Sidi Moumen, le terreau

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Les gens qui vivent à Sidi Moumen courent plus de risques que les Marocains éduqués de tomber sous l’influence de la version wahhabite de l’islam dont un certain nombre de riches Saoudiens se sont faits les propagandistes en Afrique du Nord depuis les années soixante-dix. Ils sont endoctrinés par des cassettes et des livres bon marché qui présentent une image fanatique et extrêmement puritaine de l’islam, beaucoup plus intolérante à l’égard des juifs et des femmes que ne l’est l’enseignement islamique traditionnel au Maroc. Un tel prosélytisme ne peut pas être sous-estimé dans un pays où l’État se montre si manifestement incapable de faire l’éducation de ses citoyens : la moitié des 31 millions de Marocains sont analphabètes.
Les réformes de ces dernières années n’ont pas créé d’emplois ni élevé le niveau de vie, et ont jeté beaucoup de Marocains dans les bras de l’extrémisme. Il faut améliorer le niveau de la santé et celui de l’éducation pour moderniser l’économie : les succès de la Tunisie depuis vingt-cinq ans ont été bâtis sur les grands progrès dont ont bénéficié les écoles et les hôpitaux pour le bien de tous, et sur les droits politiques qui ont été accordés aux Tunisiennes bien avant les Italiennes ou les Espagnoles. Le nouveau roi a essayé de proposer que l’on attribue de nouveaux droits aux femmes, mais les partis islamiques ont tout bloqué. Le Maroc reste à bien des égards une société profondément conservatrice.
Une autre raison pour laquelle les réformes n’ont pas tenu leurs promesses est institutionnelle. La Constitution ne donne pas au gouvernement marocain une responsabilité et un rôle très précis : toutes les décisions peuvent remonter jusqu’au roi. Mohammed VI a choisi de déléguer des responsabilités, mais la confusion reste grande. Peu d’hommes politiques jouissent d’un véritable prestige, car feu le roi Hassan II n’a jamais accepté que soit portée la moindre atteinte à son autorité. Les dirigeants politiques et trop souvent les gouvernements n’ont pas à rendre compte de ce qu’ils font.
Mohammed VI doit s’attaquer à l’énorme fossé qui existe entre le niveau de vie de la classe dirigeante et la misère dans laquelle vivent un grand nombre de ses compatriotes. S’il venait à échouer, le climat de tolérance qui règne traditionnellement dans le royaume pourrait être remis en question.
À Sidi Moumen, comme dans les autres bidonvilles accrochés aux grandes cités, des gens qui sont aux limites de la survie et n’ont pas l’eau courante s’entassent à quelques kilomètres d’opulentes demeures à la pelouse bien arrosée, dont les propriétaires semblent benoîtement ignorer l’existence de leurs compatriotes misérables.
Il faut nettoyer les bidonvilles comme Sidi Moumen, mais le roi doit veiller à ce que des attentats comme ceux de Casablanca ne soient pas le prétexte de mesures de répression brutales, en particulier à l’égard de la presse et des partis politiques légaux. Il est essentiel de comprendre les motivations des jeunes fondamentalistes qui vivent dans des conditions épouvantables. Ils ont le choix entre trois options : ou bien devenir les fans d’une équipe de football ; ou bien tenter de franchir le détroit de Gibraltar à bord de pateras – ces petites barques espagnoles à fond plat – au risque, souvent, de s’y noyer ; ou bien s’enfoncer dans l’extrémisme. Il y a sûrement mieux à faire. s
Francis Ghilès

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* Professeur à l’École de management euro-arabe de Grenade, membre du Conseil scientifique de l’Institut de la Méditerranée à Marseille.

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