Algérie Télécom peut-il rebondir ?

L’opérateur public traverse depuis cinq mois une zone de fortes turbulences. Au coeur de la tourmente, Mobilis, sa filiale de téléphonie mobile. Son redressement est l’une des clés de l’avenir du groupe.

Publié le 26 mai 2008 Lecture : 6 minutes.

« Encore ! Mais pourquoi ? » Le limogeage, le 10 mai dernier, de Mouloud Djaziri, PDG d’Algérie Télécom (AT), remercié séance tenante par Boudjemaâ Haïchour, le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, suscite stupeur et incompréhension. Mouloud Djaziri avait été nommé à la tête de l’entreprise publique cinq mois plus tôt, le 2 janvier 2008, en remplacement de Kheïreddine Slimane, lui aussi limogé par son ministre de tutelle. Moussa Benhamadi, qui leur succède, est donc le troisième pilote à prendre les commandes de l’entreprise publique en moins de six mois !
« Le groupe n’a pas su faire fructifier tous ses atouts et ses capacités ainsi que le savoir-faire de son potentiel humain pour être compétitif sur le plan national et international », a déclaré le ministre pour justifier officiellement cette énième nomination. Mais que se passe-t-il donc à AT ? Aucune des filiales – Mobilis (téléphonie mobile), Djaweb (Internet) et ATS (satellite) – n’est épargnée par la valse des dirigeants et ne parvient à s’imposer. Quoiqu’en position de quasi-monopole, Algérie Télécom ne progresse pas dans le fixe et Djaweb vient de diviser ses tarifs par deux pour tenter de se relancer dans l’ADSL. L’entreprise publique semble comme déboussolée. Impuissante à définir une stratégie claire. Promoteur de l’Internet en Algérie, homme de réseau qui dispose d’appuis politiques certains, Moussa Benhamadi sera-t-il enfin l’homme de la situation ?
Sans perdre de temps, le nouveau PDG doit fixer une stratégie efficace. Priorité numéro un, se concentrer sur la marque de téléphonie mobile Mobilis. Car elle aussi a besoin de retrouver la stabilité. Hachemi Belhamdi, son PDG depuis 2004, a cédé sa place à Lounis Belharrat en décembre 2007, au moment même où la maison mère changeait aussi de patron. Or Mobilis est la pièce maîtresse, l’atout le plus précieux d’AT. Comme dans la plupart des pays émergents, l’Algérie a connu un fort engouement de la population pour la téléphonie mobile. De 54 000 abonnés en 2000, elle en a recensé 27 millions en 2007. Le parc pourrait atteindre 36 millions en 2010.
Le marché est porteur, c’est indéniable. Mais Mobilis, l’une des rares sociétés de téléphonie au monde à être encore publique à 100 %, peine à tenir tête à ses deux concurrents privés, Djezzy (filiale de l’égyptien Orascom Telecom) et Nedjma (filiale de Wataniya Telecom, propriété du groupe qatari QTel depuis 2007). « Le principe de base de ce marché, c’est ÂÂpremier arrivé, premier serviÂÂ, rappelle Xavier Decoster, senior consultant chez Quantifica, cabinet d’expertise en télécommunications. Or, en Algérie, c’est Djezzy, arrivé pourtant après Mobilis, qui est le leader du marché. » D’après les données de l’Autorité algérienne de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), Mobilis détenait 33,5 % de parts de marché en 2007, devant Nedjma (18,51 %) et loin derrière Djezzy (48,14 %). De son côté, le cabinet Oxford Business Group attribue une part de marché de 63 % à la filiale d’Orascom Telecom.
Malgré son statut d’opérateur historique et sa situation de monopole, ou à cause d’eux, Mobilis a raté le coche en 2001, lors de la libéralisation du secteur. Ses concurrents ne sont arrivés qu’en février 2002 (Djezzy) et août 2004 (Nedjma), mais l’opérateur public a connu de nombreux ratés, notamment la saturation d’un réseau insuffisamment développé, qui ont détourné une partie de la clientèle. L’opérateur a par la suite redressé la barre. Piloté par Hachemi Belhamdi, venu du ministère de la Poste et des Technologies, Mobilis est passé de 6 % de parts de marché en 2004 à 11 % l’année suivante. Trois années à ce poste (2004-2007) ont suffi à Hachemi Belhamdi pour quintupler le parc d’abonnés.

Nedjma tient bon

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Reste qu’aujourd’hui la filiale d’AT est loin encore de pouvoir rivaliser avec Djezzy, qui affiche un chiffre d’affaires de 1,75 milliard de dollars en 2007, contre 45 milliards DA (733 millions de dollars) pour l’opérateur public. Wataniya Telecom Algérie – Nedjma – ne communique pas ses chiffres. Mais dans son rapport annuel 2007, sa maison mère Qtel lui attribue un chiffre d’affaires de 370 millions de dollars, en hausse de 48 % par rapport à 2006 (250 millions). Bien que plombée par de lourds investissements, qui alimentent la rumeur sur sa très mauvaise situation financière, Nedjma demeure la filiale la plus rentable (avec Tunisiana) du groupe qatari.
La bataille s’annonce rude. Mais la guerre n’est pas perdue. Partie en trombe, la filiale d’Orascom perd graduellement du terrain, sous la pression de ses concurrents. De 88,4 % de parts de marché en 2003, la marque n’en détient plus que 48 % mais reste numéro un, et le sera encore en 2010 avec 46,1 % du marché, selon les projections d’Oxford Business Group. Affichant 54 000 abonnés seulement en 2000, Mobilis en revendique près de 10 millions aujourd’hui. Contre 13 millions pour Djezzy. La filiale d’Algérie Télécom a donc une carte à jouer. À condition d’affirmer enfin une stratégie marketing et commerciale qui soit attractive et efficace.

21 milliards pour relancer la téléphonie mobile

La marque est beaucoup moins populaire que ses concurrentes. Sa communication est d’ailleurs beaucoup moins offensive, face à Djezzy, qui dépense six fois plus que lui en publicité. Ou encore face à Nedjma, qui n’a pas hésité à faire appel au footballeur Zinedine Zidane pour sa campagne en 2006. Malgré quelques efforts, l’opérateur public est bien en retrait et préfère une présence plus institutionnelle, via le sponsoring de forums, de salons et autres congrès officielsÂÂ (voir encadré). « C’est le choix de la facilité, résume un expert. Pour s’arracher les faveurs des abonnés, l’opérateur devrait sortir de sa ÂÂsagesseÂÂ. »
Pendant ce temps, Djezzy concentre ses moyens sur les clients. Et ça paie. Si la filiale du groupe égyptien perd des parts de marché, son activité demeure bien plus rentable. Selon l’étude du cabinet irlandais Research and Markets, publiée début mai, Djezzy affiche un revenu mensuel moyen de 12 euros par abonné. Il est de 3 euros pour Mobilis et devrait stagner à ce niveau jusqu’en 2010. « La bureaucratie et l’étatisme d’Algérie Télécom entravent l’évolution stratégique et la créativité de Mobilis. L’ancienneté du personnel, employé du temps du monopole public, s’oppose au dynamisme du secteur, où il faut être réactif », souligne un consultant qui préfère garder l’anonymat.
La filiale pourrait s’appuyer sur le portefeuille diversifié de sa maison mère (Internet, satellite, téléphonie fixe et mobile), qui lui permettrait d’élaborer une offre à haute valeur ajoutée, bien plus étoffée que celle de ses concurrents. Elle en a désormais les moyens. Pour financer son développement, AT a levé des ressources financières colossales ces dernières années. En 2005, l’opérateur lançait avec succès un emprunt obligataire de 6,5 milliards de DA. Renouvelée en septembre 2006, l’opération rapportait cette fois 21 milliards de dinars, utilisés pour les deux tiers au développement de Mobilis. Visiblement, cela n’a pas suffi à relancer la machine.
« Privatisation ! » réclament les experts, unanimes. Le serpent de mer ! Annoncée depuis six ans, l’ouverture du capital est imminente depuis deux ans. Une nouvelle fois, le 5 mars 2008, Boudjemaâ Haïchour promettait l’ouverture du capital d’Algérie Télécom. Cette fois « avant la fin du premier semestre 2008 »Â Avec les tangages actuels, il n’est pas sûr que le rendez-vous soit maintenu. Ni que les 45 prétendants évoqués par le ministre soient rassurés. L’opération s’avère malgré tout indispensable. Outre un apport de fonds, le futur partenaire doit impérativement apporter dans ses bagages des outils plus performants en matière d’efficacité managériale, de savoir-faire marketing et commercial. Sans oublier les technologies de pointe. « L’ouverture du capital pourrait redynamiser l’entreprise avec l’arrivée d’un partenaire industriel qui lui apporterait les best practices et lui permettrait de renforcer son positionnement vis-à-vis de OTA », note Jean-Sébastien Grail, directeur chez Booz & Co. Ce serait un comble que Mobilis, adossée à un groupe qui dispose d’expertises dans les hautes technologies, se laisse souffler la primeur des services de haute valeur ajoutée par l’un de ses concurrents ! Privatisation ou pas, Mobilis doit passer à la vitesse supérieure si elle ne veut pas finir bradée.

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