Tempête sur les mosquées

Tandis que les arrestations se multiplient dans les milieux islamistes (mais aussi baasistes), modernistes et technocrates renforcent leurs positions au sein du gouvernement…

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

envoyé spécial à Nouakchott Cheikh el-Avia Ould Mohamed Khouna, le Premier ministre mauritanien, a annoncé le 18 mai que, deux semaines auparavant (les 5 et 6 mai), des arrestations avaient été opérées à titre préventif dans les milieux islamistes. Bien que les « extrémistes » mauritaniens n’aient pas de tradition de violence, les attentats de Riyad (le 12) et de Casablanca (le 16) ont évidemment apporté quelque crédit aux propos ministériels. Tout a commencé à la fin du mois d’avril… Le 30, la tension est brusquement montée dans les mosquées de Nouakchott. Ce jour-là, Isselmou Ould Sidi el-Moustapha, le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, préside une réunion à laquelle participent plusieurs centaines d’imams. L’ambiance est houleuse. Il faut dire que le ministre est venu intimer à ses interlocuteurs l’ordre de ne plus prendre de positions politiques dans leurs prêches. Les imams ont en effet pris l’habitude de dénoncer en termes véhéments la guerre américaine en Irak et la répression israélienne contre les Palestiniens. Le vendredi suivant, dans les mosquées, les instructions gouvernementales sont fustigées. Selon des organisations humanitaires basées à Genève, huit religieux sont arrêtés les 5 et 6 mai. Accusé d’être incapable de contrôler ses troupes, Ould Sidi el-Moustapha est pour sa part limogé (le 6), en même temps que Mohamed Fadel Ould Mohamed Lemine, secrétaire d’État à la Lutte contre l’analphabétisme, lui aussi soupçonné de sympathies islamistes.
Ould Mohamed Khouna dénonce publiquement des « comportements étranges », des « invectives contre nos oulémas et nos imams », des « tentatives d’embrigadement de citoyens », ainsi qu’un certain nombre « d’incitations à la violence » adressées à la jeunesse… Selon lui, « ces agissements sont l’oeuvre de mouvements extrémistes qui se réclament de l’islam mais agissent conformément aux ordres qui leur parviennent de l’extérieur ». Raison pour laquelle « il a été récemment procédé à l’interpellation de certains éléments suspects qui font actuellement l’objet d’une enquête au terme de laquelle ceux contre lesquels aucune charge n’aura été retenue seront libérés, tandis que les autres seront déférés devant la justice ».
L’enquête en question a abouti à un premier résultat : le Bureau des oeuvres caritatives, financé par les Émirats arabes unis, a été fermé le 19 mai par la police. Et une trentaine de personnes, dont le directeur du Bureau (de nationalité émiratie) et la totalité de ses employés, ont été interpellées. Elles sont apparemment accusées d’avoir tenté d’embrigader des jeunes « à des fins subversives ». L’émir d’un Groupe islamiste de prédication, ainsi que le directeur de la bibliothèque nationale et un magistrat auraient également été arrêtés.
Mais les islamistes ne sont pas seuls visés. Quelques jours auparavant, entre le 30 avril et le 3 mai, une quinzaine de membres du parti nationaliste arabe Baas Nouhoud avaient eux aussi été placés en détention, opération dans laquelle l’opposant Ahmed Ould Daddah, chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), voit le résultat d’un « petit commerce avec les États-Unis et Israël ». On sait que Nouakchott entretient des relations diplomatiques (au niveau des ambassadeurs) avec l’État hébreu… Quoi qu’il en soit, les mesures de sécurité ont été renforcées autour des ambassades d’Israël, des États-Unis et d’Espagne.
Parallèlement, le président Maaouiya Sid Ahmed Ould Taya a procédé à un remaniement de son gouvernement. Les nouveaux ministres sont, pour la plupart, des modernistes et des technocrates. Hamoud Ould M’Hamed (38 ans), qui remplace Cheyakh Ould Ely au ministère de la Communication et aux Relations avec le Parlement, a par exemple conduit avec succès, depuis 2000, la réforme des secteurs de la poste et des télécommunications (dont la privatisation suscita les éloges de la Banque mondiale). Ould M’Hamed, qui est également le porte-parole du gouvernement, ne sera pas dépaysé dans ses nouvelles fonctions : depuis 1992, il a fait toute sa carrière dans la communication. Il est diplômé de l’École supérieure de publicité, à Paris, et titulaire d’un DEA en administration générale.
Ould Cheikh Sidiya (42 ans), le nouveau titulaire du portefeuille des Affaires économiques et du Développement, était, depuis 1998, directeur de la programmation et des études au sein du même ministère. En 1988-1989, il travailla comme économiste à la mission de la Banque mondiale en Mauritanie. Il est diplômé de l’Institut des sciences politiques de Paris, titulaire d’un DEA d’analyse politique et économique de l’université de Rouen, et diplômé de l’École nationale d’administration (France).
Lemrabott Ould Mohamed Lemine (42 ans) hérite pour sa part de la Culture et de l’Orientation islamique. Il était auparavant professeur de droit musulman et conseiller du président Ould Taya. Il se propose de lutter contre « les manifestations d’extrémisme dans les mosquées », pour permettre à celles-ci de « jouer leur rôle de lieu de culte ». Sidi Mohamed, dit El-Moudir Ould Bouna (33 ans), le nouveau secrétaire d’État à l’Alphabétisation et à l’Enseignement originel (religieux), est un ancien cadre de la compagnie d’assurances Nasr. Titulaire d’une maîtrise en économie et en planification, il est originaire de Rosso, dans la vallée du fleuve Sénégal.
Difficile de dire s’il existe un lien entre ces différents épisodes. Seule certitude, ils interviennent à moins de six mois de l’élection présidentielle du 7 novembre.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires