Envahissants « libérateurs »

Les combattants qui ont aidé le général François Bozizé à prendre le pouvoir attendent d’être payés de retour. Et font monter les enchères.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

L’alerte a été chaude. Le 17 avril en fin d’après-midi, les habitants du nord de Bangui sont restés terrés chez eux. Au « Kilomètre 11 », à 500 mètres à peine de la résidence du chef de l’État, de violents affrontements ont opposé l’armée centrafricaine aux « libérateurs » qui avaient porté François Bozizé au pouvoir le 15 mars 2003. Bilan : sept morts, dont un soldat centrafricain. Depuis cet accrochage, plusieurs centaines de « libérateurs », d’origine tchadienne, restent l’arme au pied dans leur caserne du Bataillon d’intervention territoriale. À Bangui, tout le monde retient son souffle.
Pour apaiser ses anciens alliés, le président François Bozizé a mis de l’argent sur la table. Le 20 avril, il leur a proposé 150 000 F CFA chacun (228 euros). Un viatique pour revenir à la vie civile. Face à lui, quatre hommes déterminés lui ont répondu – en arabe dialectal – que le compte n’y était pas. Ils veulent 1 million chacun. S’agit-il d’une simple histoire de mercenaires mal payés ? Pas si simple. Même si le gouvernement trouve 400 millions de F CFA, les mutins peuvent faire monter les enchères. Ces « libérateurs » disposent de deux moyens de pression : la communauté tchadienne de Centrafrique – plusieurs centaines de milliers de personnes – et le gouvernement tchadien lui-même.
Tout commence en septembre 2002. Le chef rebelle François Bozizé est pourchassé dans le nord de la Centrafrique par les troupes gouvernementales d’Abdoulaye Miskine. Mais celui-ci commet une grave erreur. Il s’attaque aux éleveurs et commerçants musulmans d’origine tchadienne. Son principal lieutenant, le Tchadien Faki Ahmat – un Hadjeraï qui se fait appeler « colonel Marabout » – passe avec 80 compagnons d’armes dans le camp de Bozizé. Et le condottiere tchadien se transforme vite en homme d’affaires. En janvier 2003, il profite de son commandement en zone rebelle pour vendre les camions des sociétés agricoles de Bossangoa.
Dès après la victoire sur Ange-Félix Patassé, le 15 mars 2003, il devient encombrant. Ses hommes pillent Bangui et envisagent de braquer des banques ! À l’appel de François Bozizé, désormais chef de l’État, le président tchadien Idriss Déby dépêche 500 soldats à Bangui. Le colonel Marabout et 600 de ses compagnons sont quant à eux envoyés au Tchad, au Centre d’instruction militaire de Moussoro. Il est ainsi neutralisé pour quelques mois.
L’affaire rebondit en mars 2004. Au grand dam de Bozizé, les « libérateurs » reviennent à Bangui. La plupart sont d’origine tchadienne, mais Idriss Déby ne veut pas les garder. Officiellement parce qu’ils sont de nationalité centrafricaine. En réalité parce qu’ils sont incontrôlables. À leur retour à Bangui, le colonel Marabout et le colonel Ramadan – un autre Tchadien qui avait rallié Bozizé dès son entrée en rébellion en novembre 2001 – reçoivent des postes de conseillers au ministère de la Défense. Mais ils ne veulent pas se contenter de ces strapontins.
Au lendemain du violent accrochage du 17 avril, la pression sur Bozizé augmente. Plusieurs dizaines de soldats d’origine tchadienne qui avaient été incorporés dans l’armée régulière désertent et rallient le camp des « libérateurs ». Le chef de l’État mesure le risque. Il se rappelle que son prédécesseur Ange-Félix Patassé est tombé précisément pour avoir fait le contraire. « Ne touche pas aux Tchadiens de Centrafrique, sinon… » lui avait dit publiquement Idriss Déby lors du sommet franco-africain de Paris en février 2003.
Bozizé prend donc soin d’éviter tout nouvel affrontement avec les mutins. Mieux : il s’associe les autorités de N’Djamena. Le 20, il a invité à la table des négociations l’ambassadeur du Tchad à Bangui et un mystérieux officier tchadien arrivé le 18 au soir. Objectif : empêcher toute connivence Déby-« libérateurs ». Et le soir, en sa résidence du Kilomètre 11, peut-être François Bozizé relit-il cette maxime de Machiavel : « Le prince dont le pouvoir n’a pour appui que des troupes mercenaires ne sera jamais ni assuré ni tranquille, car de telles troupes sont ambitieuses et infidèles. »

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