Grand invité de l’Économie RFI/Jeune Afrique – Al Kitenge : « Même un prestidigitateur ne pourrait pas gérer la RDC avec un budget de 5 milliards de dollars »
Al Kitenge, entrepreneur, consultant et économiste, est le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique, samedi 12 janvier 2019 sur RFI, à 12 h 10 heure de Paris, 10 h 10 TU.
Formé à l’école polytechnique de Lubumbashi, Al Kitenge a fait une première carrière d’ingénieur chimiste au sein de la multinationale Unilever en Afrique et en Europe. Puis grâce à ses compétences en économie et en organisation, il s’est orienté vers le consulting et le soutien à l’innovation.
L’entrepreneur qui partage son temps entre Londres et Kinshasa, entend désormais consacrer ses compétences au développement du secteur de l’économie solidaire, persuadé que les conditions de vie des populations ne sont pas assez prises en compte dans les projets de développement prônés par les États et les institutions internationales. Il est la Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique samedi 12 janvier sur RFI, à 11 h 10 heure de Paris, 10 h 10 TU.
- Élections
Toute la situation de la RDC pose la question de la suprémacie de la politique sur l’économie. Si vous regardez le score cumulé de Félix Tshisekedi – vainqueur provisoire de l’élection présidentielle – et celui de Martin Fayulu, autre opposant au président Kabila, vous vous rendrez compte qu’il y avait un besoin de changement. C’est le principal message à retenir.
Mais les gens sont tous focalisés sur la présidentielle, alors que nous avons eu trois élections en une – présidentielle, législatives et provinciales, et que ce sera le Premier ministre, issu de la majorité parlementaire, qui aura tous les pouvoirs de la gestion au quotidien. Le président de la République reste cantonné sur deux matières, les affaires étrangères et la défense, en coordination avec le Premier ministre. Par ailleurs, les élections parlementaires provinciales élisent les députés provinciaux qui élisent les gouverneurs. Et notre Constitution dit que ce pays doit être décentralisé. L’élection qui focalise toute l’attention aujourd’hui, c’est à dire la présidentielle, va être l’élection de l’acteur le moins influent de la prochaine gouvernance.
- L’héritage économique de Jospeh Kabila
Il est difficile lorsqu’un pays est dirigé sans un plan stratégique connu de tous de faire une évaluation en fin de parcours. Néanmoins, je dois dire que nous avons renoué avec la croissance. Quand Jospeh Kabila est arrivé au pouvoir, nous étions en récession économique. Nous sommes passés d’un budget de quelques millions à quelques milliards.
Mais l’activité minière au centre du modèle congolais n’est pas de nature à redistribuer la richesse. La rémunération va au capital plutôt qu’au facteur humain. Aujourd’hui l’économie congolaise ne répond pas au besoin des citoyens et c’est là le plus gros défi.
- Planification
La première des choses est de se doter d’un plan stratégique de développement. Celui-là peut être aligné sur trente ans avec une déclinaison sur quinze ans. C’est un minimum, car aujourd’hui nous n’avons pas un stock de capital humain de qualité capable de porter la compétitivité de la nation. Il faut le mettre en place, et pour cela, il faudra que les présidents qui arrivent arrêtent de focaliser sur les résultats les plus visibles pour montrer qu’ils sont actifs. Actif ne veut pas nécessairement dire efficace. Il est important d’investir dans les projets structurants comme le capital humain.
- Inga
L’énergie est aussi une chose essentielle. Nous sommes le pays qui a le plus grand potentiel hydroélectrique concentré en un seul endroit. Le complexe Inga a un potentiel de 44 000 MW de capacité, aujourd’hui non exploité. Et nous sommes incapables de transformer les minerais que nous avons dans notre sous-sol simplement parce que nous n’avons pas assez d’énergie.
- Libéralisation
Le gouvernement a opté pour la libéralisation du secteur de l’énergie et il n’est pas nécessaire que ce soit le gouvernement qui développe le potentiel d’Inga qui, traduit en équivalent pétrole, nous place devant celui du Nigeria. Nous ne pouvons pas continuer de gérer un pays de 80 millions de personnes avec 5 milliards de dollars. Pour faire un saut qualitatif, il faut de grands projets. Et pour cela il faut un plan qui permette de ne pas arbitrer sur une mandature. Même un prestidigitateur ne pourrait pas gérer la RDC avec un budget de 5 milliards de dollars.
- Point de rupture
Nous sommes le point de rupture du continent. Quand vous arrivez en RDC, par le nord comme par le Sud, vous ne pouvez plus bouger. Nous avons l’obligation de connecter l’Afrique. Pour cela, il faut que nous nous dotions d’infrastructures de transport et donc d’un plan de mobilité pour les personnes et les marchandises. Des routes, des voies fluviales et des accès à l’océan. Cela veut dire des investissements colossaux. Nous en avons les moyens car nous sommes assis sur 24 000 milliards de dollars de ressources naturelles. Nous avons donc un levier pour emprunter sur la place financière internationale. Et nous n’avons pas besoin de tout investir sur des fonds publics, mais nous pouvons le faire via des partenariats publics-privés.
- Cobalt
Le plus important n’est pas d’extraire du cobalt mais de le transformer localement. D’être mesure d’en obtenir plus de valeur ajoutée. Parce qu’un jour, ce cobalt, nous n’en aurons plus du tout. Il faudrait que nous soyons en mesure de dire aux générations futures : « Nous avions du cobalt, mais aujourd’hui nous avons des routes, des universités et un système de santé ». Aujourd’hui, c’est à l’extérieur du pays que la valeur ajoutée est produite.
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