Entre impatience et espoirs
La première année du mandat de Sidi Ould Cheikh Abdallahi a permis d’aborder des questions de société sensibles. Mais l’économie peine à décoller et les effets des réformes se font attendre.
Mamadou, 51 ans, est un petit homme râblé qui porte des lunettes et s’habille à l’occidentale, pantalon gris et chemise blanche. Malgré son diplôme de technicien obtenu dans les années 1980, il travaille à l’accueil d’une banque, à Nouakchott. C’est le seul emploi stable qu’il ait trouvé après avoir enchaîné les périodes de chômage et les petits boulots. Sur sa paie mensuelle de 35 000 ouguiyas (95 euros), il en dépense 20 000 pour la location d’un deux pièces – sans eau ni électricité – où il vit avec son épouse, sans travail. Ils n’ont pas d’enfants. Lors de la présidentielle de mars 2007, il a voté pour Ahmed Ould Daddah, le président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD). « Je voulais un changement radical et Sidi incarnait la continuité », se justifie-t-il. Son candidat a perdu au second tour et, un an après l’investiture du vainqueur, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Mamadou pense que rien n’a avancé.
Après plus de quatre décennies de parti unique, de pouvoir militaire et de gabegie économique, des changements inédits sont pourtant intervenus depuis l’élection de « Sidi ». Les droits de l’homme ont été mis à l’honneur. Les Négro-Mauritaniens, qui, devant la déferlante de violences racistes de la fin des années 1980, ont dû fuir au Sénégal et au Mali, ont commencé à rentrer dans leur pays. Des « journées de concertation » ont été organisées en novembre dernier, au cours desquelles membres du gouvernement et société civile ont ouvert le douloureux débat du « passif humanitaire », euphémisme désignant les exactions commises à l’encontre des mêmes Négro-Mauritaniens, notamment dans l’armée, toujours à la fin des années 1980. Surtout, l’esclavage a été criminalisé par une loi (voir encadré p. 64).
Sur le plan institutionnel, les principes démocratiques sont respectés. Le chef de l’État reçoit régulièrement les leaders de l’opposition, et tout particulièrement son chef de file, Ahmed Ould Daddah, à qui la loi garantit un statut officiel – c’est le quatrième personnage de l’État – ainsi qu’une rémunération mensuelle. Le népotisme a toujours cours, mais il n’est plus la règle. L’enrichissement personnel des commis de l’État est limité par l’obligation légale de remplir une déclaration de patrimoine.
Ces évolutions, Mamadou ne les conteste pas. Mais il persiste dans la critique amère du nouveau régime. « L’essentiel, c’était le social. Et, de ce point de vue-là, ils n’ont rien fait, explique-t-il. On vit mal, tout est cher. » Comme la plupart de ses compatriotes, il ne pourra apprécier les avancées de la démocratie tant qu’il n’arrivera pas à joindre les deux bouts. Et pourtant, il ne fait pas partie des plus défavorisés dans un pays où 50 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. « En un an, nous n’avons pas réussi à améliorer concrètement les conditions de vie des habitants », reconnaît un conseiller du chef de l’État qui souhaite garder l’anonymat. Il faut dire que la conjoncture économique a été défavorable. Dès les premiers mois du mandat de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, les coupures d’eau et d’électricité se sont multipliées. En août dernier, de graves inondations à Tintane, dans le sud du pays, ont laissé près de 20 000 personnes sans logement et anéanti les activités de ce carrefour commercial. Puis les premiers effets de la crise alimentaire mondiale et de la hausse des prix des produits de première nécessité se sont douloureusement fait sentir, la Mauritanie devant recourir aux importations pour satisfaire près de 70 % de ses besoins alimentaires. En avril, un « programme spécial d’intervention » a été lancé. Mais le plan d’urgence de novembre dernier n’ayant pas eu raison de la crise, les esprits sont sceptiques (voir pp. 66-67).
Pour un grand nombre de Mauritaniens, cette démocratie que les autorités de transition ont brandie comme un horizon miraculeux – le 3 août 2005, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie a renversé Maaouiya Ould Taya, au pouvoir depuis vingt et un ans, en s’engageant à organiser des élections transparentes dans un délai de dix-neuf mois – n’a pas tenu ses promesses. Hindou, employée dans un ministère, va même jusqu’à penser que la manière de gouverner de Sidi, mélange de dialogue, de patience et de réflexion, n’est pas ce qu’il faut à la Mauritanie : « Au moins, sous Maaouiya, nous savions où nous allions et nous avions de quoi manger », regrette-t-elle. Cette nostalgie de l’homme fort a été accentuée par l’attentat qui, le 24 décembre dernier, a coûté la vie à quatre touristes français à Aleg, au sud-est de Nouakchott. Parmi les suspects, aujourd’hui derrière les barreaux, figurent des djihadistes libérés en juillet 2007. « Ces gens ne devaient pas sortir de prison, Maaouiya ne les aurait pas libérés », s’insurge Abdel, un intellectuel de la capitale. L’attaque d’Aleg a donné le coup d’envoi d’une série terroriste. Dans la nuit du 1er février dernier, l’ambassade d’Israël – dont la présence à Nouakchott depuis 1999 a toujours divisé l’opinion mauritanienne – a été mitraillée par des individus enturbannés aus cris de « Allah Akbar » (« Dieu est grand »). Et, deux mois plus tard, une fusillade a éclaté entre islamistes et forces de l’ordre, faisant trois morts, dont un policier.
LE VIRAGE POLITIQUE DU 6 MAI
Devant cette salve de critiques et le sentiment répandu que son régime est « guignard », le chef de l’État a fini par changer de cap. Le 6 mai, il a remercié le Premier ministre Zeine Ould Zeidane, entraînant la démission de l’ensemble du gouvernement. Un geste radical qui a surpris la classe politique, habituée à la mesure et à la constance de « Sidi ». Mais, en un an, la stratégie de la technocratie a montré ses limites. Jusqu’au 6 mai, seuls quatre ministres appartenaient en effet à un parti : les quatre membres de l’Alliance populaire progressiste (APP, la formation du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir), nommés à la suite d’un accord passé entre les deux tours de la présidentielle en échange d’un report de voix. Les autres sont tous des « technocrates », c’est-à-dire des professionnels réputés compétents, mais souvent inconnus du grand public et peu enclins à se déplacer à l’intérieur du pays. « Le gouvernement des e-mails », raillent alors certains observateurs à propos de cette équipe, qui, faute d’ancrage politique et régional, ne parvient pas à maintenir la proximité avec la population et à apaiser ses insatisfactions.
Le 11 mai, l’annonce de la composition du nouveau gouvernement a confirmé la volonté présidentielle de prendre un virage politique. Contrairement à l’ex-Premier ministre Zeine Ould Zeidane, ancien gouverneur de la Banque centrale, son successeur, Yahya Ould Ahmed el-Waghf, est un politicien. En 2007, il a rejoint l’équipe de campagne du chef de l’État, qui a manifestement été satisfait de son soutien puisqu’il l’avait nommé ministre secrétaire général de la Présidence après son élection. « Yahya », comme l’appellent déjà les Mauritaniens, a ensuite fédéré et fixé les députés censés être dans le camp du chef de l’État au sein d’un parti, le Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD). Ce statisticien de formation, 48 ans, dirigera une équipe où, cette fois-ci, dominent les partis : le PNDD, qui a raflé l’essentiel des postes, mais aussi l’Union des forces de progrès (UFP) et le Rassemblement national pour la démocratie et le développement (RNDD, parti « à référentiel islamique »), chacun représenté par deux ministres. Ces deux formations, jusqu’alors dans l’opposition, ont saisi la main tendue par le chef de l’État. « Il fallait s’ouvrir sur toutes les composantes de la vie politique », commente un conseiller à la présidence. La plupart des nouveaux ministres ont un ancrage régional et une expérience politique. Mais elle a été le plus souvent acquise sous Maaouiya Ould Taya, ce qui fait dire à un membre du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) que « ce gouvernement est celui du retour en arrière ». Mamadou, lui, n’en a cure, « du moment qu’il y a des hausses de salaire ».
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