Les victimes de l’apartheid face aux multinationales
La justice américaine confirme la possibilité de poursuivre les firmes ayant violé l’embargo qui pesait sur Pretoria à l’époque de la ségrégation raciale.
L’histoire est en passe de rejoindre la liste des chroniques judiciaires américaines les plus farfelues. Contre toute attente, la Cour suprême des États-Unis a avalisé, à la mi-mai, la recevabilité de trois plaintes collectives introduites par des milliers de victimes de l’apartheid contre une cinquantaine de multinationales américaines, canadiennes et européennes. Les plaignants les accusent d’avoir enfreint l’embargo international qui pesait sur l’Afrique du Sud, à l’époque de la ségrégation raciale. En jeu : quelque 400 milliards de dollars de dommages et intérêtsÂ
La plus haute juridiction américaine donne ainsi raison à la cour d’appel fédérale de New York, qui avait autorisé, en octobre 2007, des poursuites contre des sociétés aussi prestigieuses que Shell, Citigroup, IBM, Dow Chemical, ExxonMobil ou General Motors, suspectées d’avoir vendu des marchandises à Pretoria en sachant pertinemment qu’elles contribuaient, de ce fait, à sa politique ségrégationniste. Elle donne en outre satisfaction à tous les défenseurs et militants des droits de l’homme, qui espèrent qu’une condamnation de ces entreprises permettra non seulement d’indemniser les victimes de l’apartheid, mais aussi de les inciter à changer leur façon de faire du business.
Reste que cette décision, fruit d’une accumulation de circonstances pour le moins déconcertantes, met également en lumière le « foutoir » de certains aspects du système judiciaire américain, pour reprendre l’expression de l’un des éditorialistes du très sérieux Financial Times. Introduite au nom de toutes les victimes de l’apartheid depuis son instauration en 1948, fondée sur l’interprétation d’une loi vieille de plus de deux siècles (l’Alien Tort Statute) et exhumée pour l’occasion, la plainte a d’abord été rejetée en première instance, avant d’être validée en appel, puis avalisée devant la Cour suprême parce que celle-ci était tout simplement dans l’incapacité de se prononcer sur la question ! Le quorum de six juges n’a pu, en effet, être atteint : quatre des neufs membres qui composent la juridiction ont été obligés de se récuser en raison d’un possible conflit d’intérêts avec les sociétés incriminées : trois magistrats sont actionnaires de certaines des sociétés citées à comparaître, tandis que le fils du quatrième est salarié de l’une d’entre elles, le Crédit Suisse.
Si la procédure provoque la colère de l’administration Bush et, comme on pouvait s’y attendre, des entreprises poursuivies, les critiques formulées par le gouvernement sud-africain sont, en revanche, plus surprenantes. « Il est inacceptable que ce genre de question cruciale pour l’avenir de l’Afrique du Sud soit jugé dans d’autres pays », a notamment déclaré le chef de l’État sud-africain, Thabo Mbeki.
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