Passez aux ACT !

La quatrième Journée africaine de lutte contre cette maladie, le 25 avril, est l’occasion de rappeler l’existence d’un remède efficace, couplant deux molécules différentes, appelé Artemisinin-based Combination Therapy.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

L’instauration d’une Journée africaine contre le paludisme sera sans doute le seul objectif rempli de la déclaration d’Abuja. Ce programme, élaboré le 25 avril 2000 par l’ensemble des pays africains, visait à atteindre avant 2005 une série d’objectifs qui auraient permis une réduction significative de la mortalité par paludisme. Mais à un an de l’échéance, on est bien loin du résultat. Pourtant, l’initiative était séduisante et – cela mérite d’être rappelé tant c’est rare – réaliste. Pour une fois, les autorités africaines devaient développer une politique sanitaire sans le soutien du Nord.
Le paludisme n’est pas « une maladie de plus » pour le continent. Elle a très longtemps disputé le titre de « premier tueur d’Afrique » au sida. Quatre-vingt-dix pour cent des 2 millions de décès annuels s’y produisent en effet, et concernent dans 50 % des cas les moins de 5 ans. C’est, dans de nombreux pays, le tueur d’enfants numéro un. En Tanzanie, par exemple, un des États les plus touchés, le ministre de la Santé explique que « le sida n’est pas encore une priorité tant la malaria fait de morts ». Cette menace plane sur 2,3 milliards de personnes vivant en zone à risque, soit 40 % de la population mondiale. On estime à 500 millions le nombre annuel d’impaludés.
Les conséquences économiques de cette maladie sont également très lourdes : à raison de 12 milliards de dollars par an à l’échelle du continent, le paludisme coûte un point de croissance annuel aux pays africains. Résultat : le Produit intérieur brut des États les plus touchés est aujourd’hui inférieur de 32 % à ce qu’il aurait été sans la maladie. Bien évidemment, le Plasmodium falciparum parasite plus facilement des populations déjà pauvres, qui n’ont pas les moyens de se prémunir. Elles dépensent alors jusqu’à 25 % de leurs revenus annuels en soins.
Des soins malheureusement inefficaces. Et c’est là toute l’ineptie de la lutte contre la malaria. Tous les ans, le 25 avril, la Journée africaine contre le paludisme est l’occasion de souligner combien il est injuste que l’on meure encore de cette maladie, alors qu’au milieu des années 1970 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) caressait le rêve de l’éradiquer. D’ailleurs, la malaria a bien disparu des rivages méditerranéens, où elle sévissait au début du siècle. Mais à l’époque, la communauté internationale disposait de deux armes aujourd’hui obsolètes : le DDT, un insecticide banni pour cause de neurotoxicité humaine ; et la chloroquine, le premier antipaludéen découvert mais contre lequel les parasites ont développé des résistances au cours des années 1980. Aujourd’hui, ces méthodes de lutte sont inutilisables. Il existe toutefois une alternative, et de taille. En Asie, une molécule dérivée d’une plante poussant en Chine a prouvé son efficacité. Des études menées sur 2 millions de cas traités ont montré que l’artémisinine était efficace, facile à administrer (en injection ou par voie orale, à raison d’une dose quotidienne), ne provoquait pas d’effets secondaires et n’était pas encore confrontée à d’éventuelles résistances. En outre, elle élimine plus rapidement les parasites présents dans le sang. En l’administrant couplée à un autre antipaludéen comme le sulfadoxine-pyriméthamine (SP), l’amodiaquine ou la méfloquine, on retarde encore plus la survenue de résistances, et on accentue son effet. Ces bithérapies – en anglais l’Artemisinin-based Combination Therapy, ou ACT – sont d’ailleurs officiellement recommandées par l’OMS.
Alors, pourquoi ces ACT ne sont-elles pas utilisées en médicament de première intention en Afrique ? Simplement parce qu’elles sont onéreuses : le traitement d’un accès palustre coûte entre 1,2 et 2,4 dollars. Les monothérapies « traditionnelles », comme par exemple la chloroquine, ne reviennent, eux, qu’à 0,5 dollar au maximum. Les ACT sont donc trois à cinq fois plus chères. Mais ce surcoût s’explique aisément : fabriqués pour le moment en très faible quantité et depuis peu de temps, les dérivés d’artémisinine restent des produits de luxe. Pour réduire les coûts et atteindre un prix acceptable pour les gouvernements africains, il suffirait en fait que… tous décident de l’utiliser !
Reste donc à provoquer la volonté politique, afin que les ACT s’inscrivent officiellement dans les protocoles nationaux de soins. C’est là qu’entrent en jeu les équipes de Médecins sans frontières (MSF), particulièrement investies sur le terrain de la lutte contre le paludisme. Et pour cause : en Afrique, leurs personnels soignent chaque jour 3 000 personnes présentant un accès palustre. Et depuis 2001 MSF est « passée aux ACT ». Mais avec parfois beaucoup de difficultés. Car si les membres de l’ONG ont décidé d’administrer ces dérivés d’artémisinine à tous les patients qu’ils soignent, ils sont parfois obligés de le faire dans l’illégalité puisque certains pays n’ont pas inclus ces médicaments dans leur protocole thérapeutique. Et plutôt que de se battre uniquement pour obtenir le droit de l’utiliser, les médecins de MSF ont choisi de faire campagne pour que le recours aux ACT se généralise également au sein des systèmes publics de santé. Ainsi, ils apportent actuellement leur soutien aux pays changeant de protocole, comme le Burundi et le Liberia. Parallèlement, ils encouragent les autorités hésitantes à opter pour ce type de traitements. Un « lobbying » pour lequel MSF a obtenu le soutien indirect du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, dont l’équipe dirigeante a récemment déclaré « ne plus accepter de financer des programmes de fourniture de médicaments inutiles », ce qui inclut les anciens antipaludéens.
L’objectif n’est pas irréel. D’abord, parce qu’un certain nombre de pays africains, comme le Cameroun, le Ghana ou les Comores, se sont mis aux ACT. Ensuite, parce que d’autres, comme l’Éthiopie ou le Sénégal, ne devraient pas tarder à le faire. Et enfin parce qu’une fois que tous ces États auront besoin de dérivés d’artémisinine, les coûts de production baisseront. Comme le soulignait, en février 2002, un haut fonctionnaire de la santé du Kwazulu-Natal, province sud-africaine ayant adopté les ACT, « si le traitement du paludisme est plus onéreux, le coût supplémentaire doit être mis en balance avec l’accroissement des coûts sociaux. Si nous n’avions pas changé notre politique, un cercle vicieux se serait installé : le paludisme se serait aggravé, il aurait fait davantage de victimes, les médias en auraient parlé, le tourisme en aurait souffert et il y aurait eu moins d’argent disponible, notamment pour les services de santé. »
La meilleure façon de marquer cette quatrième Journée africaine contre le paludisme serait certainement d’adopter des traitements efficaces, afin que, en avril 2005, on puisse au moins dire que les décisions pour atteindre les objectifs fixés à Abuja ont été prises. Car poursuivre sur la voie actuelle, c’est courir à l’échec. L’OMS estime qu’un traitement est obsolète lorsqu’il y a plus de 5 % de résistance. Avec les antipaludéens, on approche, pour certains d’entre eux et dans certaines régions, 80 % d’échec. Résultat, l’inertie politique a entraîné un phénomène auquel on ne pensait sûrement jamais assister : cette maladie en voie d’éradication il y a vingt-cinq ans et que l’on sait soigner est en pleine recrudescence. Au lieu des traitements, ce sont les épidémies qui se multiplient !

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