Les hommes du candidat

Mélange d’universitaires libéraux et de ténors de la Silicon Valley, le staff de campagne de Barack Obama est très représentatif de cette nouvelle génération qui s’apprête à transformer radicalement le paysage politique américain.

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 8 minutes.

Au début du printemps, Barack Obama a installé son QG de campagne au 233, North Michigan Avenue, sur le Magnificent Mile, les Champs-Élysées de Chicago. À tout juste 20 miles des Altgeld Gardens, cette cité HLM déshéritée du South Side où, au milieu des années 1980, le futur candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine commença sa carrière politique en qualité de Community Organizer, sorte de travailleur social employé par une association religieuse. Vingt miles, mais quel chemin parcouru !
Au dixième étage du bâtiment, une de ces tours sombres de verre et d’acier construites dans les années 1970 où les grands groupes financiers et les compagnies d’assurances de la métropole du Nord-Ouest affichent leur puissance, la campagne Obama sous-loue 3 000 m2 au groupe managérial Accenture. Un décor de contreplaqué clair aux antipodes d’un local de campagne tel qu’on l’imagine, à la veille d’une primaire. Ici, peu de slogans, de tee-shirts à l’effigie du candidat ou d’affiches fiévreusement rédigées à la main Juste un panneau d’affichage avec les gros titres de la presse nationale et locale. L’ambiance est à la fois « cool » et hyperconcentrée. On discute en bras de chemise. On dialogue des heures durant avec son écran et son clavier d’ordinateur. Moyenne d’âge : 30 ans. Style campus, avec un zeste de Silicon Valley.
David Plouffe : le maître à jouer
En attendant la nomination officielle du candidat par la Convention démocrate de Denver, fin août, le staff de campagne ne compte qu’une grosse centaine de volontaires. À travers les parois vitrées de son bureau, David Plouffe, le manager, contrôle les douze départements de la campagne : politique, projets, nouveaux médias, presse, recherche, programmation, finances, vote jeune, initiatives, Michelle Obama – un secteur à elle seule ! -, terrain, opérations et administration « L’équipe s’agrandira le moment venu », assure-t-il.
David Plouffe, c’est le commandant en chef politique de la petite armée d’intellectuels qui, depuis bientôt un an, pilote la campagne d’Obama. Lorsqu’une question délicate se pose, il n’est pas rare que le candidat se tourne vers ses collaborateurs et interroge : « Qu’en pense Plouffe ? » Le stratège maison est notamment le grand artisan de la victoire capitale lors de la première primaire, début janvier dans l’Iowa. Son coup de génie, c’est d’avoir mené une campagne de proximité – « grassroots » en Obama dans le texte (voir encadré, p.52) -, mais appuyée sur une démarche de politologue.
Plouffe a mis au point un modèle mathématique simple : dans une primaire à sept candidats (comme c’était le cas, cette année, chez les démocrates), il suffit de recueillir 30 % des voix pour l’emporter. Le postulat s’est confirmé dans l’Iowa. Mais comme les statistiques ne suffisent pas à remporter toutes les batailles, il a fallu procéder à un quadrillage systématique des circonscriptions. Particulièrement dans les États organisant des « caucus ». Grâce aux calculs de Plouffe, et à la mobilisation des réseaux, Obama est sorti vainqueur de la plupart de ces assemblées locales où les candidats sont choisis au terme d’un exercice de démocratie directe dont les règles remontent aux temps héroïques de la révolution américaine. Ce fut le cas, on l’a vu, dans l’Iowa, mais aussi au Texas, où, parce qu’elle avait devancé son adversaire dans la primaire, Hillary Clinton a cru trop vite avoir remporté une grande victoire. Et lorsque l’équipe de la sénatrice de New York a débarqué dans l’Idaho, au Kansas et au Colorado, celle d’Obama, plus prompte, avait déjà plié l’affaireÂ
Encore plus rusé : Plouffe a fait mettre au point un système de décompte permettant à son poulain de connaître et d’annoncer avant la direction du parti le nombre des délégués remportés à l’issue de ces scrutins à multiples niveaux dont l’alchimie particulière à chaque État est la marque de fabrique des primaires américaines. C’est lui qui, le premier, a compris qu’aucun des candidats n’était en mesure de l’emporter par K.-O. et que la victoire se jouerait aux points, au terme d’une longue, longue campagne.
Maigre comme un clou et l’Âil pétillant, ce grand fan de base-ball est le roi de la litote. Il ne dit jamais « nous l’avons emporté sans discussion », mais « à l’issue d’un affrontement très serré, nous espérons avoir conquis quelque avantage ». Plouffe n’est pas aussi « français » que le suggère son patronyme. Et que l’en accusent les adversaires d’Obama. On sait que, pour l’entourage de Bush, le fait d’avoir des origines françaises est une « tare » contribuant à expliquer, par exemple, l’opposition de tel ou tel à la guerre en Irak. Jon Favreau, 26 ans, l’homme qui écrit les discours d’Obama après avoir travaillé pour John Kerry lors de sa campagne présidentielle de 2006, n’est évidemment pas à l’abri de ce reproche. D’ailleurs, à l’époque, ce même Kerry avait été traité de « français » en raison de ses liens de parenté avec l’écologiste Brice LalondeÂ
David Plouffe s’est fait connaître au début des années 2000 en orchestrant les campagnes de Dick Gephardt, le leader démocrate du Missouri. C’est à cette époque qu’il a rencontré David Axelrod, un « gourou » politique – et moustachu – de Chicago dont il est désormais l’associé au sein d’AKPD, un cabinet de spin doctors célèbre pour ses campagnes en faveur de divers candidats démocrates : de Barack Obama (lors de sa candidature au Sénat de l’Illinois) à John Edwards (présidentielle de 2004), en passant par Hillary Clinton, Eliot Spitzer (pour le siège d’attorney general de New York) et les maires des plus grandes cités d’Amérique.
David Axelrod : « pas le magicien d’Oz »
Aîné de l’équipe de campagne d’Obama, Axelrod, 53 ans, est lui aussi un grand fan de sport. Mais c’est un supporteur éclectique, abonné à la fois aux Chicago Bulls (basket-ball) et aux deux équipes de base-ball de la ville, les White Sox et les Cubs. Mélomane, il ne manque aucun concert de l’orchestre symphonique de Chicago, que dirige Ricardo Muti. Sa première émotion politique : Robert Kennedy, jeune frère du président assassiné et lui-même candidat aux primaires démocrates en 1968 avant de tomber sous les balles de Shiran Shiran, auquel on compare volontiers aujourd’hui le candidat à la candidature démocrate. Lequel a d’ailleurs reçu le soutien du « clan » Kennedy.
New-Yorkais d’origine, Axelrod est l’archétype du consultant politique. Il a, dit-on, une idée à la minute et ne cesse de bombarder journalistes, hommes politiques et supporteurs de coups de fil, de mails, de SMS envoyés de son Blackberry. Mais il se défend d’être le magicien d’Oz de la politique. Pour s’engager, il a besoin d’y croire. En général, il prend un candidat en main, puis le rejette dès l’élection passée, sans dissimuler quelque chose qui ressemble à de la déception.
Avec Obama, c’est différent : ils font équipe depuis l’élection sénatoriale de 2002, pour laquelle le candidat ne disposait que de maigres moyens face à Blair Hull, le candidat officiel du parti. « Not a sou », se souvient Axelrod, en franglais dans le texte. « Mon engagement a été un sursaut de foi, confiait-il à l’époque. Si je réussis à mener Obama jusqu’à Washington, j’aurai accompli quelque chose dans ma vie. »
Chris Hughes : Mr Facebook
La troisième star de l’équipe se nomme Chris Hughes (24 ans). C’est l’un des inventeurs de Facebook, ce site étudiant soudainement monté en puissance dont Microsoft a récemment acheté, pour 240 millions de dollars, 1,6 % des actions. Hughes a conservé ses stock-options, mais a choisi de consacrer à la campagne Obama la totalité de son temps. Et de sa créativité.
Le Net est un instrument redoutablement efficace. Mybarackobama.com, le site créé par Hughes, exprime parfaitement l’esprit communautaire de la campagne. Plouffe, Obama, mais aussi Michelle, son épouse, l’utilisent régulièrement pour écrire aux supporteurs, les motiver et leur communiquer des informations, des résultats, des rendez-vous Mais c’est aussi le moyen idéal pour lever des fonds. Au mois de janvier, 87 % des dons à la campagne Obama avaient été faits en ligne (leur montant minimum est de 25 dollars).
Selon l’équipe Obama, les outils en ligne proposés aux militants ont permis la création de 6 000 groupes de soutien à travers le pays et de 20 000 pages pour collecter des fonds. « C’est stupéfiant de constater à quel point Internet donne de l’énergie aux gens quand on leur fournit les bons outils », constate Joe Rospars, le responsable chargé des « nouveaux médias », MacBook Pro à portée de la main. Dans son bureau dominant Michigan Avenue, Rospars, 30 ans à peine, est seul. Tous les membres de son staff, avec lesquels il communique par portable, sont « on the road ».
Un peu plus loin, Temo Figueroa, crâne rasé de près et allure supercool, dirige les opérations de terrain. Son boulot : faire en sorte que les foules rassemblées lors des meetings, les donations et toute l’énergie dépensée se transforment, le jour J, en votes.
Michelle Obama : la patronne
Un panneau sur un mur du QG de campagne le proclame : « Quoi que Michelle dise, c’est le message. » Le bureau de l’épouse du futur candidat, c’est d’abord son agenda. Rarement présente au 233, Michigan Avenue, cette avocate de 44 ans, mère de deux enfants, court de meeting en réunion de bailleurs de fonds. Pour participer à la campagne, elle a été contrainte de réduire de 80 % ses activités professionnelles.
C’est elle qui a ouvert à son mari, ce métis peu intégré dans la communauté, les portes des cercles africains-américains et/ou démocrates de Chicago. Santita, la fille du révérend Jesse Jackson, deux fois candidat à la présidentielle, est une de ses amies d’enfance : elle a chanté lors de son mariage avec Barack, en 1992. Valerie Jarret, intime du couple et membre du staff de campagne, est une ancienne du cabinet de Richard Daley, l’ancien maire de la ville.
La campagne va désormais largement tourner autour de Michelle. Les ultras du camp McCain tentent de la diaboliser, de mettre en cause sa capacité à assumer le rôle de First Lady. On lui reproche d’affecter de ne pas prendre le candidat au sérieux, de se moquer de lui en le traitant comme « un simple mortel »Â Et on lui ressort à l’infini cette petite phrase – pas très adroite – prononcée au lendemain du Super Tuesday : « Pour la première fois dans ma vie d’adulte, je suis fière de mon pays, parce qu’on dirait que l’espoir est de retour »Â Mais une grande partie de l’opinion et les médias voient déjà en elle une Jackie Kennedy noire.
Barack Obama, quant à lui, n’a pas de bureau.

* Écrivain, auteur de Barack Obama, candidat noir, Maison Blanche, à paraître en septembre aux éditions Fayard, à Paris.

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