Fin de cavale pour l’émir du désert

Très lié à el-Qaïda, Abderrezak el-Para, le numéro deux du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), s’est tué dans les montagnes du Tibesti, au Tchad.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 6 minutes.

Numéro deux du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), Amara Saïfi, alias « Abderrezak el-Para » (pour parachutiste), alias « Abou Haïdara », ou encore « el-Ourassi » (l’Aurassien), est mort le 15 mars dans le Tibesti, au Tchad, pas très loin de Faya-Largeau. Son corps a été retrouvé au fond d’un ravin. Grand artisan du rapprochement entre les groupes armés algériens et la nébuleuse el-Qaïda, il était visé par deux mandats d’arrêt internationaux lancés par les justices allemande et algérienne. Toute sa carrière a été jalonnée de meurtres et de destructions.
Le 9 mars dernier, le groupe de rebelles qu’il dirigeait avait été repéré au nord du lac Tchad par une escadrille des forces armées tchadiennes. À l’issu de violents combats, quarante-neuf de ses membres avaient été tués. Cinq autres avaient été faits prisonniers et transférés à N’Djamena pour interrogatoire. El-Para et quatre de ses compagnons étaient parvenus à se sortir du guêpier, puis, sous la conduite d’un guide tchadien membre du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT), à gagner le Tibesti, au Nord, où ils avaient pris langue avec les dirigeants du MDJT. Le chef islamiste a finalement trouvé la mort après une chute accidentelle, sur un chemin escarpé des montagnes du Tibesti. C’est son guide qui, après sa reddition aux services de sécurité tchadiens, a raconté la triste fin de celui qui rêvait d’être « l’émir du Sahel ». Reste à savoir ce que le Para venait faire au Tchad. Et à expliquer le rapprochement entre le MDJT, un mouvement d’inspiration laïque, et les salafistes du GSPC. L’itinéraire du chef rebelle fournit sans doute un début de réponse.
Amara Saïfi était un Chaouïa, un Berbère des Aurès, né le 1er janvier 1968 dans le village de Kef el-Rih, nom qui signifie le « ravin du vent ». Dans cette région déshéritée, le seul moyen pour les jeunes gens d’échapper à l’extrême pauvreté est de faire carrière dans l’armée. À 20 ans, Saïfi s’engage donc dans les parachutistes et est affecté à Biskra. Un an plus tard, en 1989, ses illusions s’envolent : il est radié pour inaptitude physique. Pour être parachutiste, c’est une lapalissade, il faut sauter en parachute. Or des douleurs dorsales récurrentes l’en empêchent…
L’Algérie est encore sous le choc des émeutes d’octobre 1988. Dans la capitale, l’armée a tiré sur les manifestants et, dans la foulée, une nouvelle Constitution a été adoptée et le multipartisme instauré. À l’époque, Saïfi ne se signale ni par son engagement politique ni par sa foi religieuse. Mais ses déboires professionnels le poussent dans les bras du Front islamique du salut (FIS), un parti religieux devenu le refuge de tous les exclus.
L’épreuve de force s’engage entre le pouvoir algérien et la formation islamiste. En 1990, à l’initiative d’Ali Benhadj, le numéro deux du FIS, une force paramilitaire est constituée, sorte d’embryon des futurs Groupes islamiques armés algériens (GIA). Grâce à la formation militaire qu’il a reçue, Saïfi prend vite de l’importance dans sa région natale, où le FIS est la première force politique. En janvier 1991, après l’interruption du processus électoral, qui prive les islamistes d’une inéluctable victoire, il entre dans la clandestinité. C’est le début de sa macabre carrière. Très vite, ses douteux exploits lui valent le surnom d’« Abderrezak el-Para ». Mais, lui, préfère son autre nom de guerre : « Abou Haïdara ».
Au milieu des années 1990, les GIA commettent une série de massacres qui émeuvent l’opinion nationale et internationale. Au sein du mouvement, les dissensions succèdent aux dissidences. El-Para appartient à la tendance hostile aux choix stratégiques de Djamel Zitouni. Il est en contact avec la rédaction d’El-Ansar, l’organe des GIA, que publie, à Londres, le Jordano-Palestinien Abou Qotada, le chef d’el-Qaïda en Europe, à l’époque presque inconnu.
En décembre 1997, ce dernier lance une fatwa condamnant les dérives meurtrières des GIA et préconisant la création d’une nouvelle organisation militaire islamiste en Algérie. Hassan Hattab va s’en charger : c’est la naissance du GSPC, dont el-Para devient le numéro deux, responsable de la 5e région militaire, dans l’est du pays. En février 2000, à la tête d’un groupe fortement armé, il abat une quarantaine de parachutistes de l’armée algérienne, victoire qu’il doit savourer comme une revanche personnelle.
Il n’attend pas les attentats du 11 septembre 2001 pour nouer des liens avec el-Qaïda et devient même l’interlocuteur privilégié de Mohamed Atef, alias Abou Hafs el-Misri, le chef militaire de l’organisation (qui sera tué en novembre 2001 lors d’un bombardement américain sur Kaboul). En mai 2001, le Yéménite Imad Alwan, alias Abou Mohamed, débarque en Algérie au terme d’un long périple qui l’a successivement conduit à Mogadiscio, Addis-Abeba, Khartoum et Niamey. Il est chargé par el-Qaïda de créer une zone opérationnelle dans les régions septentrionales du Mali et du Niger.
Après s’être entretenu avec el-Para, Abou Mohamed confie la mission à Mokhtar Ben Mokhtar, alias « le Borgne », le chef du GSPC dans le Sud algérien. Mais l’opération se révèle délicate, les populations locales – koulak, ifora, touarègue ou peule – se montrant réfractaires à l’extrémisme. Pour elles, les solidarités ethniques l’emportent sur l’appartenance confessionnelle. Abou Mohamed n’aura pas le temps d’atteindre son objectif : en septembre 2001, il est éliminé dans la région d’Arris, le fief d’el-Para.
Ce dernier n’abandonne pas son projet d’implantation au Sahara et au Sahel, mais, dans l’immédiat, il a un problème plus urgent à régler : trouver de l’argent. En février 2003, le GSPC enlève une trentaine de touristes occidentaux dans le désert algérien. C’est le Borgne qui a engagé l’opération, mais celle-ci a un tel retentissement médiatique que le Para doit quitter les Aurès pour en prendre la direction.
Les ravisseurs se scindent en deux groupes. Le 13 mai, le premier est intercepté par l’armée algérienne, et éliminé. Dix-sept otages sont libérés, et deux militaires, dont un commandant, tués. Le second groupe s’enfuit vers le Mali. Le 28 juin, un otage (une Allemande) meurt d’épuisement pendant le voyage. Berlin demande à Alger de ne plus intervenir, afin de ne pas mettre en danger la vie des autres prisonniers.
Des pourparlers s’engagent entre les ravisseurs et des représentants du gouvernement malien, assistés par des experts allemands. Le 18 août, les otages sont libérés contre une rançon de 5 millions d’euros. Parallèlement, un accord secret est conclu, qui autorise le groupe à s’installer dans la région déshéritée de Kidal, dans le Nord-Mali. En échange, les Algériens promettent de s’abstenir de toute action hostile contre les pays voisins. Désormais riche, le Para n’a pourtant aucune intention de rester inactif. Il recrute des combattants, achète des armes destinées aux maquis algériens et tente d’entrer en contact avec les activistes mauritaniens, nigériens, nigérians et tchadiens. La présence de ses hommes dans la région contraint les organisateurs du Paris-Dakar, le 8 janvier, à annuler deux étapes maliennes du rallye.
Mais cette tentative d’alimenter le GSPC en armes et en matériels de transmission tourne au fiasco. En février dernier, l’armée algérienne intercepte un important convoi dans l’Adrar ifora, près de la frontière malienne. Et les Cavaliers du changement, le groupe qui, au mois de juin précédent, a tenté de renverser le président mauritanien Maaouiya Ould Taya, refusent l’alliance que leur propose le Para. Celui-ci interprète à sa manière le deal conclu avec les Maliens : s’il s’abstient effectivement de toute action hostile contre leur pays, il ne se prive pas de recruter dans la population locale et, surtout, de faire de Kidal le point de départ de diverses tentatives de déstabilisation des pays voisins.
Au début de cette année, un groupe islamiste venu de Kano, au Nigeria, attaque un poste militaire nigérien dans le Katsina. Le Para prend la route du Niger pour lui proposer une alliance, mais il est intercepté dans la région d’Agadez. Dans l’incapacité de traverser les régions de Zinder et de Tahoua, il met le cap à l’Est, vers le Tchad. Son nouvel objectif est de convaincre le MDJT de joindre ses forces à celles du GSPC pour « combattre les régimes africains vassaux de l’Amérique ».
Mais la rébellion tchadienne, soumise aux coups de boutoir des troupes d’Idriss Déby, est militairement mal en point. Et la succession de Youssouf Togoïmi, son fondateur mort en Libye il y a quelques mois, est plutôt chaotique. L’aile laïque du mouvement, incarnée par Adoum Togoï, a été écartée au profit des « Saoudiens », d’anciens étudiants tchadiens formés dans les universités wahhabites. C’est en tentant de rendre visite à ces derniers que le Para a trébuché sur une pierre, sur un sentier des montagnes du Tibesti…

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