Testament intimiste

Avec le poète palestinien Mahmoud Darwich évoque l’approche de la mort. Pour dire les femmes, la langue et l’Histoire.

Publié le 27 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Chaque nouveau recueil de Mahmoud Darwich est en soi un événement. Celui que l’on considère comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains compte des lecteurs partout dans le monde, et le public se déplace en masse dans le seul but d’écouter ses déclamations. Plus que le genre littéraire, dont les Arabes, il est vrai, ont toujours été friands, c’est l’oeuvre engagée de ce Palestinien né à Birwa, près de Saint-Jean-d’Acre, en 1942, ses chants d’amour et d’exil à l’adresse de la terre patrie déclinés dans une vingtaine de recueils qui expliquent un tel engouement. Darwich est devenu la figure emblématique du peuple palestinien.
Pour autant, depuis Le Lit de l’étrangère, publié chez Actes Sud en 2001, sa poésie semble de moins en moins centrée sur la Palestine et davantage orientée vers une écriture intimiste, dont Murale confirme aujourd’hui la tendance. Lorsque, à la publication du Lit de l’étrangère, Jeune Afrique faisait remarquer à Darwich ce trait nouveau de sa poésie, il répondait avec cet air las, mais jamais distant, qui le caractérise : « Pourquoi demander au poète palestinien de consacrer toute sa poésie à la cause palestinienne ? Comme tout autre poète, il peut se poser des questions qui ont trait à l’existence, à l’amour ou à la nature, au sens profond de la réalité. » Gageons que la même question lui sera posée à propos de son nouveau recueil, et que la réponse ne variera pas.
Murale confirme le parti pris d’une d’introspection intimiste, voire l’option résolue du monologue intérieur. Aux poèmes d’exil et de nostalgie ont succédé des interrogations existentielles, et la terre patrie est désormais à chercher dans les paraboles et les clins d’oeil, plutôt que dans une veine militante et un amour déclaré.
Écrit à la manière de la mouallaqa, cette ode de la période préislamique qu’on accrochait au mur de La Mecque et qui se lisait d’un seul trait, Murale s’ouvre par un vers concis comme une épitaphe, étrange comme une énigme : « J’ai été et je n’ai pas été ». Dans cet entre-deux se déroule la vie d’un homme, qui, à l’approche de la mort, décide de porter le doute sur tout ce qui fut. On sait d’emblée que ce nouveau recueil pose la question centrale de la mort et se veut testament. Le poème devient cette « blanche éternité », cette loge d’où l’on peut voir avec netteté le monde des humains, où tout peut se dire, se revivre, se rêver. Formidable liberté qu’est cette conscience acceptée de la mort, formidable lieu que ce poème, où se rejoue la vie et se recrée le monde d’avant, pendant et après la naissance, où l’on ne se soucie plus des « bannières de tribus », où l’on expérimente déjà le grand voyage.
Préoccupé par sa mort, Mahmoud Darwich ? Devenu égoïste de sa poésie ? Il en a le droit, comme il le dit. Mais s’arrêter au « je » autobiographique de ce poème serait mal comprendre le parcours du poète, en qui la Palestine s’est incarnée et dont l’espérance relève désormais non du chant du héraut, mais des réflexes du sage. De sa retraite affichée, Darwich veut opposer à la barbarie de l’occupant sa musique intérieure, à l’injustice qui frappe son peuple cette implacable oraison : « Un jour, nous serons ce que nous voulons. » Oui, le poète emblématique de la Palestine ne cesse de colporter l’espoir, fût-ce sous forme de testament.

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