La guerre du pétrole

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Quelle imprudence ! Quel manque de vision ! Nous avons cédé à la facilité et, décennie après décennie, nous nous sommes mis (ou laissé mettre) dans la plus terrible des situations : presque tout ce que nous produisons et consommons dépend d’un produit mal réparti et qui se fait rare : le pétrole.
On en extrait des sous-sols quelque 85 millions de barils chaque jour que Dieu fait ; évalués à 87 millions de barils par jour, les besoins grimpent inexorablement année après année – et de plus en plus vite depuis que de grands pays de l’ex-Tiers Monde, dont en particulier la Chine et l’Inde, ont accroché leurs wagons au train du progrès.
Les estimations les plus fiables annoncent une consommation mondiale de 100 millions de barils par jour en 2015 et de 116 millions en 2030.
Les meilleurs experts nous disent que la production aura de plus en plus de mal à suivre ce rythme : les pays producteurs pourront difficilement extraire de leurs sous-sols plus que les 100 millions de barils par jour nécessaires en 2015.
Au-delà de ce délai de grâce de sept ans, sauf découverte majeure, sauf changement radical dans nos habitudes de consommation et nos modes de vie, sauf arrivée importante d’énergies de substitution, nous devrons faire face à un besoin de pétrole impossible à satisfaire.

Mais dans l’immédiat, d’ici à 2009, que va-t-il se passer ? Le prix du baril, qui oscille déjà entre 130 et 140 dollars – soit plus du double de ce qu’il était au début de 2007 ! -, va-t-il encore augmenter, ce qui ne manquera pas de secouer beaucoup de sociétés et de déséquilibrer l’économie mondiale ? Ou bien y a-t-il une chance de le voir refluer ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a pas de réponse assurée à cette question : les experts avouent que les données dont ils disposent ne leur permettent pas de prévoir l’avenir, seulement de hasarder des hypothèses.
Ils nous le rappellent : tous ceux qui ont tenté de prédire l’évolution du prix du pétrole se sont toujours trompés.
Et ils nous recommandent de nous satisfaire des pronostics avancés par les uns et les autres même lorsqu’ils sont, comme c’est le cas très divergents.

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Parmi les experts les plus connus, cinq ont accepté d’indiquer ce que sera, à leur avis, l’évolution du prix pour les prochaines années :
L’un d’eux nous dit qu’au prix actuel (130 à 140 dollars) le pétrole a atteint son optimum : il restera à ce niveau d’ici à 2012.
Deux autres voient son prix baisser pour se situer entre 70 et 80 dollars le baril, soit à 60 % du prix actuel.
Deux pessimistes nous emmènent en enfer : selon l’un d’eux, le baril de pétrole est parti pour « monter » dans les mois et les années qui viennent à 225 dollars ; l’autre n’exclut pas un bond jusqu’à 500 dollars !
On ose à peine rappeler que le baril de pétrole s’échangeait en 1970 à moins de 2 dollars.

Cette absence de consensus entre les experts de cet étrange produit qu’est le pétrole s’explique par ses caractéristiques :
– Sa production et sa consommation ne sont pas flexibles : on ne peut ni les augmenter ni les diminuer rapidement et facilement.
Il découle de cette rigidité que toute secousse politique ou économique est susceptible de faire monter son prix ; les tensions politiques, les menaces de guerre, le font flamber.
– On connaît mal les chiffres relatifs au pétrole : ni les réserves, ni les stocks, ni les capacités de fret disponibles ne sont connus avec précision. L’opacité est partout, et, s’agissant de cette matière première au destin singulier, l’on a soif de chiffres précis et fiables autant que du pétrole lui-même.
Et last but not least, depuis quelques années ce prix est gonflé par la spéculation financière.

Pour l’anecdote, je signale que ce produit mythique a suscité erreurs et fantasmes depuis la mise au jour des premiers gisements, au XIXe siècle. Mais c’est au début du XXe siècle que la légende de l’or noir a pris son envol.
Ayant découvert le pétrole iranien (et l’irakien), il y a tout juste un siècle, les géologues britanniques – ils étaient à l’époque les plus compétents et les plus expérimentés du monde, et faisaient par conséquent figure d’oracles en la matière – déclaraient doctement en 1924 :
– les informations géologiques que nous avons pu rassembler sur la région nous indiquent qu’il n’y a guère d’espoir de trouver du pétrole au Koweït ou à Bahreïn. La presqu’île arabique dans son ensemble n’a aucune perspective pétrolière. (sic)
Et ils ont ajouté, en faisant leurs bagages pour quitter le Moyen-Orient :
Nous allons chercher ailleurs : au Canada et en Amérique du Sud.
Ils ne le savaient pas, mais ils laissaient la place aux Américains du Nord ; ces derniers prospecteront ce sous-sol d’Arabie jugé stérile par leurs cousins britanniques et tomberont, quelques années plus tard, sur le pactole saoudien.

Mais revenons à notre XXIe siècle et à ce qui attend les consommateurs de pétrole.
1. Il nous faut désormais prendre en compte un facteur nouveau dont nous aurions tort de sous-estimer l’importance : croulant sous les monceaux de dollars qu’ils engrangent jour après jour et dont ils ne savent plus quoi faire ni comment et où les investir, les grands exportateurs d’or noir se disent de plus en plus : quel intérêt avons-nous à extraire plus de pétrole pour le mettre sur le marché ? Dans notre sous-sol transformé en coffre-fort, il augmentera de valeur plus et plus vite que le meilleur des investissements dans le secteur le plus rentable du pays le plus accueillant.
2. Si les pays de l’Opep et les autres exportateurs trouvent moins d’intérêt à échanger leur pétrole contre des dollars, il devient encore plus impératif d’agir sur la consommation pour la faire baisser.
Ce mouvement est bien enclenché, me semble-t-il : on ne gaspille pas ce qui est rare et cher ; on l’économise à mort.
L’industrie automobile (et plus généralement du transport) a déjà commencé son adaptation, et ses usagers se sont mis à modifier leurs comportements.
Quant à la course aux énergies de substitution, elle a pris le départ, pour de bon cette fois-ci.

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Conclusion : La guerre du pétrole sera gagnée par les consommateurs le jour lointain où notre besoin de pétrole cessera d’augmenter d’année en année.
Les pays exportateurs ne penseront plus alors que leur « or noir » est mieux dans leur sous-sol que dans les tankers qui le conduisent à son lieu de consommation.
Ce jour-là, de nouveau, l’offre de pétrole sera suffisante pour satisfaire la demande, et sera restauré le nécessaire équilibre entre l’une et l’autre.

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