Madiba, réveille-toi !
RARES SONT LES ÉTATS AFRICAINS qui n’ont pas, à un moment ou à un autre, été touchés par le virus de la xénophobie. Mais quand ce cancer ronge des pays qui ont fait de la fraternité panafricaine un fonds de commerce ÂÂ la Libye, par exemple ÂÂ ou défigure l’image exemplaire d’une nation Arc-en- Ciel, cela choque et cela blesse. Avec les pogroms anti-immigrés de ce mois de mai, l’Afrique du Sud a connu ses pires violences depuis la fin de l’apartheid (voir pp. 36-38) et le monde découvre avec effarement une réalité qui n’est pas sans rappeler celle des villages Potemkine de la Russie tsariste. Le sourire de l’icône Mandela, le luxe tapageur de la nouvelle bourgeoisie noire et les débats policés de la plus grande démocratie du continent cachent des inégalités sociales abyssales et un déficit absolu de redistribution d’une croissance pourtant robuste. Pour l’armée des pauvres, des chômeurs, des gangs tout droit sortis du film Mon nom est Tsotsi, pour tous les naufragés du rêve sud-africain, et les frustrés de l’égalitarisme prôné par l’ANC, l’ennemi c’est le frère étranger, le Zimbabwéen, le Mozambicain, le Malawite, le Congolais, le Nigérian, voleurs d’emplois pour un salaire de misère, criminels en puissance, corrupteurs de fonctionnaires et accapareurs d’aides sociales indues. Autant de clichés, autant d’ingrédients d’un baril de poudre auquel une étincelle ÂÂ une manifestation contre la vie chère qui dégénère, dans le township d’Alexandra ÂÂ suffit pour exploser.
Pour un pays qui s’apprête à accueillir dans deux ans la Coupe du monde de football et qui tire du tourisme 8 % de ses revenus, ce brusque rappel que, en dépit de sa victoire exemplaire contre le racisme blanc il n’est pas pour autant plus tolérant que les autres, est un coup plutôt rude. D’autant que les scènes de chasse à l’homme dont sont victimes les immigrés venus de l’autre rive du Limpopo dévoilent une évidence qu’il n’est peut-être pas politiquement correct d’énoncer mais qu’il ne sert à rien de nier: la majorité des Sud-Africains, noirs et blancs confondus, se considèrent comme différents des autres Africains, à part et souvent supérieurs. Ce constat est un constat d’échec pour les dirigeants de l’ANC, dont la politique d’immigration n’a jamais trouvé son équilibre entre les barbelés aux frontières et l’expression, à l’égard des voisins, d’un devoir de solidarité dont eux-mêmes ont bénéficié à l’époque de la lutte contre l’apartheid. Échec aussi pour un Thabo Mbeki en fin de cycle et qui a semblé aussi déconnecté de la réalité pendant cette épreuve qu’il ne l’est à propos du Zimbabwe (les deux crises sont d’ailleurs liées). Déception et étonnement enfin, à l’heure où ces lignes sont écrites, de ne pas avoir entendu Nelson Mandela joindre sa voix à celle de Desmond Tutu pour rappeler à la raison le peuple des townships. Madiba, réveille-toi!
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