énergie pour assurer sa succession ? À 81 ans, le chef de l’État cherche activement un dauphin et ne s’en cache pas. « J’ai une sorte de lanterne qui, à un moment ou à un autre, va me dire : c’est celui-là », a-t-il lâché lors d’une conférence de presse, en mars 2007. La lanterne l’a-t-elle enfin éclairé ? Pour l’heure, il ne dit mot, mais de plus en plus de Sénégalais lui prêtent l’intention de mettre en selle son fils, Karim.
De fait, si Wade a confié les grands travaux de Dakar à son fils, c’est pour l’aguerrir. Or, au lendemain du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), les avis sont partagés. Les uns reconnaissent que Dakar s’est modernisé, embelli, et qu’on y roule mieux. Les autres insistent sur l’opacité des comptes de l’Anoci, l’Agence nationale de l’OCI, que préside Karim Wade. « Comment se fait-il qu’une structure de l’État échappe à tout contrôle parlementaire ? » s’étonnent les opposants et même certains barons du régime, comme Macky Sall, le président de l’Assemblée nationale.
Les déboires de ce dernier en disent long sur les intentions cachées de « Gorgui ». En septembre dernier, Sall est tombé en disgrâce parce qu’il a voulu convoquer, de manière cavalière et sans en informer le chef de l’État, Karim Wade devant une commission de l’Assemblée. Certes, il a réussi à sauver son perchoir. Mais il a perdu son poste de numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). Philosophe, le ministre de l’information Abdou Aziz Sow commente : « Au PDS, la position de numéro deux a toujours posé problème. » Mais le résultat est là. Aujourd’hui, plus personne n’ose affronter le fils du président à l’intérieur du parti.
Un observateur averti confie : « Wade souhaite vraiment que son fils lui succède, mais il sait que ce n’est pas gagné d’avance et que Karim n’a aucune chance s’il n’est pas là. » D’où peut-être cette activité frénétique afin d’empêcher l’opposition de redresser la tête. Wade envisage-t-il de nommer son fils au Sénat, voire de le faire élire à la présidence de la Chambre haute, c’est-à-dire au poste de numéro deux de l’État ? « Légalement, il en a le droit, mais la ficelle serait trop grosse. Les Sénégalais ne laisseraient pas passer ça », proclament en chÂur les opposants. En attendant, avec son mouvement « Génération du concret », Karim quadrille le territoire, fait du social, mais parle peu aux médias (voir J.A. n° 2454 du 20 janvier 2008). Sans doute s’amuse-t-il de voir qu’il occupe toutes les conversations sans rien direÂ
En fait, dans le camp Wade, beaucoup d’adversaires de Karim placent leurs espoirs dans Idrissa Seck, l’ancien fils spirituel passé à l’opposition. Bien sûr, il a trahi le père et lui a même donné des noms d’oiseau. Bien sûr, en mars 2007, Wade a lancé : « En tout état de cause, Idrissa Seck ne sera pas mon successeur. J’ai rompu définitivement avec lui. »
Poker menteur
De ruptures en réconciliations, le couple infernal Wade-Seck n’en finit pas de surprendre le landernau politique sénégalais. Après l’avoir accusé de malversations et jeté en prison, le premier a finalement blanchi le second, après trois longues entrevues à la fin de janvier 2007, à quelques jours du lancement de la campagne électorale pour la présidentielle du 25 février suivant. Sorti victorieux dès le premier tour du scrutin, Wade a ensuite porté de nouvelles accusations contre Seck. Avant de lui envoyer le colonel Malick Cissé pour le convaincre de revenir dans le giron du PDS. Plus tard, c’est Seck qui multipliera les initiatives auprès de l’entourage de Wade pour renouer à tout prix La dissolution du conseil municipal de Thiès risque, une nouvelle fois, de tout remettre en cause. Poker menteur ? Jeu de dupes ? Comme le dit l’opposant Bathily, « Wade est capable de mettre son clignotant à droite et de tourner à gauche. Quant à Idrissa Seck, on ne sait pas bien ce qu’il veut. Avec ses partisans, on y perd son latin. » Bref, de grandes retrouvailles entre le président et son ancien Premier ministre sont toujours possibles. Et Oumar Sarr, le lieutenant d’Idrissa Seck, de confier : « On sait que le président a des prétentions pour Karim, mais on ne voit pas bien comment quelqu’un qui ne maîtrise pas le wolof pourrait s’imposer face à un homme politique aussi chevronné qu’Idrissa. » Sous entendu : à Wade de trancherÂ
Pour l’heure, « Gorgui » n’est pas très ouvert au dialogue. « Je ne discute pas avec des opposants qui ne veulent pas reconnaître ma légitimité », dit-il dans Le Soleil. Il serait très étonnant qu’il honore l’invitation du Front Siggil Senegaal à se rendre aux assises nationales, qui doivent débuter le 1er juin. Pendant quatre mois, sous la présidence d’Amadou Makhtar Mbow, l’ancien directeur général de l’Unesco, plusieurs dizaines de partis, de syndicats et d’organisations patronales vont se pencher sur les maux du pays et proposer des solutions. « La crise est trop grave. Il faut faire quelque chose pour que le Sénégal ne tombe pas dans le chaos », affirme Bathily. « Au Sénégal, l’État fonctionne. Si l’opposition n’avait pas boycotté les législatives de l’an dernier, elle serait à l’Assemblée et n’organiserait pas ce genre de conférence nationale qui vise à jeter l’opprobre sur le pays », rétorque le porte-parole du gouvernement, Abdou Aziz Sow. Fidèle à lui-même, Wade cherche et trouve de nouvelles motivations dans l’adversité. On prête à Abdou Diouf ce mot : « Tant qu’il lui restera un souffle de vie, Wade s’accrochera au pouvoir. »
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