L’Afrique du Sud sur un fil
Les images sont proprement terrifiantes. Au pays de Nelson Mandela, dans l’une des rares grandes démocraties africaines, les pauvres du ghetto tuent les pauvres venus d’ailleurs, les immigrés « illégaux », des Zimbabwéens, des Mozambicains, des Malawites En Afrique du Sud, des frères tuent des frères.
Près de 50 morts en deux semaines. Plus de 15 000 déplacés, une police débordée et un État impuissant qui fait appel à l’armée pour rétablir l’ordre. Des images d’un autre temps, qui rappellent les scènes de guerre civile qui avaient ensanglanté les townships au milieu des années 1990. On interpelle l’Afrique du Sud, et on lui rappelle que pendant de nombreuses années les Sud-Africains ont pu vivre, exilés et protégés, un peu partout sur le continent. À Pretoria, le pouvoir finissant et affaibli de Thabo Mbeki appelle au calme, sans succès. La Coupe du monde de football, c’est dans deux ans, mais aujourd’hui les machettes sont de sortie et l’horreur est làÂ
Les « étrangers » sont accusés de tous les maux, mais le fond de l’affaire est tragiquement économique. Les Zimbabwéens, qui constituent la grande majorité des immigrés, sont beaucoup plus éduqués que les miséreux des townships. Ils ont quitté leur pays pour cause de faillite économique, mais ce ne sont pas des analphabètes. Ils trouvent plus facilement du travail, ils trouvent plus facilement à se loger, ils payent leur loyer. Et ils provoquent la haine d’une population sans espoir, emprisonnée dans les ghettos, condamnée par l’apartheid, par l’Histoire et l’économie libéraleÂ
Il y a quelque chose de dangereusement instable en Afrique du Sud. En arrivant à l’aéroport, ce qui frappe d’abord, c’est les travaux pour la Coupe du monde, les marteaux-piqueurs, les bataillons d’ouvriers Ce qui frappe, c’est la lecture d’un entrefilet qui raconte que pour la première fois depuis des années on observe un mouvement de retour des Blancs. Ce qui frappe, c’est l’émergence d’un grand capital black avec ses milliardaires, et la middle-class qui va avec. Ce qui frappe, c’est Soweto devenu presque une ville comme les autres avec ses centres commerciaux et ses touristes.
Mais ce qui frappe aussi, c’est la violence presque consubstantielle à la société sud-africaine, « l’hyper-criminalité » sanglante qui s’étale complaisamment à la une des journaux. Ce qui frappe encore, c’est la marginalisation inéluctable et dangereuse de la « sous-classe prolétarienne » désespérée et brutale. Ce qui frappe enfin, c’est la sensation de délitement du politique. La corruption des élites est une réalité, illustrée en particulier par les scandales liés à l’armement. L’ANC s’est affaiblie et le parti est largement gouverné par la base, par la masse, comme l’a prouvé d’ailleurs l’élection du très contesté mais très populaire Jacob Zuma. Les gouvernements locaux sont souvent faibles, gangrenés, dit-on, par le favoritisme. Aucune opposition constructive n’a émergé depuis la chute de l’apartheid. On parle d’une résurgence des nationalismes ethniques, en particulier zoulou. Et d’un réveil encore limité mais inquiétant de l’extrême droite blanche.
À quelques mois d’un événement planétaire, l’Afrique du Sud, géant fragile, paraît tanguer comme sur un fil.
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