Il était une fois l’Afrique du Sud

Auteur de nombreux best-sellers, Dominique Lapierre retrace l’histoire de la nation Arc-en-Ciel, de l’arrivée des colons hollandais en 1652 jusqu’aux premières élections démocratiques en 1994. Une saga saisissante.

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 6 minutes.

Avec sa couverture multicolore agrémentée d’une photo montrant un coucher de soleil sur une ville côtière, le livre a des allures de roman de plage. Le titre, quant à lui, fait penser à une histoire à l’eau de rose. Bref, à première vue, l’amateur de « vraie littérature » pourrait hésiter à ouvrir cette saga sur l’Afrique du Sud. Il aurait tort. Quand on a lu les premières pages d’Un arc-en-ciel dans la nuit, on ne le lâche plus tant il est passionnant.
L’auteur, il est vrai, n’est pas le premier venu. Dominique Lapierre a connu un immense succès dès son premier livre, Paris brûle-t-il ?, récit sur la libération de Paris en août 1944. Écrit avec le journaliste américain Larry Collins (décédé en 2005), l’ouvrage, paru en 1964, sera traduit en quarante langues. Qu’il s’agisse de textes sur la guerre civile espagnole (Â Ou tu porteras mon deuil), sur les débuts du conflit israélo-arabe (Ô Jérusalem) ou encore de thrillers évoquant la menace nucléaire (Le Cinquième Cavalier, New York brûle-t-il ?), les publications des deux compères trouveront toutes un très grand écho.
Mais c’est à l’Inde que Dominique Lapierre, seul cette fois, consacrera l’essentiel de son Âoeuvre à partir du début des années 1980. Il n’est plus seulement le conteur des grands événements historiques de notre époque. Après avoir fait la connaissance de mère Teresa, il se lance dans l’action humanitaire et fonde l’Association pour les enfants des lépreux de Calcutta. En 1985, au terme d’une longue enquête dans un bidonville de la mégapole du Bengale occidental, il publie La Cité de la joie. Traduit en une cinquantaine de langues, l’ouvrage trouvera plus de soixante millions de lecteurs, avant d’être porté à l’écran par Roland Joffé en 1992.

Terre promise

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Après Il était une fois l’URSS, où il raconte l’étonnant raid automobile qu’il avait réalisé dans l’Union soviétique en 1956, Lapierre revient donc aujourd’hui à la grande épopée contemporaine, genre qui a assuré sa notoriété dans le monde entier. « Mes aventures littéraires sont au départ des coups de cÂur, nous explique-t-il dans son appartement de Neuilly-sur-Seine, à deux pas du bois de Boulogne. J’ai besoin de me retrouver dans un contexte historique qui m’intéresse, dans un pays qui me plaît, avec des gens qui me passionnent. »
C’est justement la découverte d’une femme d’exception, Helen Liberman, une mère Teresa anonyme, qui l’a convaincu un jour de s’intéresser à l’Afrique du Sud. Au plus fort de l’apartheid, cette jeune orthophoniste blanche découvre la misère des habitants du township de Langa, immense cité miséreuse à une quarantaine de kilomètres du Cap. Après avoir songé à quitter le pays, elle se ravise et s’engage corps et âme en faveur des démunis. L’association qu’elle a mise sur pied à la fin des années 1960, Ikamva Labantu, est aujourd’hui la plus grande organisation humanitaire du pays.
En relatant le combat de cette femme qui rachetait un peu l’honneur perdu de la minorité blanche, Dominique Lapierre fait plonger le lecteur au coeur de l’apartheid, un système odieux conçu pour que deux mondes se côtoient sans jamais se rencontrer. Tout son art consiste à raconter la grande histoire en y intégrant les portraits de personnages qui l’ont façonnée. C’est ainsi que le lecteur est emporté dans une saga qui démarre avec l’arrivée des paysans colons hollandais venus planter des salades au Cap, en avril 1652, pour déboucher sur les premières élections démocratiques d’avril 1994. Entre-temps, il est invité à suivre l’avancée à l’intérieur du continent de colons calvinistes convaincus d’avoir été élus pour fonder une nouvelle Terre promise, l’affrontement de ces Boers (« paysans », en néerlandais) avec les tribus noires, puis leur terrible guerre avec les Britanniques, qui, pour la circonstance, inventent les camps de concentration et y enferment les Afrikaners. Viennent ensuite la genèse et la mise en place du régime raciste inspiré des méthodes hitlériennes, la lutte héroïque des résistants noirs à l’oppression blanche, jusqu’à la victoire finale.

Fresque étourdissante

« Dans cette fresque étourdissante, il y a bien sûr quelqu’un qui m’a bouleversé, s’exclame Lapierre, c’est Nelson Mandela. Que cette horrible tyrannie ne se soit pas achevée dans un bain de sang est largement le fait d’un homme qui, en sortant de vingt-sept années d’incarcération dans des conditions terribles, dit : ÂNous allons créer une nation arc-en-ciel où les Blancs, les Noirs, les métis formeront ensemble un monde nouveau. L’Afrique peut s’enorgueillir d’avoir enfanté un responsable politique d’un tel calibre. »
Relatée avec autant de vivacité que de précision, chaque tranche du récit voit l’apparition d’autres personnages clés, du planteur de salades Jan Van Riebeeck à l’artisan de l’apartheid Henrik Verwoerd en passant par le leader du mouvement de la Conscience noire, Steve Biko. Sans compter d’autres figures emblématiques telles que celles du bâtisseur d’empire britannique Cecil Rhodes ou de Christian Barnard, le premier médecin au monde à avoir tenté (et réussi) une transplantation cardiaque, Afrikaner pur jus mais adversaire déclaré de la ségrégation raciale.
Dans la plupart des cas, l’auteur a puisé sa matière dans les documents historiques disponibles. C’est le cas, par exemple, de la rencontre secrète entre Nelson Mandela, Walter Sisulu et Olivier Tambo, le 28 mai 1948, à Orlando West, dans la banlieue de Johannesburg. Une réunion au cours de laquelle la jeune garde du Congrès national africain (ANC) envisagea de passer à l’action violente. Parfois, l’auteur a été amené à romancer quelque peu l’un ou l’autre des épisodes décrits. Personne n’avait consigné les détails de la formidable expérience de District Six, un quartier du Cap où Noirs, métis, Indiens, Blancs et tant d’autres vivaient en harmonie. L’un de leurs sujets de fierté était d’avoir construit des vespasiennes ouvertes aux membres de toutes les communautés. Jusqu’à ce que l’administration chargée de veiller à l’application des lois sur la séparation raciale vienne mettre un terme à cette initiative ô combien symbolique qui défiait l’idéologie raciste au pouvoir. Partant de faits avérés, Dominique Lapierre a imaginé les dialogues entre quelques-uns des animateurs de la vie sociale à District Six.
Les historiens professionnels pourront toujours faire la fine bouche, le résultat est là. Grâce à sa maîtrise de la technique narrative, Dominique Lapierre réussit à captiver le lecteur de bout en bout. Encore son expertise ne se limite-t-elle pas à l’enquête et à l’écriture. Ce communicant dans l’âme excelle à faire la promotion de ses livres. Il le reconnaît sans complexe, puisqu’il consacre la moitié de ses droits d’auteur (soit plus de 2 millions d’euros annuels) et le produit de ses conférences à des actions humanitaires, notamment en Inde. Il y entretient un réseau de quatorze ONG qui travaillent dans le domaine de la santé. Il a contribué à guérir des millions de tuberculeux, à sauver des milliers d’enfants lépreux. Il a fait creuser plus de cinq cents puits d’eau potable et équipé quatre bateaux-hôpitaux au bénéfice des populations des villages du delta du Gange.

Roman vrai

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Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, il se sent particulièrement concerné par la question du sida : « J’ai écrit un livre sur le sujet, Plus grands que l’amour, roman vrai de la découverte du virus, et je sais quels ravages la pandémie peut faire dans ce pays. Les statistiques sont effrayantes. »
Le dernier livre de Lapierre rencontrera-t-il le même succès que les précédents ? Il faut le souhaiter, et pas seulement pour les droits d’auteur qu’il engendrera. Car il offre à un maximum de lecteurs une occasion unique de découvrir ce qu’a été la tragique histoire du pays de Verwoerd et de Mandela. Pour que les choses soient bien claires, l’auteur a placé à la fin de l’ouvrage un échantillon des 1 700 lois et dispositions instituées par le régime de l’apartheid pour assurer la séparation entre les « races ». On ne peut plus édifiant !

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