« Kouyaté s’est fait avoir ! »

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Il est 20 H 30 à Conakry, ce mardi 20 mai. Devant un petit écran, un groupe de Guinéens suivent le journal télévisé. La nouvelle tombe : Lansana Kouyaté est remplacé à la tête du gouvernement par Ahmed Tidiane Souaré. Chacun se précipitant sur son téléphone, le réseau restera saturé pendant plus d’une heure. Dans un cybercafé, le gérant lance à l’adresse de ses derniers clients : « Messieurs, je ferme. Le président vient de chasser Kouyaté, il risque d’y avoir des troubles et j’ai peur pour mes ordinateurs. »

INELUCTABLE

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Pourtant, les quartiers populaires ne s’embrasent pas. Rien, aucune tension, pas la moindre manif de protestation. Dans les rues, les gens vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Tout le monde savait bien que le limogeage de Kouyaté était inéluctable. Selon plusieurs sources, la décision était prise depuis décembre 2007. Restait à connaître le momentÂ
Le président a donc attendu que la cote de popularité de son Premier ministre soit au plus bas. Pour que personne ne songe à le défendre. « Le bilan de Kouyaté n’est pas satisfaisant. L’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé et à l’éducation est toujours aussi difficile. Et avec la hausse des prix, le panier de la ménagère ne cesse de s’alléger », déplorait il y a peu Hadja Rabiatou Sérah Diallo, la secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG). L’année dernière, cette même CNTG avait été le fer de lance du mouvement de contestation qui avait abouti à la mise en place d’un gouvernement de consensus.
Le 27 janvier 2007, la conclusion d’accords tripartites gouvernement-syndicats-patronat avait mis fin à la protestation. Le prix du sac de riz de 50 kg avait alors été fixé à 85 000 francs guinéens (12,50 euros). Il coûte aujourd’hui entre 210 000 et 230 000 FG. Le 31 mars, le litre d’essence est passé de 4 300 à 7 000 FG. Quant aux prix du ciment et du fer, ils ont respectivement augmenté de 65 % et de 100 %.
S’il n’approuve généralement pas la méthode, l’homme de la rue ne s’apitoie pas sur le sort de Kouyaté. « Nous avions fondé beaucoup d’espoirs sur lui lors de sa nomination, l’année dernière, commente un chauffeur de taxi. Mais il n’a rien fait de concret. Au lieu d’affaiblir Conté en s’appuyant sur la population, il lui a laissé le temps de réorganiser ses réseaux et de revenir en force. » Un veilleur de nuit renchérit : « Il s’est fait avoir et n’a rien résolu. Pour nous, rien n’a changé. »
Bref, tout le monde, ou presque, est ici convaincu que l’ancien Premier ministre n’a pas respecté la feuille de route que lui avaient confiée les forces du changement après les sanglants événements de janvier-février 2007. Certains lui reprochent de n’avoir songé qu’à ses ambitions personnelles, dans la perspective des élections de 2010. D’autres, à commencer, bien sûr, par les familles des victimes du sinistre Camp Boiro, ne lui pardonnent pas d’avoir tenté de restaurer les symboles du régime de Sékou Touré.
Il est maintenant minuit passé. Un groupe de promeneurs attendent un hypothétique moyen de transport pour rentrer chez eux. Avenue de la République, un jeune homme descend d’un taxi et se dirige vers une boîte de nuit. La voiture repart en direction de Camayenne. À hauteur du Palais du peuple, un barrage de l’armée l’oblige à s’arrêter. Un militaire interroge le passager assis à l’arrière : « Tout va bien ? » Le taxi redémarre, poursuivi par des chiens errants. Très hargneux, les chiens.
Le lendemain, au réveil, les commentaires politiques vont bon train, mais toujours aucun signe d’une quelconque agitation. À Fozi, un quartier populaire où la jeunesse a le sang plutôt chaud, trois véhicules de la police patrouillent. « C’est surtout dissuasif », commente un passant. De toute façon, les policiers à bord ne portent pas d’armeÂ

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