Oriana Fallaci : le naufrage

Quand une journaliste de talent s’égare en une sinistre logorrhée.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 2 minutes.

Annoncé à son de trompe, le « retour d’Oriana Fallaci » s’est accompagné d’un luxe sans précédent de mise en scène. Deux ans après son pamphlet contre l’islam, La Rage et l’orgueil (La Rabbia et l’Orgoglio), la plus célèbre journaliste d’Italie – qui vit à Manhattan – allait publier un nouveau factum, en forme de provocation, La Force de la raison (La Forza della Ragione) pour dénoncer la capitulation intellectuelle et morale d’une Europe en passe de se muer en Eurabie (Eurabia) sous la pression d’une massive immigration de « fils d’Allah ». Son éditeur, Rizzoli, faisait savoir qu’un premier tirage de 50 000 exemplaires serait gardé en chambre forte jusqu’au dernier jour, qu’aucun volume ne serait préalablement disponible pour la presse et qu’un rigoureux copyright couvrirait le moindre paragraphe. Le 5 avril, alors, la terre tremblerait…
L’événement a eu lieu. Et c’est peu de dire qu’il n’a pas répondu à la promesse. On se préparait à l’orage. On assiste au naufrage : celui d’un talent qui s’égare en une logorrhée où rien ne nous est épargné dans la liste des attentats terroristes depuis 1983. Sinistre panorama précédé d’une plus sombre philosophie où l’on apprend que tout, ici-bas, est guerre : des compétitions sportives aux joutes électorales. Sans oublier le gros poisson qui mange le petit, l’oiseau qui se repaît d’un ver de terre, l’insecte qui dévore un autre insecte, etc. Ce qui n’est pas, dit-elle, une malédiction inscrite dans notre nature, mais une monstruosité qui n’en fait pas moins partie de notre vie. Moyennant quoi, Oriana se proclame athée, par « refus d’accepter l’idée d’un Dieu qui a inventé un monde où la vie tue la vie, où il faut manger l’autre pour rester vivant ».
Mais voici que sur sa route, à la manière de Constantin empereur, elle découvre le signe de la Croix. Avec l’ardeur de son message : In hoc signo vinces. Elle sera donc « athée chrétienne ». Et d’entonner un chant de gloire à tous ceux qui, paraît-il, triomphèrent grâce à lui : depuis Charles Martel arrêtant les Arabes à Poitiers jusqu’à Jan Sobieski repoussant les Turcs devant Vienne, en passant, bizarrement, par le débarquement des Normands en Sicile, puis la « reconquête » de l’Andalousie par les Rois catholiques, Ferdinand et Isabelle, dont il n’y a guère lieu de se féliciter.
« La Fallaci » aime pourtant à se comparer à Cecco d’Ascoli, ce philosophe et astrologue qui, sous ce signe, fut brûlé vif pour hérésie à Florence en 1327. Et elle n’ignore pas que la même Croix, sur le bûcher romain du Campo dei Fiori, fut tendue à travers les flammes au grand Giordano Bruno, dont on avait d’abord arraché la langue, pour « les affreuses paroles qu’elle avait prononcées ». Une croix qui préside tout aussi bien – si l’on ose dire – aux mortels supplices de l’Inquisition espagnole, comme aux meurtrières conversions des Incas par les conquistadores. Mystère de l’athéisme quand il se veut chrétien. À moins qu’il ne s’agisse de mobiliser même le pire pour défendre, contre l’envahisseur, une « culture » qui resterait nôtre jusque dans ses errements. Triste entreprise où achève de sombrer Oriana Fallaci. Dommage.

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