Paroles de filles

Deux premiers romans, par deux jeunes femmes, l’une et l’autre journalistes, qui n’ont pas hésité à aborder des thèmes politiques sensibles.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Fabienne Kanor est guadeloupéenne. Elle vit depuis deux ans à Saint-Louis, au Sénégal. Aminata Zaaria, elle, est sénégalaise. En 2002, elle a choisi aussi l’exil, et s’est installée à Paris. Elles ont toutes les deux à peu près le même âge. La trentaine. L’une et l’autre sont journalistes. La première pour Sud Quotidien, notamment, la seconde pour France 3 et Nova Magazine. Elles viennent de signer chacune leur premier roman. D’eaux douces, pour Fabienne Kanor, et La nuit est tombée sur Dakar, pour Aminata Zaaria.
Frida, dans D’eaux douces, est étudiante à Paris. Ses parents sont des îliens, descendants d’esclaves, établis en métropole, qui ne cessent de différer leur retour en Guadeloupe. À cause de sa peau foncée, Frida fait l’expérience du racisme dans sa cité. Elle écoute les confidences de sa grand-mère, qui lui raconte son île, les cases brûlées, les villages pillés, les femmes violées. Les nuits de l’esclavage. À la Cité universitaire, un groupe d’Africains et d’Antillais essaie de faire pression sur « les soeurs ». Interdiction est faite à toute fille noire de flirter avec un Blanc. Frida outrepasse les règles. Une association, le « Mouvement de libération de la Négresse », voit le jour.
Le second roman conte les déboires de deux adolescentes sénégalaises à peine âgées de 17 ans. L’une, Dior Touré, est fille de tripier. Un jour, son père la surprend une cigarette à la main. Elle écope une mémorable correction. La voici qui prend le chemin de Dakar, où se trouve son amant, Paul Grenelle, 50 ans, directeur général des Éditions du Sahel. Dior fuit ainsi sa misère faite de bouillie et de pain trempé dans de l’eau sucrée.
Au même moment, l’amie de Dior passe ses nuits avec un footballeur trafiquant de drogue. Sa mère est pleureuse. Elle annonce les décès au village. Mais l’amie de Dior ne peut s’accommoder de cette existence. Elle décide de rejoindre cette dernière dans la capitale.
La nuit tombe sur Dakar quand Bernandin, l’ami de Grenelle, l’amant de Dior Touré, fait irruption pendant que le couple dîne. Il a plus de 70 ans, un dentier qui bouge sans cesse, il est chauve et glabre. À la fin de la soirée, il emmène la nouvelle recrue dormir dans son lit à Gorée, l’ancienne île aux esclaves. Bernandin est écrivain et touche d’énormes royalties.
La nuit continue de tomber sur Dakar quand Grenelle décide de retourner en France. Sans Dior. Au cours d’une dispute, Dior menace d’émasculer son compagnon dans son sommeil. Ce dernier prévient la police qui conduit « la folle » au poste. Libérée, la fille fait appel à son amie qui vient la chercher.
Les deux amies, meurtries, n’ont pas perdu l’espoir de rencontrer des « toubabs » qui les amèneraient en France et leur feraient des « enfants café-au-lait ». Le rêve s’estompe lorsque Dior Touré absorbe un liquide désinfectant. Transportée à l’hôpital, elle meurt peu après. Au village, elle est furtivement enfouie, sans prières, loin du cimetière de la communauté.
Ces romans, bien écrits, abordent aussi des thèmes politiques. D’eaux douces fustige la France qui a honte de son passé d’esclavagiste en même temps qu’elle méprise sa composante antillaise et immigrée africaine. Aminata Zaaria rappelle les promesses non tenues de « l’Alternance 2000 » au Sénégal. Le chômage, les restrictions budgétaires…
Comment échapper à de telles turpitudes sans perdre sa dignité ni humilier son pays ? Dior Touré répond : « Les toubabs qui vivent au Sénégal sont loin d’être les meilleurs de leur race. […] Pas tous des racistes et des pervers mais il y en a beaucoup, et je crois que c’est l’Afrique qui leur fait cet effet. […] S’ils se comportent avec autant de lâcheté avec nous, c’est parce qu’ils n’ont pas une haute opinion de ce que nous sommes. Le respect, c’est à nous de l’imposer ».

D’eaux douces, de Fabienne Kanor, Continents noirs, Gallimard, 206 pages, 16 euros.
La nuit est tombée sur Dakar, de Aminata Zaaria, Grasset, 236 pages, 14,90 euros.

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