Ce qui va changer

Renforcer les relations avec ses voisins du Sud est l’une des priorités du nouveau chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero.

Publié le 26 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

En soulignant dans son discours d’investiture, le 17 avril à Madrid, la volonté de son gouvernement de renforcer les relations entre l’Espagne et les pays du Maghreb – nommément cités – et en réservant au Maroc, une semaine plus tard, son premier déplacement à l’étranger, le nouveau président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, ne pouvait mieux signifier ce qui sera l’une des priorités de la nouvelle politique étrangère espagnole. Le passif, il est vrai, n’est pas négligeable. Peu apprécié – c’est le moins qu’on puisse dire – de la « rue » maghrébine pour son alignement inconditionnel sur les positions américaines au Proche-Orient et en Irak, marginalisé au sein de l’Union européenne (UE) et de ses instances vouées au dialogue avec les pays de la rive sud de la Méditerranée pour cause de comportement solitaire, fréquemment taxé d’arrogance, de « caudillisme », voire de nostalgies rentrées héritées de l’époque de la Reconquista, José María Aznar avait fini par faire la quasi-unanimité contre lui. C’est dire si son successeur surfe sur un a priori favorable au sein de l’opinion. Mais qu’en est-il des dirigeants du Maghreb ?

Au Maroc, le changement de pouvoir à Madrid ne pouvait être accueilli que favorablement. C’est ici en effet que le contentieux avec le gouvernement Aznar était le plus profond : Ceuta et Melilla, pêche, émigration, îlot de Leïla, Sahara, tout ou presque de ce qui faisait l’ordinaire des relations entre les deux voisins était devenu objet de conflit, parfois à deux doigts du point de rupture. L’ex-chef du gouvernement espagnol et le roi Mohammed VI ne se parlaient pratiquement plus, et les services de sécurité des deux pays avaient beaucoup de mal à coordonner leurs efforts en matière de lutte antiterroriste, ainsi que l’a démontré l’enquête sur les attentats du 11 mars. On feint donc à Rabat d’oublier que le fait, pour un chef de gouvernement espagnol, de réserver sa première visite extérieure au royaume est une tradition (Aznar et, avant lui, Felipe González avaient fait de même) pour ne retenir que les effets d’annonce. Zapatero, dans son discours d’investiture, a parlé d’une « attention préférentielle » vis-à-vis du Maroc, et Mohammed VI lui a répondu en évoquant « une nouvelle ère », rien de moins. La gauche marocaine met bien sûr en avant les relations « historiques » entre le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP) de Mohamed el-Yazghi. Chacun souligne aussi les excellents rapports entretenus par le nouveau ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos – qui occupa le poste de conseiller politique au sein de l’ambassade d’Espagne à Rabat au milieu des années 1980 – avec l’ensemble de la classe politique chérifienne. Enfin, le facteur « âge du capitaine » jouera sans doute un rôle positif. Zapatero aura 44 ans en août, Mohammed VI 41 ans le même mois. Ils sont de la même génération.

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Au Sahara occidental, dossier sensible s’il en est, une évolution plus favorable aux souhaits marocains pourrait se faire jour à Madrid, même s’il convient de demeurer prudent. Tous deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies depuis le 1er janvier 2004 pour une période de deux ans, l’Espagne et l’Algérie s’étaient entendues pour coordonner leurs efforts. Il n’est pas sûr que cette approche soit poursuivie. Tout en collant aux résolutions onusiennes en la matière, la nouvelle diplomatie espagnole pourrait désormais privilégier une action concertée avec la France – très promarocaine sur ce dossier – et l’UE, afin de dégager une solution de compromis voisine de l’autonomie interne. On estime d’ailleurs à Madrid que, confortablement réélu, le président Bouteflika devrait désormais avoir les mains plus libres pour agir en direction d’un consensus.

En Algérie, la perception de la victoire des socialistes en Espagne est inversement proportionnelle à la satisfaction affichée au Maroc. Certes, conclu entre Bouteflika et Aznar (qui entretiennent de bonnes relations personnelles), le pacte de partenariat stratégique incluant la reconversion d’une partie de la dette algérienne en investissements sera très probablement maintenu, mais le tropisme en faveur du Maroc dont on soupçonne déjà – à tort ou à raison – le nouvel hôte de la Moncloa sera observé avec attention. Pour le reste, les Algériens se savent incontournables à la fois économiquement et diplomatiquement au Maghreb. Les rapports privilégiés qu’ils entretiennent avec la France et les États-Unis relativisent en outre une (éventuelle) prise de distance avec l’Espagne. Pas de quoi, donc, les empêcher de dormir…
En Tunisie, où l’on est très sensible à tout ce qui touche au Proche-Orient, l’évolution plus que prévisible de l’Espagne vers des positions « proarabes » et son désengagement annoncé de l’Irak ne peuvent qu’être appréciés. D’Aznar à Zapatero, peu de changements sont attendus par ailleurs au strict niveau bilatéral. D’autant que le PSOE et le Rassemblement constitutionnel démocratique (ex-Parti socialiste destourien) ont entre eux des liens anciens et relativement cordiaux, forgés au sein de l’Internationale socialiste.

En Libye, où José María Aznar s’était rendu en éclaireur solitaire de George W. Bush dès septembre 2003, on s’attend à un retour de l’Espagne dans le giron de la politique commune européenne. Point de « relation privilégiée » en perspective, donc. Il est vrai que le raid commando d’Aznar ne s’était en définitive soldé par aucune percée espagnole sur le mirobolant marché libyen, dont les précontrats sont trustés par les Américains, les Britanniques, les Italiens, les Allemands, voire les Néerlandais.

En Mauritanie enfin, où la formation au pouvoir (le PRDS) entretenait des rapports privilégiés avec le Parti populaire (PP) espagnol, le président Ould Taya a incontestablement perdu en José María Aznar un ami, qu’il était allé personnellement soutenir lors du dernier congrès du PP à Madrid. Passé cette déception, nul doute que Nouakchott s’adaptera à la nouvelle donne espagnole. Les perspectives pétrolières du pays, sa proximité avec les îles Canaries, ses eaux poissonneuses et sa situation géographique au confluent de l’Afrique subsaharienne intéressent beaucoup, depuis quelques années, les investisseurs espagnols. Seule différence désormais : le flux des échanges sera plus économique que politique.

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