[Tribune] Cols blancs et mains sales
L’impunité des criminels en col blanc est aussi une atteinte à la souveraineté des États africains.
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Joël Té-Léssia Assoko
Joël Té-Léssia Assoko est journaliste spécialisé en économie et finance à Jeune Afrique.
Publié le 16 janvier 2019 Lecture : 2 minutes.
Après la découverte de deux milliards de dollars de dette « cachée » contractée par des entreprises publiques mozambicaines, il a fallu attendre deux ans pour voir des hommes d’affaires – tous présumés innocents – finalement arrêtés.
Début janvier, trois anciens cadres de Credit suisse – Andrew Pearse, Surjan Singh et Detelina Subeva – ont été incarcérés à Londres ; l’intermédiaire libanais Jean Boustani, à New York, et l’ancien ministre mozambicain des Finances Manuel Chang, à Johannesburg. Ils sont accusés d’avoir détourné 200 millions de dollars en pots-de-vin et rétrocommissions.
Les arrestations de début janvier découlent de mandats émis par la justice américaine, usant de ses prérogatives dès lors que des transactions utilisent le « billet vert ». Que faisaient donc les autorités judiciaires de Maputo ? Poser la question, c’est y répondre…
Une criminalité sous-réprimée
Les sommes détournées représentent trois quarts du budget de la Santé, dans un pays où 53 nouveau-nés sur 1 000 meurent avant leur premier anniversaire – plus qu’en Afghanistan ! C’est 40 % des dépenses en infrastructures, alors que le taux de mortalité lié à l’insalubrité et au manque d’hygiène dépasse celui d’Haïti. L’indicateur le plus significatif est probablement celui-ci : ces montants représentent plus de cinq fois le budget annuel de la Justice !
La criminalité en col blanc est sous-réprimée un peu partout dans le monde. Aucun des principaux responsables de la crise financière de 2007-2008 n’a été emprisonné, alors que selon une étude elle a provoqué une surmortalité – par suicide – avec 4 750 décès en quatre ans aux États-Unis.
>> A LIRE – Victor Lopes : « Le Mozambique est le pays le plus endetté d’Afrique subsaharienne »
Drôle de souveraineté
Soit. Mais comme sonnent creux les éternelles lamentations au sujet des « atteintes à la souveraineté » des pays africains ! Que reste-t-il donc de cette souveraineté lorsque c’est de Washington, de Paris, de Londres ou de Berne que sont déclenchées les enquêtes contre des détournements commis en Afrique ?
En octobre 2017, c’était déjà la justice américaine qui avait déclenché des poursuites contre le géant australien Rio Tinto et ses dirigeants pour avoir dissimulé l’impact d’un investissement raté, en 2011, dans des mines au Mozambique.
C’est également aux États-Unis qu’a eu lieu, à la mi-2014, la première condamnation majeure liée aux permis miniers controversés du gisement du Simandou, en Guinée. Les procès pour biens mal acquis ont lieu à Paris. La restitution des richesses détournées sous Sani Abacha, au Nigeria, est coordonnée par la Suisse…
Il est surprenant que pareilles absurdités ne suscitent pas plus d’indignation.
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