L’eldorado libyen

La levée de l’embargo onusien et la libéralisation économique engagée par Kadhafi peuvent constituer une aubaine pour les entrepreneurs tunisiens. À condition qu’ils ne s’endorment pas sur leurs lauriers.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

« Malgré le ralentissement mondial, l’économie tunisienne maintient sa croissance, grâce notamment aux donneurs d’ordres libyens », estime cet imprimeur installé dans la zone industrielle de Ben Arous, près de Tunis. À vrai dire, aucun client libyen ne lui a passé de commandes directes : « J’imprime des étiquettes et des cartons d’emballage pour des entreprises tunisiennes exportant vers la Libye », explique-t-il. Cet industriel exprime un sentiment partagé par nombre de ses collègues : la fin de l’embargo onusien a provoqué une forte reprise de l’économie libyenne, dont la Tunisie tire apparemment profit.
« On a longtemps prétendu que l’embargo a bénéficié à la Tunisie, en contraignant les opérateurs étrangers à faire transiter par son territoire les marchandises destinées au marché libyen. Cela n’est vrai qu’à moitié, car l’embargo a aussi provoqué une forte diminution des flux commerciaux entre les deux pays », commente un responsable, à Tunis. En tout cas, la fin des sanctions a provoqué une spectaculaire progression des échanges bilatéraux : 176,4 millions de dinars (116,4 millions d’euros) au cours des trois premiers mois de cette année, soit davantage que pendant toute l’année 1990. « Entre 1995 et 2003, la valeur des échanges a été multipliée par trois, passant de 375 millions de dinars (247,5 millions d’euros) à 914 millions de dinars, chiffre sans précédent », se réjouit notre interlocuteur.
Cinquième partenaire étranger de la Tunisie, la Libye est aujourd’hui son premier client et fournisseur dans le monde arabe. Elle absorbe, par ailleurs, plus de la moitié des exportations tunisiennes à destination de l’Afrique et fournit à son voisin plus de la moitié de ses importations en provenance du continent. Avec plus de 1,2 million d’entrées en 2003, les Libyens constituent désormais le contingent de touristes le plus nombreux, reléguant ces habitués de la Tunisie que sont les Français et les Allemands aux deuxième et troisième rangs. Mais ces visiteurs d’un nouveau genre ne fréquentent pas nécessairement les hôtels de Djerba, de Sousse ou d’Hammamet : la plupart préfèrent louer des maisons à la semaine, au mois ou à l’année. Joignant l’utile à l’agréable, certains mettent à profit leurs séjours pour recevoir des soins médicaux dans l’une des soixante-dix cliniques privées que compte le pays. Ne regardant pas trop à la dépense, ils sont évidemment très appréciés. « Ils font tourner la machine », dit-on d’eux.
Les relations tuniso-libyennes ont longtemps connu des hauts et des bas, en raison notamment de la dénonciation par la Tunisie du traité d’union de 1974. Depuis l’arrivée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali, en 1987, les deux voisins sont parvenus à dépasser leurs vieilles querelles et à mettre en place un partenariat mutuellement avantageux. L’entente cordiale entre Ben Ali et Mouammar Kadhafi n’y est pas étrangère. La proximité géographique, non plus, ne serait-ce que parce qu’elle permet de limiter les coûts de transport. La Tunisie, qui importe de Libye des produits pétroliers, chimiques et métallurgiques, exporte vers ce pays des produits manufacturiers (mécaniques, électroniques et électroménagers), agricoles et agroalimentaires, notamment laitiers (yaourts, glaces, etc.). Le contrôle douanier commun mis en place au poste frontalier de Ras-Jdir simplifie considérablement les opérations.
Avec le temps, les consommateurs se sont habitués aux produits tunisiens. Malgré l’ouverture du marché libyen, conséquence de la libéralisation engagée par le gouvernement, le made in Tunisia est parvenu à y préserver ses positions. La mise en place d’une zone de libre-échange devrait permettre de maintenir, voire de développer, les flux commerciaux, dans les deux sens. « Nos hommes d’affaires ne devraient pas s’endormir sur leurs lauriers. Le marché libyen dispose d’un énorme potentiel encore inexploité, mais, pour nous y imposer, il nous faut proposer de nouveaux produits. De même, les régions du Sud et de l’Est, qui offrent de grandes opportunités, restent à conquérir », commente Slaheddine Chaâbane, un industriel de Gabès qui préside la Chambre de commerce tuniso-libyenne (CCTL).
Cinquante-six entreprises tunisiennes (sur un total de 2 500, originaires d’une quarantaine de pays) ont pris part, du 2 au 12 avril, à la trente-troisième édition de la Foire internationale de Tripoli. À cette occasion, une importante délégation conduite par Mondher Zénaïdi, le ministre du Commerce, s’est rendue dans la capitale libyenne. Le 8 avril, au cours d’une rencontre consacrée au « partenariat économique », les opérateurs des deux pays ont identifié de nouveaux créneaux de coopération.
Des privés tunisiens s’apprêtent ainsi à lancer divers projets industriels en Libye, à proximité immédiate des lieux de production de certaines matières premières. Un excellent moyen de réduire les coûts de production, dans un environnement plus concurrentiel. Les Libyens, qui ont mis en place un cadre législatif attractif pour les investissements directs étrangers (IDE), ont montré beaucoup d’intérêt pour le savoir-faire des petites et moyennes entreprises tunisiennes. Et pour leur bonne connaissance des marchés européens. La création de relations triangulaires entre la Tunisie, la Libye et l’Europe – mais aussi entre ces deux pays et l’Afrique – ont été envisagées.
Actuellement, environ neuf cents entreprises tunisiennes exportent en Libye. La récente mise en chantier, à Tripoli, d’un programme de privatisations devrait entraîner une sensible augmentation de leur nombre.

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