Centrafrique : le bras de fer Paris-Moscou se joue aussi dans la presse
L’ambassadeur de France en Centrafrique a vivement critiqué le traitement de plusieurs médias, les accusant de diffuser des « rumeurs visant à dégrader l’image de la France ». Des titres de presse qui ont clairement choisi entre Paris et Moscou, et assument.
Le bras de fer qui se joue entre la France et la Russie en Centrafrique trouve un écho, aussi, dans la presse. Plusieurs médias centrafricains ont clairement pris parti pour Moscou face à Paris dans la guerre d’influence qui se joue à fleurets de moins en moins mouchetés à Bangui.
Les attaques contre la présence française en Centrafrique se font si frontales dans certains journaux que l’ambassadeur de France à Bangui s’est fendu d’une lettre officielle adressée au président du Haut conseil de la communication (HCC, l’instance de régulation des médias) dans laquelle il s’inquiète de ce qu’il qualifie d’« appels incessants à la haine diffusés contre la France depuis plusieurs mois dans la presse centrafricaine ».
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Plusieurs titres pointés du doigt
Ce courrier, signé de la main de l’ambassadeur de France Eric Gérard et adressée le 19 décembre à José Richard Pouambi, président du HCC – dont Jeune Afrique a obtenu une copie – cite en particulier le journal Centrafric Matin. Ce dernier y est accusé de « propager délibérément de fausses informations et des rumeurs visant à dégrader l’image de la France », et d’appeler régulièrement « à la violence et à la haine ».
Et l’ambassadeur de dénoncer un article daté du 17 décembre dernier, dans lequel Centrafric Matin « avance faussement que les ministres Le Drian et Fabius auraient promis que ‘’la RCA sera à feu et à sang’’ ». Le courrier cite même nommément un journaliste, Julien Bela, coupable aux yeux de l’ambassadeur d’avoir écrit que « les pyromanes de la France mettent à exécution leur plan génocidaire en RCA ».
Cela ne me fait ni chaud ni froid que la France se plaigne. Je défends mon pays, je dois donner mon opinion et éclairer le public
Autre journal cité dans le courrier d’Eric Gérard, Le Quotidien de Bangui. Cette fois pour un article du 20 novembre dernier, dans lequel on pouvait lire que « l’ambassade de France est impliquée dans les manœuvres qui visent à décimer actuellement la population centrafricaine ».
Une ligne pro-Moscou assumée et revendiquée
Contacté par Jeune Afrique, Julien Bela, directeur de publication de Centrafric Matin, se déclare serein face à la charge. « Cela ne me fait ni chaud ni froid que la France se plaigne. Je défends mon pays, je dois donner mon opinion et éclairer le public », martèle l’éditorialiste.
Il assume également pleinement d’avoir choisi son camp, entre Paris, d’un côté, et Moscou et Pékin de l’autre. « Russie, superpuissance en armes et munitions, pendant que la France est la risée du peuple centrafricain », pouvait-on ainsi lire à la une de Centrafric Matin le 5 décembre.
« La France a longtemps été là, mais n’a jamais rien fait concrètement. Aujourd’hui, la Russie et la Chine viennent d’arriver. On voit déjà bien les fruits de leur présence sur le territoire », affirme Julien Bela, évoquant notamment la coopération militaire et les dons d’armes et d’équipements des deux pays à l’armée centrafricaine. Et le journaliste de marteler sa volonté de « mener le combat jusqu’à ce que la France comprenne qu’elle n’a plus sa place ici. »
>>> À LIRE – Centrafrique : Moscou en embuscade
Les sites publiant régulièrement des articles hostiles à la France sont nombreux, à l’image de Bangui24News, Le potentiel centrafricain ou encore Kangbi-Ndara. Yannick Nalimo, responsable de ce dernier, assume : « Si la France se plaint, c’est qu’elle se sent débordée ». « Il faut se poser la question de savoir pourquoi cet acharnement subit. Les invectives médiatiques sont souvent des dénonciations réelles, mais certains fantasment. Les gens voient l’ombre de la Russie partout. Mais c’est un tort, d’autant que les Russes mènent des actions concrètes en Centrafrique », soutient Yannick Nalimo.
Les articles de presse à charge contre Paris ne sont pas un phénomène récent en Centrafrique, mais dès le début de l’extension de l’influence russe en Centrafrique, plusieurs titres de presse se sont plus systématiquement directement attaqués à la France.
Une procédure longue
Un journaliste centrafricain qui travaille pour un des médias concernés assure pourtant à Jeune Afrique que « des journalistes reçoivent des gains. Parfois, ce sont des forfaits mensuels de connexion à Internet, parfois ce sont des ordinateurs, des imprimantes, etc. », affirme-t-il, sous couvert d’anonymat et sans vouloir préciser de qui ces journalistes recevraient ces « gains » présumés.
La procédure engagée par l’ambassade de France auprès du Haut conseil de la communication, au-delà du signal politique, prendra du temps. « Les sanctions se prennent, éventuellement, après étude de la demande, des résultats des enquêtes et, surtout, des éléments de défense que fournit le média », précise à Jeune Afrique Richard Pouambi, président du Haut conseil de la communication. « Il y a parfois des publications qui me gênent en tant que citoyen. Mais en tant que président de l’organe de régulation, je ne peux pas décider comme ça, sans respecter les procédures. »
S’il dit avoir « constaté ce sentiment anti-français qui s’est développé dans les médias », il se montre cependant particulièrement prudent sur les soupçons de téléguidage russe. « Est-ce lié à la présence russe ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que des gens pensent que la France est à l’origine de la crise. Personnellement, je n’ai aucune preuve que la présence de la Russie est la cause des articles de presse contre la France. »
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