RDC – Les vérités de Vital Kamerhe : « Il n’y a pas d’un côté des saints et de l’autre des diables »
Quelques heures avant la publication, dans la nuit du 9 au 10 janvier, des résultats provisoires de la présidentielle du 30 décembre dernier, Vital Kamerhe, directeur de campagne de Félix Tshisekedi, s’était confié à Jeune Afrique.
Kinshasa, le 8 janvier, 15 heures. Nous sommes à la veille de la date annoncée pour la publication des résultats provisoires de la présidentielle en RDC. Lorsqu’il nous reçoit dans la centrale électorale du Cap pour le changement (Cach), à La Gombe, Vital Kamerhe sait déjà qu’il a misé sur le bon cheval. Mais il ne laisse rien transparaître. Ou presque. D’autant qu’il sait aussi qu’en politique, surtout au Congo, rien n’est vraiment acquis.
Le directeur de campagne de Félix Tshisekedi reste tout de même confiant. Et nous présente les raisons officielles de sa foi en la victoire de son allié : les « chiffres ». Il s’agit de ceux compilés par la centrale électorale de Cach, retranchée dans l’une de ses résidences. Ce jour-là, le tableau projeté sur le mur de la salle affiche déjà une avance de quelque 106 874 suffrages exprimés pour Félix Tshisekedi sur son poursuivant direct, Martin Fayulu, opposant lui aussi et candidat de la coalition Lamuka [Réveille-toi, en lingala]. Mais sur un total de 2 550 184 votants seulement.
L’échantillon est faible. Près de 40 millions d’électeurs étaient attendus aux urnes le 30 décembre. Vital Kamerhe ne l’ignore pas. Le but de sa manœuvre est ailleurs. Se convaincre et surtout convaincre, chiffres à l’appui, que Félix Tshisekedi « va gagner ». L’ancien président de l’Assemblée nationale cherche alors à confronter ces chiffres à ceux de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), lesquels donneraient Martin Fayulu vainqueur de la présidentielle du 30 décembre.
J’ai l’impression que nos amis de Lamuka et la Cenco avaient le même centre de compilation. »
Mais les évêques catholiques ne lui communiqueront jamais leurs données. « J’ai l’impression que nos amis de Lamuka et la Cenco avaient le même centre de compilation », se désole-t-il. Kamerhe se contentera de transmettre les siennes aux ambassades de France, de Grande-Bretagne et des États-Unis. La suite, on la connait. Félix Tshisekedi a été déclaré vainqueur dans la nuit du mercredi à jeudi par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Martin Fayulu, qui conteste ces résultats, a saisi la Cour constitutionnelle.
La leçon de la campagne
De la campagne électorale, Vital Kamerhe en tire une leçon : « Les contacts avec la population comptent beaucoup, surtout pour Félix [Tshisekedi] qui n’était pas connu dans certains milieux reculés de l’Est. Il fallait que les gens le voient physiquement et qu’il leur demande leurs suffrages. »
Dans ce domaine, « Martin [Fayulu] avait l’avantage dans les grandes villes : avec le jet privé mis à disposition, il pouvait faire Kisangani – Lubumbashi en un clin d’oeil. Mais si vous devez faire Kisangani – Lubumbashi avec un autre avion, c’est 4 heures et demi de vol. Là où il lui fallait une heure. »
À l’arrivée, Félix Tshisekedi devance tout de même Martin Fayulu, selon les résultats provisoires. Si cela avait été l’inverse, Kamerhe jurait le 8 janvier que son camp aurait accepté le verdict des urnes et nous relatait alors une réunion qui avait eu lieu entre Monseigneur Fridolin Ambongo, nouvel archevêque de Kinshasa et Félix Thisekedi : « ‘Pour moi, si c’est Fayulu [qui l’emporte], je le félicite tout de suite, mais nous devons parler’, avait dit Félix Tshisekedi au clergé. »
Et Vital Kamerhe de poursuivre, relatant cette fois-ci une rencontre entre Félix Tshisekedi et Martin Fayulu : « Puis, lors d’un tête-à-tête avec Fayulu, ce dernier ne pouvait se prononcer sur rien car il avait déjà réservé par exemple le poste de Premier ministre à Jean-Pierre Bemba [un de ses principaux soutiens au sein de Lamuka, ndlr]. En fait, Fayulu n’est pas libre. »
Deal Kabila – Cach ?
Quid des garanties que le Cach et Félix Tshisekedi auraient données à Joseph Kabila, au pouvoir depuis près de 18 ans, et à son entourage ? « Lorsque vous voulez rétablir un État de droit, vous ne pouvez pas vous substituer à la place des juges. Quand François Hollande est élu président de la République française en 2012, avait-il promis l’enfer à Nicolas Sarkozy ? Non, au contraire. Mais cela n’a pas empêché à la justice, institution indépendante, de faire son travail », explique Vital Kamerhe.
Du groupe d’opposants qui se trouvent à l’extérieur du pays, Moïse Katumbi est le plus rassembleur. »
Mais « l’opposition ne doit pas non plus être considérée comme une blanchisserie », précise-t-il, appelant les uns et les autres à adopter un comportement à la hauteur de ce « rendez-vous historique ». Pour la première fois, le transfert du pouvoir s’effectue entre un président sortant vivant et son successeur déclaré vainqueur du scrutin.
Félix Tshisekedi écoute les « conseils » de Vital Kamerhe sur les attitudes à adopter, selon ce dernier. « Mais à Lamuka, quand vous avez Ève Bazaiba [secrétaire général du parti de Bemba, ndlr], d’un côté, et Martin Fayulu, de l’autre, ce sont deux volcans en éruption, je ne sais pas qui peut conseiller l’autre. »
« Du groupe d’opposants qui se trouvent à l’extérieur du pays, Moïse Katumbi est le plus rassembleur. Voici quelqu’un de l’Est qui se retrouve dans l’étau de Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito, Martin Fayulu, Freddy Matungulu, tous de l’Ouest. On ne peut pas être plus nationaliste que ça ! Comme moi qui suis de l’Est et qui soutiens un Kasaïen (centre). Voilà le Congo de demain que nous voulons », souligne Kamerhe.
« Hommages » à Kabila
Le directeur de campagne de Félix Tshisekedi assume par ailleurs les « hommages » qu’il faudrait rendre à Joseph Kabila pour avoir accepté de se retirer du pouvoir. Malgré l’avis contraire de certains caciques du régime et de ses courtisans. À Martin Fayulu et ses soutiens, il pose en revanche une question : « Pourquoi revendiquez-vous la victoire issue des mauvaises élections, promettant d’organiser des bonnes élections d’ici deux ans ? C’est paradoxal. Il ne faut pas pisser dans l’assiette qui vous nourrit. »
Félix a déjà dit qu’il va travailler avec tout le monde »
« C’est à nous de prendre nos responsabilités, poursuit Vital Kamerhe. Si nous aimons le Congo, ce n’est pas uniquement comme président de la République ou Premier ministre que nous pouvons servir ce pays. » Dans l’accord de coalition conclu à Nairobi avec Félix, le poste du chef de gouvernement lui était destiné. Mais avec les résultats des législatives, largement favorables à la majorité sortante, les prévisions risquent d’être réajustées. « Que vous le vouliez ou pas, les résultats des urnes finissent toujours par vous contraindre d’être ensemble dans l’Assemblée nationale, de parler, de discuter de la manière dont il faudrait gérer le pays », fait-il remarquer.
Dans tous les cas, « Félix a déjà dit qu’il va travailler avec tout le monde. Car il n’y a pas d’un côté des saints et de l’autre des diables, martèle Vital Kamerhe. Il suffit d’observer la scène politique congolaise : commençons par moi-même. J’étais secrétaire général du PPRD [parti de Joseph Kabila], je suis aujourd’hui dans l’opposition. Suis-je devenu pour autant saint ? Il faut me juger par rapport à mon comportement lorsque j’étais au PPRD. Étais-je un bon président de l’Assemblée nationale ? Prenons le cas de Pierre Lumbi. Il était conseiller spécial du chef de l’État en matière de sécurité. Pendant son règne, peut-on dire qu’il y avait moins de répression et que Kabila était plus tendre ? Il est dans l’opposition et directeur de campagne de Martin Fayulu ».
« L’important, c’est de changer le système »
Et de poursuivre : « Il y avait aussi des répressions pendant que Moïse Katumbi était gouverneur du Katanga. Il ne peut en être fier, même s’il dira toujours que les ordres venaient d’en haut. C’est pourquoi nous pensons que nous pouvons travailler avec certaines personnes qui évoluent aujourd’hui au sein de la majorité. L’important, c’est de changer le système. La propension de l’homme congolais à dévier, à voler les deniers publics est tellement élevée que sans un système dissuasif – séparation des pouvoirs, institutions fortes, justice indépendante et équitable – le pays ne s’en sortira pas. »
Entre deux maux, il faut choisir le moindre »
Vital Kamerhe voudrait voir revenir « l’époque de Kasa-Vubu », premier président du Congo indépendant. Cet homme qui « ramenait à la caisse de l’État les frais restants de ses voyages officiels ». Il rend aussi hommage à Patrice Lumumba, qui « n’a laissé qu’une seule maison sur le Boulevard alors qu’il était Premier ministre ». Idem pour Laurent-Désiré Kabila qui ne s’était acheté, selon lui, « aucun appartement, aucune maison, aucun terrain ».
En attendant, il n’y aura pas de « règlements de compte » à l’encontre de ceux qui ont dirigé la RDC ces 17 dernières années. Vital Kamerhe s’en explique : « Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Pas de chasse aux sorcières pour un nouveau départ du Congo mais certaines fautes sont impardonnables, bien entendu. »
Félix président de la République, « une réforme de l’État va toutefois être engagée pour donner plus de moyens à nos militaires, construire des casernes afin qu’ils accomplissent efficacement leur mission première de sécuriser l’intégrité de notre territoire. Il en est de même de la police. Mais nous n’enverrons personne à la potence », assure Kamerhe. « Il y aura certainement des restrictions au niveau de l’Agence nationale de renseignement (ANR). Cette dernière doit être un service d’intelligence, pas celui d’interpellation quotidienne des citoyens », déclare-t-il.
Kamerhe en est conscient. « Le président élu ne va pas bénéficier d’un seul moment de sursis. Le peuple a soif de changement et attendra avec impatience les premières mesures dans ce sens. » Et de prévenir : « Si ces mesures n’arrivent pas, le peuple ne tardera pas à redescendre les rues de Kinshasa et des autres villes du pays. »
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