Littérature : « Le chant noir des baleines », la mémoire de L’Afrique ressuscitée

« Le chant noir des baleines » est le deuxième roman jeunesse de Nicolas Michel (journaliste à Jeune Afrique). L’amitié entre le jeune Léon et Tierno, tirailleur sénégalais, est la petite histoire qui rencontre la grande Histoire, le naufrage du paquebot « L’Afrique » en 1920. Une pépite où se conjuguent aussi intelligence et émotion.

Une gravure du paquebot Afrique réalisée vers 1920. © DR

Une gravure du paquebot Afrique réalisée vers 1920. © DR

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Publié le 13 janvier 2019 Lecture : 4 minutes.

Nicolas Michel navigue depuis près de 20 ans sur une mer littéraire que l’on peut diviser par étapes. Multi-primé avec Un revenant, dont le prix Goncourt du premier roman, il nous embarque ensuite dans Le Dernier voyage d’Émilie puis La Bleue avant une escale par le roman policier avec Naevi et Corsika. Il prend un nouveau cap avec son premier roman jeunesse « Quand le monstre naîtra » en 2017, suivi de l’Abécémer et maintenant, Le chant noir des baleines. classé parmi les 10 meilleurs livres de 2018 selon « Le Monde des ados ».

Avec sa casquette de rédacteur en chef des pages Cultures de Jeune Afrique, Nicolas Michel s’était penché sur le naufrage du paquebot « L’Afrique » en 1920, surnommé le « Titanic français », où sont mortes 568 personnes. Cet épisode oublié de l’histoire de France et de ses colonies est le point de départ de son roman, comme il nous le confirme : « Il y a eu une démarche de Karfa Sira Diallo de l’association Mémoires et Partages pour que les tirailleurs morts lors de ce naufrage soient reconnus comme morts pour la France. Je m’y suis intéressé d’un point de vue journalistique et, au-delà, j’ai trouvé qu’il y avait des choses à dire sur le plan de la mémoire. »

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La mémoire, c’est celle qu’a perdue Tierno, tirailleur sénégalais échoué sur une plage de Saint-Clément-les-Baleines, sur l’île de Ré. Découvert à demi-mort par Léon, jeune garçon vivant en marge de la société, cette rencontre va éveiller une autre mémoire, celle occultée par sa mère sur les circonstances de la mort de son père pendant la Première guerre mondiale. Entre amnésie d’un côté et non-dits de l’autre, ce sont deux silences qui se renvoient chacun leur écho : « Ce sont des solitudes qui s’opposent, pas des différences fondamentales entre les gens. Ce sont des gens seuls qui pourraient mal tourner, sombrer dans une dépression s’ils ne rencontraient pas le regard d’autrui qui leur permet à un moment de se construire. »

L’intérêt du roman, c’est de créer des singularités dans l’Histoire »

La mémoire était déjà présente dans Quand le monstre naîtra qui nous plongeait dans la Deuxième guerre mondiale : « Dans le texte précédent, je me posais aussi la question de savoir comment on transforme tous l’histoire à notre manière. On ne la raconte pas forcément comme on le devrait ou on ne sait pas la raconter ou on ne la raconte que de notre point de vue, on la transforme, on la remâche pour nos enfants. Quand on l’enseigne, même si on a de très bons profs, on a une histoire théorique, ce sont les grands événements. L’intérêt du roman, c’est de créer des singularités dans l’Histoire. »

Loin d’être un roman à thème, Le chant noir des baleines est une histoire humaine, touchante et pleine de rebondissements. On est happé dès les premières pages par les personnages, l’exploration de leur vie et de leur intimité :

« Ce qui m’intéresse le plus, c’est cette mère qui, parce qu’elle a perdu son mari à la guerre, est dans la détestation de la société, qui va s’en couper et décider d’en couper son fils. Son fils est jeune et il a cette curiosité qu’on perd quand on vieillit. Il va chercher à savoir ce qui s’est passé, ce qui est arrivé à son père. Tierno va lui raconter ce qu’est la guerre. Il y a une démarche consistant à faire connaître un événement historique peu connu mais c’est assez secondaire. Les sujets qui m’obsèdent sont plus l’enfance, la différence plutôt que la mémoire en soi. J’essaie de me mettre dans la peau de ce qui est plus éloigné de moi. Mon principe est que les grands fondamentaux de l’humanité sont les mêmes partout. Il y a des différences culturelles mais l’amour, l’amitié, c’est à peu près pareil, même si ça peut ne pas apparaître de la même manière, que l’on soit indien ou tchèque. »

Il y a une scène qui fait clairement écho à ce qui se passe en Méditerranée aujourd’hui »

« La fiction ne suffit pas à caractériser le roman, mais un certain rapport entre cette fiction et la réalité », selon le poète Louis Aragon. La réalité du monde, c’est aussi ce qu’aborde Nicolas Michel :  « Il y a une scène qui fait clairement écho à ce qui se passe en Méditerranée aujourd’hui. Il y avait une dimension politique, et c’était voulu. Je ne veux pas non plus qu’on ait l’impression qu’on lit un pamphlet et je veux qu’on croie aux personnages. Mais je m’autorise à assumer cette dimension politique. »

Roman plein de rebondissements, roman intime, roman historique, roman jeunesse,  roman adulte, roman politique, on pourrait caractériser de mille manières Le chant noir des baleines. On peut aussi dire tout simplement que c’est un grand roman.

Le chant noir des baleines de Nicolas Michel (éditions Talents Hauts, 278 pages, 16€)

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