Quatre hommes et une galère

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 6 minutes.

Le titre du livre est éloquent : Plan d’attaque ; il vient de paraître à Washington, où il a fait l’effet d’une bombe médiatique(*). Son auteur, le journaliste américain Bob Woodward, mondialement connu comme le « tombeur de Nixon » après le scandale du Watergate, nous avait déjà donné, il y a un peu plus de deux ans, un Bush en guerre.
Il nous avait alors montré l’actuel président des États-Unis et son administration sous le choc du 11 septembre 2001 et préparant leur pays à cette « guerre mondiale contre le terrorisme » qui allait façonner leurs politiques intérieure et extérieure.
Dans Plan d’attaque, Bob Woodward raconte comment Bush a préparé sa guerre d’Irak, situe le jour où la décision a été prise, indique qui y a incité et qui a tenté de dissuader Bush de s’y hasarder.

Comme le précédent, ce livre est « autorisé » : Bush, qui a confiance en Woodward et connaît son audience, a voulu le livre, reçu l’auteur plusieurs heures, demandé à ses collaborateurs les plus proches de lui dire comment les choses se sont passées. Il a pensé, à juste titre, que c’était l’attitude la plus habile pour que le livre donne de lui et de son administration une image positive.
Woodward a joué le jeu, mais son expérience, son talent et ses recoupements font qu’aucun lecteur ne doute de la véracité des informations et révélations qu’on trouve à chacune des 480 pages du livre.
Le journaliste s’est fait chroniqueur de « l’histoire immédiate », et ses deux livres seront, pour les historiens, une source solide pour décrire et comprendre la présidence de George W. Bush telle qu’elle a été remodelée par le 11 septembre 2001.
Dans notre prochaine livraison, vous pourrez lire, sous la plume de François Soudan, tout ce qu’une lecture attentive du livre lui aura appris ou confirmé.
En avant-première et pour vous mettre en appétit, je vous donne ci-dessous un aperçu du comportement, en 2002 et 2003, des quatre principaux protagonistes américains du drame qui se nouait alors et que nous vivons aujourd’hui : la guerre d’Irak.
Voici donc, comme dans une pièce de théâtre ou un roman, quatre personnages face à leur destin.

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George W. Bush, un président-missionnaire. Début janvier 2003 (trois mois avant qu’il envahisse l’Irak), il rentre à Washington après les fêtes de fin d’année passées au Texas ; il est tendu comme un arc et parle avec sa conseillèreCondoleezza Rice.
Sous la conduite de Hans Blix, les inspecteurs de l’ONU sont en Irak, en train de chercher les fameuses armes de destruction massive que ce pays est censé détenir et dont on dit qu’elles sont une menace insupportable pour Israël et les autres voisins de l’Irak, pour les États-Unis et le monde.
Bush piaffe d’impatience :
« Saddam se renforce, le temps ne travaille pas pour nous. Je pense que nous allons être obligés de lui faire la guerre. Les États-Unis [sur ordre exprès de George W. Bush à Donald Rumsfeld, les plans de l’invasion ont commencé à être préparés dès novembre 2001 et près de 150 000 soldats avaient été massés autour de l’Irak] ne peuvent pas tourner en rond, attendre, pendant que Saddam joue au chat et à la souris avec les inspecteurs.
– Qu’en pensez-vous ? Devons-nous y aller ?
– Oui, répond Condoleezza Rice.
– Je sais ce que pensent Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Colin Powell, je n’ai pas besoin de le leur demander. »
Et, de fait, il ne les consultera pas, mais leur fera part de sa décision, dans la semaine.
Il sait, dit-il, qu’il risque sa présidence, mais il doit le faire parce que c’est juste et que c’est la mission pour laquelle Dieu l’a choisi…

Dick Cheney, vice-président et « faucon ». C’est le responsable américain qui veut le plus la guerre pour supprimer Saddam et installer les États-Unis au coeur du Moyen-Orient. Il est tout à la fois l’inspirateur du président, son homme à tout faire et… son maître à penser.
Dès le lendemain du 11 septembre 2001, il a dit et répété au président, sans se lasser : « Après l’Afghanistan, il vous faudra, très vite, attaquer l’Irak, faire ce que Clinton n’a pas osé faire. La seule défense possible est l’attaque.
Nous n’avons pas à justifier nos actions par des preuves. Il nous suffira d’affirmer que Saddam possède sans aucun doute des armes de destruction massive, qu’il a l’intention de les utiliser contre nos amis, contre nos alliés et contre nous.
La menace est là, il faut agir pour la supprimer, car les risques de l’inaction sont énormes. »
Il a été celui qui a franchi un pas de plus en soutenant publiquement que Saddam Hussein était lié à el-Qaïda et, donc, coresponsable du 11 septembre.
Colin Powell, qui soutenait le point de vue opposé, devint sa bête noire, et les deux hommes en arrivèrent à ne plus s’adresser la parole. Cheney et son cercle, que Powell appelait « Gestapo Office », se mirent à accuser le secrétaire d’État de pusillanimité et à évoquer sa démission.

Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense. Il règne sur un complexe militaro-industriel sans équivalent. Il a des idées et trouve que l’Afghanistan n’est pas un théâtre d’opérations digne de lui ; il lui faut une vraie guerre pour mettre ses idées militaires à l’épreuve.
Lorsque Bush lui a parlé d’envahir l’Irak, il s’est frotté les mains et a mis ses généraux au travail.

Colin Powell, secrétaire d’État. Il a songé à se présenter à la présidentielle et aurait pu être à la place de George W. Bush. Il soigne sa popularité et demeure de loin le responsable américain le plus apprécié à l’intérieur, le plus respecté à l’extérieur.
Mais, dans cette administration peuplée de faucons, il est une « colombe » isolée, aux ailes coupées.
Il n’a été informé par Bush de sa décision d’envahir l’Irak que le 13 janvier 2003 et l’entretien a duré douze minutes. Le président savait que son ministre était opposé à la guerre :
« Je dois la faire et je veux que vous soyez avec moi.
– Je ferai de mon mieux. Je suis avec vous, Monsieur le Président. »
Commentant cet entretien, Bush dira à Woodward :
« Je n’avais pas besoin de sa permission… »

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Il aurait mieux fait de se souvenir de ce que lui avait dit son ministre, le 5 août 2002. Ce soir-là, il l’avait invité à dîner et… à exposer ses réserves : Powell s’était expliqué longuement et a même cru avoir convaincu.
« Si vous occupez l’Irak, vous allez avoir 25 millions d’Irakiens sur les bras. Vous allez hériter de leurs espoirs et aspirations. Mais, en même temps, de leurs problèmes.
L’affaire dominera tout le reste et donnera sa marque à votre premier mandat. Elle pourrait déstabiliser les gouvernements amis d’Arabie saoudite, d’Égypte et de Jordanie. En tout cas, elle accaparera notre temps et nos énergies et nous distraira de tout le reste, y compris de la guerre contre le terrorisme.
Le prix du pétrole en sera affecté.
Un général américain à Bagdad gouvernant un pays arabe, est-ce une image réaliste et que nous voulons voir ?
Et qui peut prévoir combien cela peut durer ? Qui donnera le critère de la réussite ?
En un mot comme en mille, si vous renversez Saddam, Monsieur le Président, et occupez son pays, vous devenez le gouvernement… jusqu’à ce que vous puissiez mettre à votre place un gouvernement… »

Ainsi, huit mois avant le début de la guerre, Colin Powell a imaginé ses suites avec une étonnante prescience, tandis que Bush, Cheney et Rumsfeld se voyaient reçus en libérateurs.
Il est regrettable pour les États-Unis, pour l’Irak et pour le monde que, en ce 5 août 2002, Colin Powell ait été le secrétaire d’État et Bush le président.
Et non l’inverse.

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* Plan of Attack, Simon & Schuster. 28 dollars environ.

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