Ne dites pas à ma mère que je suis journaliste…
Cet exilé guinéen n’a jamais réussi à intégrer une rédaction. Mais il est devenu écrivain. Et c’est avec la plume mordante et détachée du romancier qu’il raconte sa mésaventure, tout en proposant quelques-uns de ses rebuts les plus savoureux.
Les marques de fromage se déclinent par centaines, les sortes de journalistes aussi. Ce peut être Henry Morton Stanley souffrant le martyre dans la jungle africaine, à la recherche du sieur Livingstone, ou Joseph Kessel éprouvant sur les champs de bataille l’exquise finesse du genre humain. Ce peut être un moins que rien, un zig comme vous et moi, trouvant son sujet dans le menu quotidien et sa raison d’être dans son extraordinaire capacité à croire en sa modeste personne malgré les déboires et la guigne. Cheick Oumar Kanté est journaliste, du moins le croyait-il. N’est-il pas dit que ce métier (de même que celui d’écrivain, de politicien, de charlatan et de péripatéticienne) reste ouvert à tous, aux génies comme aux sous-doués ? Rien pourtant ne le prédestinait à marcher sur les pas de Tintin et d’Albert Londres : ni son cursus universitaire ni ses rêves d’enfance.
L’envie lui est venue sur le tard après un parcours particulièrement sinueux pour les gens normaux, mais tellement classique pour l’exilé guinéen qu’il est. Il voulait devenir traducteur. La « pédagogie révolutionnaire » de Sékou Touré voulait le forcer à devenir un professeur… d’idéologie. Il se rebelle, échappe de peu aux miliciens et gagne Abidjan où il suit des études de lettres, puis Bordeaux où il obtient un DUT de journalisme, parce que c’est plus aisé qu’un diplôme de chirurgie osseuse et parce qu’à force d’animer leurs modestes périodiques les étudiants guinéens d’Abidjan l’avaient gentiment surnommé Hassan Heykal, du nom du célèbre journaliste égyptien. Sûr, les salles de rédaction lui seront largement ouvertes ainsi ! Il ne savait pas, le pauvre, qu’il entrait dans une nouvelle galère.
En Côte d’Ivoire, où il est revenu, il collabore certes à Ivoir’ Éducation mais doit donner des cours pour survivre. En 1984, il se précipite vers le pays natal à la suite de la brève euphorie qui a suivi la mort du tyran. II tente d’abord de donner un nouveau souffle à Horoya, la Pravda locale, mais, devant la barrière des vieilles habitudes, se résout à créer son propre journal, La Nouvelle École, un magazine pédagogique qui disparaîtra au septième numéro malgré son succès, l’imprimerie Patrice-Lumumba, la seule du pays, ayant cessé de fonctionner, faute de pièces de rechange !
Qu’à cela ne tienne ! Il regagne la France pour retrouver sa femme française et les mines patibulaires des patrons de presse. Hormis un bref passage à Jeune Afrique et un précaire statut de correspondant en Centrafrique (sa femme y a trouvé un poste) de Francophonie Magazine, sa carrière de journaliste se résumera à quelques « points de vue » et deux ou trois papiers glissés dans le courrier des lecteurs. Il ne sera ni un nouveau Jean-François Kahn ni un nouveau Tom Wolfe, les deux confrères qu’il admire le plus (il n’aura même jamais eu une carte de presse). Un parcours des plus commun qui ne mériterait certainement pas que l’on fouettât un chat. Seulement voilà : comme tous les êtres qui ont eu une revanche à prendre, Kanté est devenu entre-temps écrivain. Et c’est avec la plume mordante et détachée du romancier qu’il nous raconte sa mésaventure, nous proposant au passage quelques-uns de ses rebuts les plus savoureux (ses échecs ne l’ont toujours pas découragé de proposer des articles) ainsi que quelques délicieuses impertinences à l’endroit des icônes de la profession. Cela va de lectures critiques sur Wole Soyinka à des digressions sur les moeurs bureaucratiques guinéennes ; ou sur la mauvaise foi des « négrologues », ces « euthanasistes » qui aiment tellement l’Afrique qu’ils sont pressés de la voir crever moins pour alléger ses souffrances que pour s’offrir un nouveau best-seller.
Cheick Oumar Kanté nous raconte le journaliste qu’il n’a pas été dans la langue ironique et vigoureuse de l’écrivain qu’il est devenu.
Pourquoi diable ai-je voulu devenir journaliste ? de Cheick Oumar Kanté, éditions Menaibuc, 140 pages, 15 euros.
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