Éloge de la rondeur
Les femmes africaines revendiquent de plus en plus leurs formes et participent à des concours de Miss où la minceur est bannie.
Souvenez-vous… C’était en 2001, le chanteur ivoirien Meiway sortait son album Éternel et chantait « Miss Lolo ». Tube sous-régional retentissant et succès bonnet D pour des paroles calibrées, un rythme bien proportionné et un thème fédérateur : l’éloge de la rondeur. La Miss Lolo de Meiway, en chair plus qu’en os, c’est Nastou Traoré, 105 E de tour de poitrine, comédienne de la troupe de théâtre Les Guignols d’Abidjan. Grâce à elle, des centaines d’Africaines ont assumé leurs seins XXL. « J’ai été très flattée d’être choisie pour le clip. Le titre a eu beaucoup de succès, et je suis devenue une sorte d’icône pour les femmes aux grosses poitrines ! » explique Nastou, qui précise avoir été complexée dans sa jeunesse, dissimulant ses formes sous d’amples chemises. Aujourd’hui, les décolletés ne lui font plus peur, et sa plastique a fait des émules. Le Bénin, le Togo et le Cameroun organisent chaque année un concours Miss Lolo. « J’aide à sélectionner les jeunes filles, et lorsque je me déplace dans ces pays des femmes viennent me voir à l’hôtel pour me remercier d’avoir montré ma poitrine. J’ai même un fan-club officiel ! » se réjouit l’artiste.
De fait, les femmes sont de plus en plus nombreuses, en Afrique, à revendiquer leurs rondeurs. Pour s’en convaincre, il suffit de compter le nombre de concours célébrant « les canons de la beauté africaine authentique » qui fleurissent sur le continent. Précurseur : le concours Awoulaba (« reine de la beauté » en langue akan), lancé en 1987 en Côte d’Ivoire et qui a « comblé un vide », assure Pol Dokoui, son président. « Avec l’apparition des concours de Miss, l’Occident avait fini par imposer ses critères de beauté, notamment la minceur. Nos soeurs ivoiriennes étaient devenues complexées, prenaient des médicaments pour maigrir. Le concours Awoulaba n’est pas une compétition de femmes obèses ou avec de gros derrières. Il désigne la belle femme ivoirienne, qu’elle soit grande, petite, mince ou grosse. » Pour Pol Dokoui, « la beauté résulte de l’harmonie du corps. Elle ne se mesure pas, ne se pèse pas. Elle se trouve dans l’oeil de celui qui regarde. Nous jugeons la démarche, la grâce, le sourire et le charme. D’autres détails entrent en ligne de compte comme le cou strié, qui est un signe de beauté en Côte d’Ivoire. La femme doit être naturelle. Grâce à ce concours, nos soeurs se sont décomplexées. Awoulaba est plus attendu et plus soutenu par la population que le concours de Miss, car les Ivoiriens s’y reconnaissent. »
D’autres manifestations, sur l’exemple de Miss Diongoma, lancée au Sénégal en 1992, défendent résolument les femmes enveloppées. Dernièrement, le concours Poog-Beêdré (« femme à forte corpulence » en mooré) a été créé au Burkina Faso par le ministère de la Promotion de la femme. En décembre dernier, c’est Carine Riragendanwa, 27 ans, 1,81 m, 117 kg et zéro complexe, qui a remporté le trophée. Au Bénin, la première édition de Reine Hanan a eu lieu le 13 décembre 2003 à Abomey. « Les femmes béninoises sont timides. Elles sont majoritairement rondes à cause de notre alimentation de base et ont parfois honte de leur corps. Nous voulions qu’elles se montrent avec fierté, indique Jocelyne Alladayé, 35 ans, journaliste et présidente du Comité Reine Hanan. Nos critères de sélection : avoir des fesses et des hanches, mesurer au moins 1,65 m, parler correctement sa langue maternelle et savoir danser. C’est la première fois qu’un concours de beauté était organisé au Bénin sans tenir compte des critères internationaux. C’était superbe ! À l’issue du show, certaines m’ont avoué être plus épanouies… Nos grands-pères aimaient les femmes avec des formes. Les jeunes d’aujourd’hui s’en cachent mais, en fait, ils rêvent d’une femme gironde ! »
Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, le culte de la rondeur trouve ses racines dans la tradition. Chez les Maures par exemple, beauté rime avec abondance, et la gloire d’un homme se mesure à la grosseur de sa femme. Un proverbe considère même que la femme occupe dans le coeur une place égale à son volume… Mais si la vergeture a été chantée par les poètes, l’envers du décor est moins romantique : la Mauritanie a longtemps été le pays du « gavage » (voir encadré) des petites filles prépubères en vue d’un mariage précoce. De même au sud-est du Niger, l’ethnie Djerma célèbre chaque année, après les récoltes, le « Mani fori », « la fête des plus grosses ». Une cérémonie organisée par les femmes pour honorer la plus potelée d’entre elles. Après une première rencontre pour déterminer quelles sont les femmes suffisamment grosses, les villageoises ont trois mois pour se mettre à niveau… Les plus minces passent ce laps de temps à se gaver de gari (semoule de manioc) et de bouillie de mil pour arriver suffisamment rondes au bal final…
Cette tradition est encore vivace et se pratique même dans certains quartiers de Niamey. « Parmi les critères de beauté et les atouts qui valorisent la femme aux yeux de son entourage dans les régions zarma-sonraï figure l’embonpoint. Pour la majorité des gens, c’est même le premier critère de féminité », rapporte Sahel Dimanche dans son édition du 9 avril 2004. Et de citer A.S., ménagère, complexée par sa minceur : « À chaque rencontre de femmes, mes amies se moquaient de ma prétendue maigreur. Elles riaient de moi en public. J’étais mal à l’aise. Alors, à mon second accouchement, j’ai franchi le pas et pratiqué le gavage. » Rokahaya, élève de 18 ans à Niamey, explique que les femmes se gavent car elles ont peur d’être délaissées par les hommes. « En Afrique en général, et au Niger en particulier, il n’est pas bon pour une femme d’être maigre à l’heure où sévit le sida. Alors, tous les moyens sont bons pour prendre du poids, même les vitamines destinées aux animaux sont mises à contribution ! »
Même son de cloche à Kinshasa, en République démocratique du Congo, où un journaliste assure que certaines femmes dopent leurs bourrelets à coup de Durabolin. « C’est un produit vétérinaire utilisé pour engraisser les porcs avant l’abattage. Les femmes se le procurent de façon illégale. Les Congolais aiment les formes généreuses, encore plus depuis que des danses comme le ndombolo, qui mettent en avant les mouvements de hanches, ont du succès. » Alors, les hommes préféreraient-ils les rondes ? « J’ai toujours aimé les femmes bien en chair, la mienne fait 85 kg, explique à Niamey Aboubacar, 49 ans. Mais je suis farouchement contre le gavage. Ici, certaines femmes avalent des produits pour animaux qui mettent leur vie en danger. Dans notre société, un homme qui a une épouse bien ronde mérite des égards car cela veut dire qu’il s’occupe bien de son foyer. Celui-ci a le devoir de bien nourrir son épouse. C’est d’ailleurs pour cela que, dès le lendemain des noces, les parents de la mariée offrent des vivres à leur gendre, généralement pour une année. »
Aujourd’hui, les rondeurs, toutes proportions gardées, ont la cote en Afrique car elles sont synonymes de « beauté naturelle ». De fait, les excès liés au culte de la grosseur tendent à disparaître. En Mauritanie, la femme gavée n’est plus à la mode, surtout auprès des jeunes. Une étude, menée par le ministère de la Santé dans les collèges et lycées de Nouakchott, révèle que 90 % des jeunes filles refusent cette technique cruelle du gavage et qu’elles souhaitent se maintenir à un poids raisonnable. Les médias commencent à mener des campagnes contre l’obésité, qui touche de plus en plus le continent, et en montrent les dangers pour la santé. « L’important, c’est d’être bien dans sa peau », conclut Aminata, étudiante rondelette de Dakar. « Il ne faut pas que les Africaines fassent comme les Européennes qui sont obsédées par leur poids mais, d’un autre côté, être trop grosse apporte des ennuis de santé comme le cholestérol, l’hypertension ou les problèmes cardiaques. Ma mère, par exemple, qui pèse 120 kg pour 1,65 m, a du mal à faire ses courses… Pas question que je devienne comme elle ! »
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